mercredi 3 août 2011
Célébrer la vie
Aujourd’hui me paraît un bon jour pour vous pondre un petit quelque chose. Je ne vous ai encore rien donné en ce début de mois; c’est le 3 août et on dit que le 3 fait le mois; c’est aussi l’anniversaire de mon frère — 54 ans tout de même; la tempête tropicale Emily fonce droit sur nous; bref, il y a matière. Et pourtant, rien de tout cela ne mérite de faire l’objet de cette chronique.
Non. Ce dont je veux vous entretenir aujourd’hui n’est rien d'important. Rien qui fera l’actualité mais tout de même : Saulette est enceinte! Tout un événement! Ça fait un bon bout de temps qu'elle s'essayait, sans succès. Vous dire sa joie serait peu dire... Mais pourquoi donc, dans ce pays surpeuplé, le fait d'être enceinte est-il toujours vu comme une bénédiction? Car disons-le tout net : Haïti est surpeuplé et l'une des raisons du marasme économique, c'est précisément le trop grand nombre d'habitants face à des ressources limitées, pour ne pas dire inexistantes. La logique voudrait donc que l'on considère sensé de mettre un frein à la natalité. Sans aller jusqu'aux mesures draconiennes utilisées en Chine, on pourrait penser que le pays pourrait faire quelques campagnes pour décourager la procréation, ce qui aurait de surcroît l'avantage de limiter l'expansion du SIDA et des maladies transmises sexuellement (les fameuses MTS ou MST, c'est selon). Eh bien non. Au lieu de sensibiliser la population aux inconvénients d'un accroissement de la famille, on continue à dire que «Pitit se richès» : les enfants c'est la richesse (traduction pour les pas doués). Et les gens continuent de croître et de se multiplier et d'en être fous de joie.
Pourtant, un rapide calcul montre sans l'ombre d'un doute, que chaque enfant représente une charge économique non négligeable. Car ici, en plus des coûts accrus de l'alimentation (le lait en poudre est cher, je vous dis pas) et des vêtements (car les petits, on ne les habille pas avec rien, n'est-ce pas?), il faut, très tôt, compter avec l'école et ses énormes frais. En moyenne, pour le primaire, on parle de $200 US par année. Pour certains, c'est le sixième du salaire qui y passe. Imaginez un peu : quelqu'un qui, au Canada, gagnerait $48,000 devrait débourser $8,000 par enfant au primaire! Avouons que ça fait un peu cher... Et je ne vous parle pas des frais de santé, de déplacements et d'événements majeurs, comme les funérailles et les cérémonies de remises de diplômes à répétition. Ici, l'on diplôme de la maternelle, de la première année, du primaire, de la fin du programme fondamental, de la philo et par la suite, bien sûr, du collège ou de l'université, éventuellement. Le cas que j’ai rapporté précédemment illustre mes propos. Tout ça pour vous dire que les enfants, loin de signifier la richesse, constituent un réel facteur d'appauvrissement! Et pourtant, on continue de faire des enfants comme on ferait des petits pains chauds : en se pourléchant. Et l'annonce d'une naissance à venir est toujours un sujet joyeux, sur lequel tout le monde plaisante et que tout le monde bénit. Quant au nouveau-né, vous avez deviné qu'il est l'objet d'une réelle adoration.
Mais pourquoi s'acharner à faire des petits quand on sait ce qu'il en coûte? Je n'ai pas de réponse. Mais je soupçonne que faire des enfants n'a rien à voir avec l'économie, ni même avec la sexualité. Certes, avant, c'était automatique : les relations hétérosexuelles se faisant sans protection aucune, les conceptions étaient nombreuses et la volonté n'avait pas grand-chose à voir là-dedans. Mais de nos jours, la grande majorité des adolescents et des adolescentes sont bien au fait des choses de la vie et savent très bien que des relations non protégées non seulement peuvent propager des maladies non désirables mais également engendrer un petit. Mais cette dernière conséquence ne fait peur à personne, pas même à des jeunes filles de bonne famille. Ici, on enfante. Et dans une douleur franchement exprimée, j'en témoigne! Le reste viendra après. Serait-ce le triomphe de la vie sur la médiocrité? En tout cas, avec un taux de fertilité de 3,07 par femme (par rapport à 1,58 au Canada), on ne s'étonnera pas que la croissance démographique du pays soit galopante : 24,4 naissances par rapport à 8,1 mortalités, soit un taux net de 16,3. Au Canada, nous avons 10,28 naissances pour 7,74 mortalités, soit un taux net de 2,54! Je sais, je sais, je vous embête avec tous ces chiffres, mais ils n'en reflètent pas moins une réalité édifiante qui nous permet de mieux comprendre les enjeux haïtiens, présents et à venir. Dont le premier et le plus évident : plus il y a de monde, plus l'espace rétrécit. On se marche sur les pieds, on vit dans la promiscuité et les conflits internes éclatent aisément. Juste pour vous donner quelques chiffres encore (les derniers, promis), la densité de population en Haïti est d'au moins 250 habitants au kilomètre carré contre 3,73 au Canada (5,76 au Québec). Bien sûr, vous allez me dire que le Canada n'est pas un exemple, puisqu'il s'agit de l'un des pays les moins densément peuplés de la planète — rigueur du climat oblige. Mais tout de même, la différence est énorme. Et visible : en Haïti, il y du monde partout! On ne peut pas faire une petite promenade dans l'arrière-pays sans se croiser 50 personnes sur son chemin. Vous voulez vous soulager discrètement derrière un buisson? Levez la tête et vous verrez ces enfants qui vous observent sans vergogne! La solitude, en Haïti, ça n'existe pas! De toute façon, à quoi ça sert, la solitude?
Vous allez me dire que cette réflexion n’est pas vraiment optimiste. Je ne dis pas le contraire. Mais elle ne m’empêche pas moins de me réjouir du merveilleux qui accompagne chaque naissance en devenir. Les filles enceintes sont radieuses, fières de leur bedaine comme un roi de sa couronne et riches de cet énorme privilège qu’est celui de porter la vie.
Après? Après, on verra. Le Ciel y pourvoira. Le reste n’a aucune espèce d’importance.
Et Emily dans tout ça? Eh bien elle est là, la tempête, du moins sur la carte, car au moment où je mets un point final à ce texte, le ciel est toujours d'un bleu limpide et le soleil brille de tous ses feux...
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