vendredi 25 janvier 2013

Des orphelinats pour des non-orphelins


Je vous vois lire ce titre, 80% des enfants dans les orphelinats ne sont pas orphelins, et je vois vos sourcils se hausser d’indignation. Voilà, vous dites-vous, un autre exemple de ces magouilles dont les Haïtiens sont férus et dont le pays s’est fait une spécialité. Mais vous aurez tort. Je vous ai déjà dit qu’il fallait «chausser les mocassins de l’Indien avant de le juger» (F. Leclerc). Ici, pour comprendre le phénomène de l’orphelinat et des orphelins, il faut comprendre un peu comment la famille fonctionne.

D’emblée, je vous le dis : elle ne fonctionne pas différemment de n’importe quelle autre famille occidentale : il y a le papa, il y a la maman et il y a les rejetons, en quantité variable. Le papa et la maman font leur possible pour s’occuper de leurs petits adéquatement, même si ce n’est pas toujours facile. Jusque là, ça va. C’est lorsque cette tâche devient impossible que rien ne va plus. Or, cela se produit plus souvent qu’on pourrait le croire, car en Haïti, les parents ne bénéficient d’aucune aide gouvernementale capable de soulager un tant soit peu la lourde charge financière de pourvoir aux besoins de ces enfants. La nourriture, les frais scolaires, les frais médicaux et le reste coûtent la peau des fesses et la plupart des familles doivent faire des pirouettes incroyables pour arriver à subvenir aux besoins de leurs enfants. Si l’un des membres supports tombe, c’est tout l’édifice familial qui est menacé. Si bien qu’il ne reste souvent PAS d’autre option que celle de se débarrasser de ses enfants. Notez bien que j’ai mis la négation en lettres majuscules parce que l’alternative, une fois simplifiée, revient à : ou bien on place les enfants ailleurs et on augmente leurs chances de survie — et attention, je parle ici de survie, comprenons-nous bien —, ou bien on les regarde dépérir, parfois périr, en famille. Triste alternative s'il en est une, mais pas moins vraie pour autant. Alors? Si vous étiez dans cette situation, vous feriez quoi vous autres?

J’en vois déjà, des parangons de rectitude qui diront, parlant des Haïtiens : «Ils ont rien qu’à ne pas faire tant d’enfants…» Beau raisonnement. L’eugénisme, ça commence comme ça… Trop d’enfants, trop de vieillards qui encombrent le système de santé, trop de maladies héréditaires, trop d’homosexuels, trop d’alcooliques et quoi encore! Je suis l’un des premiers à dire que la croissance démographique à l’échelle planétaire constitue déjà — et encore davantage dans un futur pas loin — le plus gros problème de survie de notre espèce. Mais en même temps, c’est la nature même de l’espèce humaine de se reproduire, n’est-ce pas? Si bien que les enfants, ce n’est pas demain la veille qu’ils cesseront d’apparaître, à moins d’une anomalie universelle qui empêcherait la procréation, un peu comme dans le film "Children of Men" (pas récent, mais que je vous suggère pour sa qualité)… Et les enfants, une fois qu’ils sont là, ben il faut «faire avec», n'est-ce pas, et c'est précisément là que le bât blesse la structure familiale haïtienne. Car il faut un minimum de moyens pour assumer cette charge et parfois, souvent même, ce minimum n'est simplement pas là.

C'est pour ça que je ne juge pas et je ne veux pas juger. Pour moi, tous les moyens sont bons, tant qu’ils offrent à l’enfant une chance de vivre son enfance et de devenir un adulte équilibré. La famille naturelle d’abord, bien sûr, mais aussi la famille élargie, la famille adoptive, la famille d’accueil, la crèche ou l’orphelinat s’il le faut. En autant que l’enfant ne soit pas dans la rue… Vous souvenez-vous, vous les plus vieux, qu'au Québec, on envoyait jadis les enfants au pensionnat, surtout quand ils étaient tumultueux? Et dans certains cas, je pense que les enfants n'y étaient guère mieux que s'ils avaient été dans un orphelinat... Mais c'était pour leur bien...

Eh bien les parents haïtiens aussi placent leurs enfants pour leur bien, en fait, pour qu'ils puissent simplement survivre; non parce qu'ils sont affreusement cruels... Et l'UNICEF aura beau faire de beaux discours, comme la citation ci-dessous, cette triste réalité ne changera pas demain...
«Pour sa part, L'UNICEF prône avant tout, la désinstitutionnalisation des enfants et la réunification familiale, ainsi qu'une approche multi-sectorielle, comprenant le secteur socio-économique, la justice, la santé reproductive et l'éducation, pour lutter contre ce problème.»
Et un petit chausson pour tous les enfants de la terre avec ça!

Aucun commentaire:

Publier un commentaire