Un autre jour. Un TGIF, comme disent les anglophones. Mais devrait-on remercier Dieu pour un vendredi qui termine une semaine d'horreur? Certes, nous sommes toujours en vie, et en très bon état de conservation, je dois l'admettre. Et notre ville, Les Cayes, a été épargnée de belle façon. Mais toute cette souffrance complètement inutile à Port-au-Prince, ces milliers de morts pour rien, cette destruction presque totale de meubles et d'immeubles, tout cela n'incite guère à la gratitude. On aurait plutôt tendance à regarder en l'air et à crier: "Hé! Là-haut! Lâche-nous un peu les baskets!" Mais ça ne risque pas. Les Haïtiens, je l'ai déjà dit précédemment, sont d'une endurance inégalable. Leur stoïcisme n'est pas philosophique: il est quotidien. Vous voulez une image biblique? C'est Job sur son tas de fumier qui, après avoir tout perdu, continue de louer le Bon Dieu. Le peuple haïtien, c'est ça.
Mais l'étendue de la destruction est telle qu'il faudra du temps, beaucoup de temps seulement pour mesurer le temps nécessaire à la reconstruction. Quant à la reconstruction elle-même, il faudra compter en années... Mais on y viendra. Lentement, mais sûrement. Sans jamais fléchir. Parce que c'est la vie, tout simplement. Ici, on n'en discute pas les termes. On ne juge pas la vie en termes d'accomplissements ou de sens. On ne dit pas: "C'est trop dur, je vais en finir avec la vie"; on vit, simplement. On continue. On avance en piétinant ou en se faisant piétiner, mais c'est comme ça. Ça ne se discute pas. C'est la vie...
Et la vie ici aux Cayes est bien meilleure, indécemment meilleure que celle de bien d'autres. Nous avons de l'eau courante et potable grâce à nos puits. Nous avons de la nourriture assez pour tenir pendant quelque temps. Et je le dis en toute modestie: j'ai eu la sagesse de remplir notre citerne de carburant (1,200 gallons US soit environ 6000 litres) mercredi matin, de sorte que nous sommes bons pour un petit bout de temps. Sera-ce assez pour tenir jusqu'à ce que la situation retrouve un semblant de normalité? Je ne sais pas. Impossible à dire. Mais nous sommes vraiment privilégiés en ce moment, alors je pense que oui, on peut dire "Thank God It's Friday". La fin de semaine ne fera pas une grosse différence--comment pourrait-elle en faire une?--mais elle permettra à un peu plus de temps de passer et donc aux choses de se tasser un peu plus. Pas nécessairement pour le mieux, car je vous l'ai dit: j'ai la conviction qu'on s'en va vers du mauvais, qu'on n'a pas vu le fond du baril de putréfaction. L'avenir nous le dira. Déjà, le carburant manque et le reste va suivre... Or, vu l'état du port à Port-au-Prince, c'est pas demain la veille qu'on pourra décharger les navires...
Changement de propos, les patients venus de l'Hôpital Général ont rapidement rempli l'espace que nous avions de disponible. Et ce fut manifestement très apprécié. On m'a dit--et je le crois--que la situation à l'Hôpital Général est épouvantable: les blessés sont partout, on m'a parlé d'une jeune fille amputée qui était là, au beau milieu du corridor, sans qu'on s'en occupe; du sang et des vieux pansements jonchent le sol et le personnel est tout à fait débordé. Ici au moins, on offre aux patients un lit. Propre. Et une assistance infirmière permanente. Bref, on offre des soins de santé décents. Malheureusement, on ne peut pas prendre une grosse quantité de gens. Une trentaine environ... C'est peu, mais ce peu est mille fois mieux que rien. Car comme je l'ai dit, c'est petite bouchée par petite bouchée qu'on avale cette nourriture infecte.
Et dire que je n'arrêtais pas de vous répéter qu'on coulait ici des jours calmes et sans histoires...
Thank's God it's Friday...
RépondreEffacerOn dit que Dieu aime les "démunis", les "pauvres. Moi je trouve qu'il s'acharne pas mal !!! Aucune image ni parole ne pourra rendre hommage à l'ampleur de la colère de la Nature. Ici, en Gaspésie, il fait trop froid en Hiver. L'été...il fait trop chaud. La viande est souvent trop, ou pas assez cuite et puis merde...on pogne la grippe !
Me voila tranquillement assise au fond de mon divan, un bon chocolat chaud à la main à regarder la télévision pour une des très rares fois,histoire de me "mettre à jour" dans les conversations du quotidien depuis les 72 dernières heures.Je devrais plutôt poser ma tasse sur ma table basse et lever les bras au ciel en criant: Ben Bon Dieu...Quess tu fais ??? Donne leur un brake sapristi !!! Je regarde cette masse compacte et par acquis de concience, je verse un don a CECI en espérant que ça fera une différence. Une différence ??? Est ce que ça fera une différence dans la douleur que "j'entend" à travers les larmes et les chants des survivants ? Un chacun pour soi, ou bien une solidarité, une féroce rage de vivre...ou plutpot de "survivre" jour après jour. Quelle leçon de courage me donne ce peuple Haitien. Quelle leçon d'humilité me donne cette Nature qui nous rappelle parfois QUI est le Maitre. Bravo pour votre soutient. Bravo pour votre disponibilité. Vous,vous reviendrez...probablement...un jour.Vous y êtes par choix. C'est d'autant plus honorable de votre part. Eux, continueront de survivre...et de croire.
psst: Je suis Lynda, la petite demi-soeur de Guylaine à Clausde ;)
RépondreEffacerMerci, merci 1000 fois de partager tout ça avec nous.
RépondreEffacerOn voudrait tellement pouvoir aider les gens... mais pour l'instant, à distance, la seule façon qu'on puisse faire, c'est un don.
On se demande ce que ça va changer, mais on le fait quand même, en espérant de tout coeur que ça puisse aider un peu.
Merci Lynda, Merci Anonyme. Ça fait du bien où ça passe.
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