mardi 8 juin 2010
Contraste
Reçu au cours du week-end dernier, ce commentaire de l'ami Daniel, en rapport avec mon texte du mardi 25 mai et que je vous cite : «Impressionnant, le contraste entre cette photo de PAP et celle de la plage dans ton commentaire suivant. Il est difficile de croire que c'est le même pays. Est-ce qu'on doit passer par là pour se rendre chez toi? Si oui, je passe... mon tour!»
Je n'avais pas vu la chose sous cet angle, mais Daniel a tout compris : pour en arriver à ce petit coin de plage presque vierge «où la main de l'homme n'a jamais mis le pied», comme le disent les cancres (mais avouons que la formule est drôle), il faut voir des scènes humaines pas très jolies, il faut traverser Port-au-Prince, avec sa circulation automobile complètement anarchique et ses habitants qui tentent, tant bien que mal, d'assurer leur subsistance. Pour nous, qui sommes familiers avec cette réalité, la pauvreté et la misère n'ont pas le même sens : il n'y a rien ici de spectaculaire ou de médiatique, mais bien le difficile quotidien de ce peuple qui doit vivre cette vie, non pas parce qu'elle correspond à leur choix, mais bien parce que c'est comme ça. Rien d'autre. Or, pour un non-averti, cette pauvreté, cette misère peut faire très mal. On se dit: «Pourquoi?» Pourquoi ce peuple, par ailleurs si chaleureux et si généreux, doit-il endurer cet enfer? Qu'ont fait les Haïtiens pour mériter pareil sort? Rien, bien évidemment. Le peuple haïtien n'a pas commis de génocide, n'a pas promu l'esclavage, n'a pas envahi ses voisins, bref n'a rien fait que tenter d'organiser sa vie sur cette île tropicale où leurs ancêtres ont été amenés de force. Un peuple victime? Je n'aime pas tellement l'étiquette, mais il faut bien admettre que dans ce cas, elle s'applique... Rappelons que les Haïtiens ont certes conquis leur indépendance, mais ont hérité d'un pays rendu exsangue par la surexploitation des colons, espagnols d'abord puis français, les premiers le vidant de son or, les seconds de son bois précieux (ce qui est sans doute pire). Pas facile de remonter la pente, dans ces conditions-là! Le pays manquait déjà de tout, et le tremblement de terre de janvier dernier a semé la destruction, alors le résultat ne peut qu'être dans le négatif, pas besoin d'être mathématicien pour le comprendre... Cependant, comprendre l'équation ne la rend pas pour autant facile à accepter dans sa réalité physique, et je dois dire que la réaction de Daniel, médecin de surcroît, est bien compréhensible et tout à fait naturelle. Personne ne peut voir ces abris de fortune érigés çà et là sans ressentir un malaise; personne ne peut voir ces enfants souillés de boue, omniprésente, sans sentir l'injustice de cette situation; personne ne peut voir ces gens vaquer à leurs occupations quotidiennes dans des conditions physiques parfois choquantes sans détourner le regard. C'est dur, les amis. Mais ce n'est pas pitoyable pour autant. Car si l'empathie est une chose, la pitié en est une autre. Je n'aime pas la pitié que j'assimile à une forme de condescendance. Or, c'est bien l'attitude la plus répandue parmi les Blancs qui viennent au pays : on a pitié de ce pauvre peuple qui souffre. Mais les Haïtiens valent mieux que cela. Leur vie n'est pas facile, certes. Mais leur courage et leur résistance forcent l'admiration, pas la pitié. Alors oui, on peut, tout comme Daniel, se sentir bouleversé par ces scènes de pauvreté extrême, mais on ne doit en aucune façon oublier que ce peuple peut en remontrer à bien d'autres en termes de débrouillardise et d'adaptabilité. Alors oui, ces scènes sont dures, mais le film n'en reste pas moins passionnant. Vaut le déplacement, comme on dit. Cinq étoiles, certainement. Et s'il est quelqu'un que ce pays est en mesure de séduire, c'est bien l'amateur de diversité épicée, capable de stimuler l'appétit de connaître et la soif de savoir. Haïti n'est pas pour les mauviettes et les bouffeurs de canned food. Alors Daniel, tu aurais tort de passer ton tour...
Pour en revenir au contraste, c'est vrai qu'il est assez frappant. C'est vrai que le pays est d'une grande beauté. Les montagnes, la végétation luxuriante, le ciel bleu tropical et la mer turquoise composent des paysages souvent époustouflants. Haïti, autrefois connue comme la perle des Antilles, reste une île de beauté, et c'est là un fait indéniable. Mais cette beauté n'est pas mise en boîte, elle n'est pas exploitée par l'industrie touristique qui pourtant, en tirerait profit aisément. Car la beauté se vend bien et pourrait constituer une source de revenus non négligeable pour l'État haïtien. Mais les conditions présentes s'y prêtent mal : infrastructures inadéquates, instabilité politique et économique, approvisionnements difficiles et management incohérent font du tourisme une aventure incertaine à laquelle peu de visiteurs veulent se frotter. Lorsque Sophie est venue, on faisait des blagues en disant qu'elle était certainement la seule "touriste" à débarquer à Port-au-Prince... Mais était-ce vraiment une blague?...
Donc Haïti se gagne et pour accéder à sa beauté et à la convivialité de ses gens, il faut d'abord passer par le purgatoire de ses tas d'immondices et de ses routes boueuses. Mais le ciel direct, c'est pour les saints, non? Alors qu'est-ce qu'un petit purgatoire pour mériter le paradis haïtien? Paradis relatif, je n'en disconviens, mais bon. Qui voudrait d'un paradis à la mode musulmane, avec une jeune vierge à chaque jour?
S'abonner à :
Publier des commentaires (Atom)
Ton argument est très convaincant... et puis, je ne mange pas de canned food. Mais surtout, je ne voudrais pas passer pour une mauviette! On s'en reparle au mois d'août?
RépondreEffacer