vendredi 30 mars 2012
Le goût de l'amer
Aujourd’hui, l’heure est aux comptes. Oh! Pas avec vous, bien sûr, lecteurs patients et lectrices clémentes, mais plutôt avec certaines employées — notez ici le féminin — qui ne semblent pas apprécier mon dévouement exemplaire (et modeste, bien entendu) et mes efforts répétés pour leur obtenir ce petit quelque chose sur lequel elles crachent aujourd’hui avec un dépit ostentatoire. Notez en passant que ce texte fait suite à ma montée de lait de février dernier, alors si vous n'avez pas particulièrement apprécié ce dernier, vous pouvez vous épargner ce qui suit. Car oui, s'y trouve un certain goût de l'amer, qui n'a rien à voir avec le goût de la mer, vous vous en doutez bien...
Je ne vous parle pas souvent de mon travail, et pour cause : le travail, bien que raison fondamentale de notre présence en ce pays, n’est pas toujours intéressant pour les autres et je me garde bien de vous lasser avec des propos qui, s’ils me sont importants, vous apparaitraient souvent dérisoires. Donc, la plupart du temps, je passe. Mais cette fois, je partage avec vous car c’est un peu frustrant. En effet, pour ceux et celles qui ne le savent pas, ça fait maintenant plus de cinq ans que nous tenons les rennes de ce petit hôpital aux Cayes. Cinq ans entre l’arbre et l’écorce, à danser un tango qui n’est pas toujours facile. Ceux, celles qui ont ou qui ont eu des positions similaires savent de quoi je parle : les préoccupations patronales et celles des employés sont rarement les mêmes, ou si elles le sont, ne sont pas vues du même bout de la lorgnette. Pour les patrons, les salaires représentent la grosse dépense institutionnelle et il faut la contrôler tant bien que mal pour éviter le crash. Pour les employés, les salaires sont toujours trop petits et mal ajustés au coût de la vie, lequel grimpe toujours. Bien entendu, puisque nous vivons en Haïti, nous en connaissons les réalités économiques mieux que nos patrons du Canada, cela va de soi. C’est pour cette raison que depuis notre venue, je me suis efforcé de démontrer aux patrons que les salaires étaient trop bas et que les employés méritaient mieux. Ce ne fut pas facile. Mais petit à petit, les ajustements ont eu lieu. En fait et sans vouloir me vanter, en cinq ans, les salaires ont plus que doublé, soit une augmentation de plus de 130 %, voire davantage dans certains cas (202 % pour les employés d’entretien). En plus, je leur ai fait obtenir le boni annuel qui, à toutes fins utiles, correspond à un mois de salaire supplémentaire. Bref, je le dis sans vanité, leurs conditions de travail se sont sensiblement améliorées depuis notre arrivée et sont enfin rendues à un point où elles se comparent, souvent avantageusement, à celles des autres organisations. Mais comme je vous l’ai mentionné dans une chronique précédente, ce n’est pas assez. Ce n’est jamais assez.
Je ne dis pas que ce n’est pas vrai. Dans un pays en développement, le niveau de vie est forcément moins élevé que dans un pays développé. Mais les coûts de la vie sont également plus bas, ce qui fait que les personnes arrivent tout de même à tirer leur épingle du jeu même si les salaires n’ont rien de faramineux. Sauf en Haïti. Car ici, tout est cher, souvent au-delà de ce que le salarié moyen peut payer. Je vous ai parlé des frais de fréquentation scolaire, des frais d’hôpitaux, des frais funéraires, des frais de location d’une maison, des coûts de construction ou du prix de la nourriture, pour ne citer quelques domaines où l’argent disparaît comme neige sous le soleil haïtien; la vie ici n’est pas facile, personne ne prétendra le contraire. Et depuis cinq ans, j’ai fait ce que j’ai pu pour contribuer à améliorer un tant soit peu ces conditions de vie des employés de l’hôpital. Tout ça pourquoi? Pour récolter aujourd’hui des attitudes hautaines et distantes, froissées de ne pas avoir eu plus et prêtes à m’en faire porter le blâme. Je ne sais pas pour vous, mais pour moi, ça ne me paraît pas très juste…
Mais bon, il semble que ce soit le lot des petits chefs de jouer les boucs-émissaires et de recevoir les doléances d’en bas et les reproches d’en haut, alors il faut s’y résigner… It goes with the territory, comme ils disent à Yellowknife…
Reste que parfois, on se demande ce qu’on fait dans ce jeu dont on ne peut jamais sortir gagnant…
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Quand on est patron on doit protéger nos employés mais aussi l'organisation... pas facile!
RépondreEffacerIt's a lonely job.