L'onde de choc commence à se faire sentir...
Sartre, dans Huis Clos, fait dire à Garcin: "L'enfer, c'est les autres". Cette petite phrase, en apparence anodine et que Sartre voulait simplement représentative du point de vue existentialiste, prend maintenant ici tout son sens. L'enfer, ce n'est pas la capitale écrasée ou les immeubles détruits ni même les pertes de vies humaines; l'enfer, c'est les autres, ceux et celles qui ont survécu et qui s'efforcent maintenant de vivre tant bien que mal dans le chaos. Et qui sont prêts à tout pour y arriver. L'enfer, c'est une masse de gens dont les besoins de base, souvent simplement physiologiques (manger, boire, dormir) ne sont pas satisfaits. C'est très dangereux, ça. La grogne monte comme l'orage qui gronde au loin et qu'on sent s'approcher. Présentement, c'est encore à peu près sous contrôle, mais pas pour très longtemps encore; la digue de la retenue et du respect ne peut retenir le flot de quelque 300,000 personnes affamées, terrorisées, outrées. Quand je vous disais que le pire était à venir, c'est ça que je voulais dire. Si les secours n'arrivent pas rapidement à mettre un baume sur la plaie du peuple, ce sera la débâcle totale.
Ici, à notre petit hôpital, la digue tient. Les blessés ont envahi notre espace, c'est vrai, mais nous comblons leurs besoins essentiels alors ces gens ne se plaignent pas. Ils ont un lit, ils ont à manger, ils ont des médicaments et ils sont en sécurité, alors pour l'instant, que demander de plus? Mais la place nous manque pour accueillir tous ceux, toutes celles mal en point qui n'ont pas de place dans les autres hôpitaux. C'est un peu beaucoup désolant. Mais l'essentiel n'est pas de trop embraser, mais plutôt de bien contrôler ce qu'on allume. "Qui trop embrasse mal étreint" devient plutôt ici "Qui trop embrase mal éteint" et je pense pour ma part que c'est exactement ce qui est en train de se passer avec l'Aide internationale. Ils créent des attentes qu'ils ne peuvent éteindre avec des explications, si rationnelles et sensées qu'elles soient. On dit aussi, parlant de l'enfer, qu'il est pavé de bonnes intentions. Belle image qui s'applique plutôt bien au pays, à l'heure actuelle... Car les bonnes intentions jaillissent de partout, mais elles tombent à plat, faute d'une logistique adéquate.
On vient de me demander la permission de monter des tentes sur le terrain de l'hôpital pour désengorger un peu Port-au-Prince. Une équipe de chirurgiens de l'Université du Maryland est supposée arriver bientôt pour s'occuper des cas que nous avons, pour la plupart des cas orthopédiques et pour lesquels nous ne sommes malheureusement pas équipés. Encore une fois, on fait ce qu'on peut...
Plusieurs parmi vous veulent contribuer monétairement. C'est généreux et louable. Ce peut être une goutte d'eau dans l'océan des milliards qui seront nécessaires pour rebâtir la capitale, mais comme on dit couramment: "C'est avec des cennes qu'on fait des piasses." Alors envoyez votre goutte d'eau, tout en acceptant qu'elle ne sera qu'une petite partie de la masse liquide. Est-ce que tous ces dons parviendront vraiment au peuple haïtien? Sans doute pas. Pas tant par manque d'honnêteté qu'à cause de la complexité du processus. Mais bon. Je ne pense pas qu'il faille s'arrêter à cela. Le geste exprime plutôt une forme de solidarité qui rejoint celle d'Hemingway quand il disait: "Ne demande jamais pour qui sonne le glas, il sonne toujours pour toi." Le malheur des autres est toujours le nôtre. Et celui qui frappe Haïti présentement, ben les amis, c'est pas de la petite bière, je vous le dis tout net.
N'ap swiv...
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