Je ne veux pas avoir l’air de me réjouir du malheur des autres, mais je dois vous dire que je ne suis pas mécontent de voir que, pour une fois, la menace tangible d’avoir à subir une catastrophe naturelle annoncée pèse maintenant sur des gens qui n’en ont habituellement rien à branler. On dit toujours «Pauvre Haïti», et on se dit que ce n’est pas juste que ce pays si mal en point soit en plus soumis aux caprices météorologiques. Mais c’est dit comme ça, de loin, bien assis dans un fauteuil inclinable face à un écran plasma de 50 pouces. Tandis que là, avec ce monstre blanc qui se dirige vers vous, eh bien la perspective change et on se met à penser à ce qui pourrait arriver si… Et vous êtes dès lors plus susceptibles de mieux nous comprendre, nous qui vivons avec cette formidable épée de Damoclès qui reste suspendue au-dessus de nos têtes pendant toute cette moitié de l’année, soit de juin à novembre. Ce n’est pas vraiment agréable. Certes, on fait avec puisqu’on ne peut faire autrement, mais ce n’est pas par plaisir et ce n’est certainement pas pour attirer la pitié. Car ce que nous voulons, ce n’est vraiment pas de la pitié, mais de la compréhension. Ce qui n’est pas rose pour nous ne l’est pour personne. Il faut arrêter de dire «Pauvre Haïti» et comprendre plutôt que les catastrophes, où qu’elles passent, ne sont jamais une source de joie. Vous en avez eu un autre échantillon avec le petit séisme qui vous a secoué les puces cette semaine…
Je pense que c’est là une perspective différente qui permet de mieux comprendre la difficulté, pour un pays constamment soumis à des catastrophes, de se maintenir à flot. Pour nous, vivre en Haïti, c’est partager ces moments pas toujours faciles avec ce peuple qui se débat et qui se bat sans relâche, sans jamais abandonner. Et pourtant, il y aurait de quoi! Or, quand je me fais dire que je ne respecte pas le peuple haïtien, disons que ça me chatouille un peu les baskets, là… Mais bon. Vous savez ce que dit La Fontaine : «Est bien fou du cerveau qui prétend contenter tout le monde et son père…» Il n’empêche qu’il faut être un peu borné pour croire que le malheur du peuple ne nous touche pas, comme si nous étions dans un bocal de verre hermétique... Car ce n'est pas le cas. Comme tout le monde vivant dans ce pays, nous sommes soumis aux aléas du temps, de la politique, de l’économie et quoi encore! Seule différence — et je l’ai déjà mentionnée — pour nous, il est toujours possible de retourner dans notre pays de froidure, loin des ouragans et des manifestations. Pas pour le peuple.Et s'il est une chose que nous respectons par-dessus tout, c'est bien celle-là.
Sur le même sujet et comme pour illustrer mon point, l’affaire du vol d’Air Transat mérite certainement une mention. Premièrement, comme un exemple typique de l’approche-client d’une compagnie dont le but premier reste avant tout de faire de l’argent, beaucoup d’argent et deuxièmement, comme un exemple de la peur panique que le simple nom d’Haïti déclenche chez ces étrangers. Car posez-vous la question : Air Transat aurait-elle agi de la même façon à Paris ou à Londres ou à Montréal?
Mais Haïti, n'est-ce pas, c'est Haïti...