vendredi 28 décembre 2012
Des poubelles qui choquent
J’ai lu cet article, puis cet autre et enfin celui de Marie-Claude Lortie (que j'aime bien) et j’ai eu un frisson de révolte. Ce qu’on y dit, en rapport avec le gaspillage de la nourriture, je le savais tout comme vous le savez, j’en suis sûr, mais se le faire exposer comme ça, dans toute son indécence, ça fait mal. Car les amis, vous savez où je demeure : dans ce pays qu’est Haïti, manger n’est pas une activité, mais bien une nécessité dont dépend la survie. Et je puis vous assurer que tout le monde, sans exception, connaît l’importance de manger quand il y a à manger car on ne sait jamais s’il y en aura demain. Or, la nourriture ici coûte cher. Notez que lorsque je parle de nourriture, je ne parle pas des croustilles (chips), des tablettes de chocolat ou de la crème glacée, mais bien de la nourriture essentielle ici : l’huile, les pois, le riz, la farine… Toutes ces denrées sont chères et leur prix continue de monter.
Pendant ce temps, au Québec (mais aussi dans le reste du Canada et aux États-Unis), on dissimule au regard les énormes conteneurs à déchets dans lesquels on jette ce qui suffirait à nourrir plusieurs Haïtiens. Remarquez, je ne dis pas qu’il faudrait acheminer ces excédents alimentaires jusqu’en Haïti, car bien que la chose soit faisable (après tout, l’avion ne met que quatre heures à faire le trajet entre Montréal et Port-au-Prince), elle n’est pas nécessairement souhaitable, pour des tas de raisons qu’il serait trop long d’expliquer. Mais la double réalité n’en est pas moins choquante pour autant. D’un côté (au nord) la pléthore de produits qu’on étale à l’indifférence du consommateur — celui-là même dont je vous parlais hier — et qui doivent être à la hauteur de ses attentes; de l’autre (au sud), trois ou quatre oranges formant une petite pyramide le long d’une rue sale. D’un côté, des abus de nourriture tels qu’ils engendrent des véritables maladies; de l’autre des gens qui ne mangent pas à leur faim. Car ici, en Haïti, les gens ne mangent habituellement qu’un seul repas substantiel par jour. S’ils en ont les moyens, bien sûr. Sinon, ce sera un chaque deux jours…
Ce matin encore, tandis que, assis dans la voiture, j’attendais ma compagne, je discutais avec un de ces gamins qui ne manquent jamais de venir voir s’ils ne peuvent pas me soulager de quelques sous. «M’grangou» (j’ai faim), fait-il en se tapant sur le ventre. «Mwenmen tou» (moi aussi), lui réponds-je en faisant de même. Il rit : «Ou pa grangou, vant-ou plen!» (Tu n’as pas faim, ton ventre est plein!). Je ris avec lui. Difficile en effet de prétendre que je souffre de la faim avec les réserves adipeuses que je garde autour de ma ceinture. Alors d’un ton docte, je lui cite le proverbe : «Vant vid se mizè, vant plen se traka!» (le ventre vide, c’est la misère, le ventre plein, c’est les soucis). Sourire béat du garçon : «Ou pale menm jan ak Ayisyen!» (Tu parles comme un vrai Haïtien!). On rit tous les deux. Ma compagne met un terme à ce passionnant échange et nous retournons à la maison.
Et comme toujours après de semblables épisodes, je me demande si le gamin avait vraiment mangé ce matin-là. On ne peut pas les encourager à mendier, car ils en deviennent totalement dépendants. La plupart du temps, c’est une tactique pour escroquer quelque menue monnaie. La plupart du temps. Car il arrive parfois que ce petit garçon dise la vérité : qu’il n’a pas mangé et qu’il n’a pas grand chance de pouvoir le faire s’il ne «tape» pas un blanc ou un «gwo nèg».
Et pendant ce temps, au Québec, on cache la nourriture qu’on jette parce qu’on sait que cela est honteux, scandaleux. Mais ça ne fait rien : après tout, que ne ferait-on pas pour satisfaire un consommateur avide de fraîcheur, de propreté et d’emballages aseptisés? Oh! Et j’oubliais : soucieux des dates de péremption!
Autre temps, autres mœurs, mais autre pays, autres réalités. La nourriture ici, ne se gaspille pas. Jamais. Il est temps qu’on se rende compte que dans nos sociétés d'abondance, quelque chose cloche… Et en passant, je vous suggère l'article de Marie-Claude Lortie qui sonne assez juste à mon oreille...
Et avec ça, l'heure de la bière qui approche...
jeudi 27 décembre 2012
Ces cadeaux qui embarrassent
C’est en lisant cet article ce matin que m'est venue l’idée de ce texte. Vous connaissez mon opinion sur la tradition des cadeaux autour de la fête de Noël et vous savez ce que je pense du mercantilisme et de la consommation que cet autre article ici touche directement.
Je vous l’ai déjà dit : Marx avait, dans les années 1840, déclaré sans ambages que l’argent, comme moteur de société, allait fatalement disparaître puisqu’il aliénait l’homme et que son pouvoir était trop despotique. Marx prévoyait qu’à la suite de cette rébellion contre l’argent et la propriété, la société moderne allait mettre en place un système de partage que, plus tard, des brillants ont nommé «système communiste» et dont ils se sont emparés pour leurs fins personnelles, avec un succès mitigé, il faut bien le dire. Mais ce «système communiste» s’est vite retrouvé dans l’autre coin du ring, face au «système capitaliste», lequel était censé contribuer à accroître la liberté des humains, style «plus d’argent = plus de liberté». On fait encore miroiter ces slogans à la gomme de sapin et certains s’y laissent encore prendre. Pourtant, je vois les deux articles mentionnés ci-dessus comme un signe que la conscience populaire s’éveille. Voyez par vous-mêmes : hier, la question du mini-sondage de La Presse était : «Irez-vous magasiner aujourd'hui pour profiter des aubaines du Boxing Day?» Eh bien j’ai trouvé bien intéressant de voir que sur 10,479 répondants, 92% avaient répondu non. Ces pseudo-aubaines n’attirent que les petits poissons naïfs, semble-t-il. Mais plus significatif est ce désir de vendre les cadeaux de Noël sur eBay ou ailleurs! J’adore. Pas pour les acheter, mais non! Mais parce que ça veut dire quelque chose. Ça veut dire que le cadeau a perdu son sens de don du cœur et n’est plus maintenant qu’un objet mercantile, échangeable, remboursable ou vendable. La valeur de l’objet se mesure à son prix, et non à l’intention de la personne qui l’a offert. Intéressant, n’est-ce pas? J’y vois pour ma part une évolution, un progrès dans la bonne direction.
Hélas! C’est un bien petit pas. Car de l’avis du prof de sociologie cité dans l’article de Marie-Michèle Sioui, le système actuel en est bien un de consommation, c’est-à-dire de production de bébelles que les gens, en bons consommateurs, se sentent obligés d'acheter sous peine de voir le système s’écrouler sous son propre poids, victime de la surproduction. Et j’avoue que j’aime particulièrement cette observation du professeur qui permet d’espérer que les choses puissent changer un jour : «Mais en travaillant dans d'autres sociétés, je me suis rendu compte que ce comportement-là est appris dans une large mesure. C'est surtout l'effet d'une éducation et d'une socialisation.» En d’autres termes, en inculquant aux jeunes d’autres valeurs que celles de la consommation, il y a espoir : le monde peut changer.
Dernièrement, sur un «post» facebook disparu depuis, je lisais que les objets étaient faits pour être utilisés et les gens, pour être aimés. Je ne suis pas vraiment d’accord. Les objets ont la valeur qu’on leur donne qui peut être l’utilité, c’est vrai, mais aussi ce qu’on appelle couramment la valeur sentimentale. Et de ce fait, on peut vraiment aimer un objet soit pour ce qu’il est, soit pour ce qu’il représente pour nous. Mais la valeur d’un objet n’est jamais son prix. Je n’ai rien contre la possession d’objets, entendons-nous bien : j’en ai contre la consommation excessive qui fait acheter des objets dont on n’a même pas besoin, qui n’ont aucune valeur sentimentale et qui n’ont comme valeur, qu’un bon rapport qualité-prix. D’où l’intérêt du «Boxing Day», sans doute… Somme toute, si vous n'avez pas aimé vos cadeaux, vous pouvez vous en débarrasser sans remords : tout le monde le fait maintenant...
En tout cas, un Noël sans cadeaux, je vous jure que ça se passe très bien. En autant qu’il y ait du cipâte au menu…
lundi 24 décembre 2012
Un autre Noël
Et alors? Êtes-vous comme moi chatouillé par l’odeur affriolante du cipâte qui cuit langoureusement? Je vous le souhaite, car s’il est un symbole du temps des Fêtes d’antan qui reste toujours vivant, c’est bien ce mets traditionnel, bien de chez nous et j’entends par là de ce Québec qui m’a vu naître. Incidemment, c’est le témoignage d’une anglophone, Carole Blier-Schlueter, qui résume le mieux cette réalité : «This wonderful dish is a very old recipe originating from Quebec. It is a huge meat pie which is served for the Christmas Holiday. A delight!!!» Reconnaissance sincère s’il en est une et à laquelle je me rallie sans restrictions : c’est un vrai délice. Le cipâte (ou cipaille comme maman s’évertuait à l’appeler, histoire de bien «perler») est un plat qui se mange tout aussi bien à n’importe quelle époque de l’année, remarquez, mais que, pour ma part, j’associe toujours au temps des Fêtes, plus spécifiquement à Noël, puisque à la maison paternelle — maternelle devrais-je plutôt dire —, c’était après la messe de minuit qu’on s’en empiffrait. Et je vous garantis qu’après une marche, même courte, sous le froid de la nuit, jamais adéquatement habillé (puisqu’on sortait de la messe n’est-ce pas), qu’on rentre à la maison et qu’on y est accueilli par cette odeur, l’appétit s’excite et je vous jure, mes frères, oubliez les 70 jeunes vierges, le paradis, c’est ça!
Cela dit, il faut bien admettre que les tropiques ne « sentent » pas Noël comme nos pays nordiques. Et non, ce n’est pas à cause de la modestie des décorations de saison, ni à cause des différentes odeurs culinaires comme à cause du climat. Noël n’est vraiment pas une fête tropicale. Je l'affirme. Je vous ai dit déjà que, même dans une conception païenne, Noël était grandement célébrée dans les pays nordiques parce que, oui oui, vous y êtes, c’est la fête du retour de la lumière! Sous les tropiques cependant, la différence est trop minime pour qu'on la souligne. Quant à ce cher petit Jésus censément né ce jour-là, là encore, on le présente dans une crèche entourée de neige (!), tableau qui écarte radicalement les tropiques... Mais qu'importe, puisque la fête reste une belle occasion de manger le cipâte!
Incidemment, ne me demandez surtout pas le rapport entre ce plat copieux et la naissance de Jésus, je n’en sais strictement rien. Mais bon. Quelle différence cela fait-il en bout de ligne? Les traditions sont faites pour être maintenues envers et contre toute logique car leur fonction en est une de renforcement de la culture et de l’identité sociale. C’est une des raisons pour lesquelles, même sous les tropiques, nous nous efforçons de perpétuer cette tradition, l’autre étant bien sûr le plaisir des sens. Néanmoins, je vous concède que ce plat riche en hydrates de carbone et en protéines s’accorde mieux avec une température extérieure sous le point de congélation qu’avec les 28°C que nous avons ici en cette saison… Mais ça fait rien, c’est bon quand même!
Quant aux cadeaux qui font aussi partie des traditions, je maintiens que leur statut est beaucoup exagéré. Noël est maintenant une fête commerciale au même titre que la St-Valentin ou l'Halloween et les marchands comptent évidemment sur les consommateurs compulsifs pour élever sensiblement leur chiffre d’affaires. Rien de bien romantique ni de bien culturel là-dedans, mais tradition tout de même. Car oui, il y en a qui aiment ça... Mais pas nous. De toute façon, nous avons tout ce qu’on peut désirer et même davantage, alors…
Un autre Noël donc, notre sixième en cet endroit du monde où nous avons élu domicile. Comme d’habitude, rien de spécial au programme, mais quelques jours de congé restent toujours fort appréciés, quoi qu’on en dise. À toutes et à tous, ma compagne et moi-même souhaitons un Noël de paix et d’harmonie capable de vous donner chaud au cœur.
JOYEUX NOËL!!!
P.S. La photo représente le cipâte dans sa phase préliminaire; je vous en donnerai une autre lorsqu’il sera prêt…
vendredi 21 décembre 2012
La fin du monde, quoi d'autre?
Je voudrais éviter le sujet que cela me serait bien difficile. Tout le monde en parle, certains avec le sourire, d’autres non sans une certaine excitation, d’autres enfin avec l’espoir que ce soit vrai : la fin du monde.
J’en ai parlé antérieurement, mais puisqu’aujourd’hui est le jour J, je pense qu’il vaut la peine que j’y revienne brièvement, non pas pour en discuter la pertinence ou le fondement scientifique, mais plutôt pour y mettre mon grain de sel, si modeste fût-il. Arrêtons-nous deux minutes : on parle bien de la fin du monde, c’est-à-dire la destruction totale du monde tel que nous le connaissons, incluant l’humanité dans son ensemble — mis à part quelques survivants, pour leur plus grand malheur d’ailleurs — de même que la vie végétale et animale. La fin du monde, c'est forcément quelque chose de gros, d'énorme. Ce ne peut être un fait isolé que les autres pays regarderaient à la télévision : il faut que ce soit universel. Alors dites-moi donc comment un tel événement dont l’envergure dépasse l’imagination pourrait se produire dans le cadre d’un jour, un maigre petit jour de tout juste 24 heures… Pas évident, hein? Eh bien vous avez tout compris de mes réserves, pour ne pas dire de mon scepticisme...
Je puis vous dire pour l’avoir vécu qu’une catastrophe majeure peut vraiment se produire sans prévenir, comme ce fut le cas du fameux tremblement de terre du 12 janvier 2010 (et non du 10 janvier, comme une journaliste de la Presse l’a écrit hier). Rien ne laissait prévoir cet éternuement géologique qui a mis le pays — la capitale surtout — sens dessus dessous. Oui, c’était une catastrophe, et pas tant pas par l’ampleur de l’événement (7,0 sur l’échelle sismique cela n’a rien d'exceptionnel) que par les désastres qu’il a entraînés. Je sais ce que vous allez me dire : que c’est Haïti, que tout était bâti un brin sur rien et que c’est l’effet domino qui a fait s’écrouler le château de cartes que sont les constructions haïtiennes. Tout cela est vrai. Tout comme il est vrai que les choses auraient été bien différentes si le même séisme avait eu lieu à Los Angeles, par exemple, ou au Japon, là où les constructions sont conçues pour résister à ces grands frissons telluriques. Mais — et c’est là où je veux en venir — vous comprenez alors pourquoi j’ai des réserves pour une catastrophe qui, au cours d’une seule journée, détruirait entièrement le monde, TOUT le monde, et ce, sans aucun signe annonciateur!... Ça me paraît bien difficile à avaler… Je ne dis pas que c’est impossible, remarquez, mais disons que ça me semble très, très, très peu plausible.
Il reste encore quelques heures avant qu’aujourd’hui devienne hier. Nous sommes donc encore dans le domaine du possible, bien que chaque heure qui passe le réduise d’autant. Mais je puis vous affirmer que le spectre de cette fin du monde annoncée ne pèse pas lourd pour moi dans cette journée qui n’en marque pas moins le solstice d’hiver de l’hémisphère nord, un événement astronomique que je considère digne de mention puisqu’il signifie, entre autres, la fin de la croissance de la noirceur et le retour du pendule. Pas grand-chose à l’échelle eschatologique, c’est vrai, mais voir les jours qui rallongent, c’est un peu comme savoir que l'avenir va arriver comme prévu, à l'heure dite et sans roulements de tambour...
Et je trouve ça rassurant... Pas vous?
mardi 18 décembre 2012
Une affaire de toilette
Non, je ne parlerai pas de la tuerie américaine. Ni de sa version chinoise — au couteau, pensez-y bien — car tout le monde en frissonne encore et bon, ces choses-là arrivent, comme on le dit souvent pour meubler le silence gênant. Car à la vérité, que dire?... Alors je passe.
Je choisis plutôt de vous parler d’un petit projet que nous avons présentement en chantier à notre petit hôpital. À un petit hôpital, les petits projets conviennent, vous ne trouvez pas? C’est un projet qui me trotte en tête depuis bientôt six ans et que j’ai sans cesse remis à une date ultérieure, non pas parce que c’était un mauvais projet, mais plutôt parce que je n’étais pas convaincu de la solution envisagée. Le projet? Remplacer nos latrines actuelles par des toilettes. Comme vous le voyez, rien pour en faire tout un plat, mais assez pour en faire quelques hors-d’œuvre.
Faut vous dire d’abord que nos latrines m’ont toujours fait honte. Sales, mal conçues et mal entretenues, sources d'odeurs vertigineuses, elles ne peuvent accommoder que ceux ou celles qui sont vraiment à l’extrême limite de leur retenue. Exiger que les gens y aillent plutôt que de faire leur pipi à l’air libre tient presque de la torture mentale, surtout lorsqu’il s’agit de personnes âgées. Problème donc, que j’ai souvent voulu résoudre mais dont la solution m’échappait. Fallait-il simplement les refaire? L’idée avait un certain mérite, car sa réalisation promettait d’être rapide et peu coûteuse. Mais qu’est-ce qui empêcherait ces nouvelles latrines de devenir semblables à celles qu’elles remplaceraient? Rien. Je rejetai donc l’idée en faveur de toilettes à la turque, communément appelées «toilettes à pédales», ces modèles si populaires en Europe il n’y a guère et qui le sont toujours d’ailleurs dans certains petits endroits. Et en Turquie, bien sûr... Quand on sait où poser les pieds et qu’on prend le temps de sortir du bassin avant de tirer la chasse d’eau, ces toilettes sont merveilleuses d’efficacité et, de surcroît, très hygiéniques puisque aucune partie du corps ne touche les surfaces. Évidemment, il faut pouvoir s’accroupir, ce qui peut causer problème dans nos pays nordiques, mais jamais ici en Haïti. Si bien que j’estimais — et j'estime toujours — l’idée bonne, mais faute de moyens techniques, je l’ai mise de côté pour finalement aboutir à ce que vous connaissez tous et toutes, la toilette standard. Qui, pour plusieurs raisons, est loin d'être idéale, mais on verra bien...
Nous n'en sommes qu'à la première partie du projet, laquelle consiste à aménager une fosse septique apte à recevoir ce qu’on lui destine. Évidemment, les avis diffèrent quant à la taille de la fosse et les détails de sa construction. C’est finalement Internet qui aura eu gain de cause grâce à un petit schéma tout ce qu’il a de simple qui permet de visualiser comment cela doit fonctionner. Là encore, ce n’est qu’après quelques mois d’usage qu’on pourra voir si ça marche convenablement. Pour les puristes, je dirai simplement que l’endroit où nous avons creusé cette fosse n’aurait jamais passé le test de percolation si nécessaire en nos pays…Mais bon. On verra, je le redis.
C’est un projet que je comptais bien terminer avant la fin de l’année, mais comme c’est parti, je pense qu’il empiètera hardiment sur 2013… Mais l’essentiel est que ce soit fait, n’est-ce pas?
À suivre...
Je choisis plutôt de vous parler d’un petit projet que nous avons présentement en chantier à notre petit hôpital. À un petit hôpital, les petits projets conviennent, vous ne trouvez pas? C’est un projet qui me trotte en tête depuis bientôt six ans et que j’ai sans cesse remis à une date ultérieure, non pas parce que c’était un mauvais projet, mais plutôt parce que je n’étais pas convaincu de la solution envisagée. Le projet? Remplacer nos latrines actuelles par des toilettes. Comme vous le voyez, rien pour en faire tout un plat, mais assez pour en faire quelques hors-d’œuvre.
Faut vous dire d’abord que nos latrines m’ont toujours fait honte. Sales, mal conçues et mal entretenues, sources d'odeurs vertigineuses, elles ne peuvent accommoder que ceux ou celles qui sont vraiment à l’extrême limite de leur retenue. Exiger que les gens y aillent plutôt que de faire leur pipi à l’air libre tient presque de la torture mentale, surtout lorsqu’il s’agit de personnes âgées. Problème donc, que j’ai souvent voulu résoudre mais dont la solution m’échappait. Fallait-il simplement les refaire? L’idée avait un certain mérite, car sa réalisation promettait d’être rapide et peu coûteuse. Mais qu’est-ce qui empêcherait ces nouvelles latrines de devenir semblables à celles qu’elles remplaceraient? Rien. Je rejetai donc l’idée en faveur de toilettes à la turque, communément appelées «toilettes à pédales», ces modèles si populaires en Europe il n’y a guère et qui le sont toujours d’ailleurs dans certains petits endroits. Et en Turquie, bien sûr... Quand on sait où poser les pieds et qu’on prend le temps de sortir du bassin avant de tirer la chasse d’eau, ces toilettes sont merveilleuses d’efficacité et, de surcroît, très hygiéniques puisque aucune partie du corps ne touche les surfaces. Évidemment, il faut pouvoir s’accroupir, ce qui peut causer problème dans nos pays nordiques, mais jamais ici en Haïti. Si bien que j’estimais — et j'estime toujours — l’idée bonne, mais faute de moyens techniques, je l’ai mise de côté pour finalement aboutir à ce que vous connaissez tous et toutes, la toilette standard. Qui, pour plusieurs raisons, est loin d'être idéale, mais on verra bien...
Nous n'en sommes qu'à la première partie du projet, laquelle consiste à aménager une fosse septique apte à recevoir ce qu’on lui destine. Évidemment, les avis diffèrent quant à la taille de la fosse et les détails de sa construction. C’est finalement Internet qui aura eu gain de cause grâce à un petit schéma tout ce qu’il a de simple qui permet de visualiser comment cela doit fonctionner. Là encore, ce n’est qu’après quelques mois d’usage qu’on pourra voir si ça marche convenablement. Pour les puristes, je dirai simplement que l’endroit où nous avons creusé cette fosse n’aurait jamais passé le test de percolation si nécessaire en nos pays…Mais bon. On verra, je le redis.
C’est un projet que je comptais bien terminer avant la fin de l’année, mais comme c’est parti, je pense qu’il empiètera hardiment sur 2013… Mais l’essentiel est que ce soit fait, n’est-ce pas?
À suivre...
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samedi 15 décembre 2012
Transat Tours en Haïti?
J’ai lu cet article hier. En ai été saisi. Puis, j’en ai discuté avec ma douce moitié qui en a été saisie elle aussi. J’imagine que Transat Tours a dû analyser la chose en profondeur avant de sortir publiquement avec cette annonce, mais tout de même, pour nous, vu l'état du pays, disons que ça nous laisse sceptiques… J’espère seulement que, comme tous les sceptiques, nous serons confondus par le succès de l’entreprise. Mais pour l'heure, les doutes sont de mise…
J’ai abordé la question du tourisme en Haïti à quelques reprises dans cette chronique. Une dizaine de textes de facture variable. Mais qui reviennent toujours au même leitmotiv : le tourisme peut marcher ici comme partout ailleurs. Pourquoi alors ces réticences vis-à-vis l’annonce de Transat Tours? Simplement parce que ça me semble une affaire de charrue devant les bœufs. Car malgré l’annonce de l’ouverture du Royal Oasis, un hôtel de grande classe à Port-au-Prince, il me semble qu’on va vite. Style «prêt pas prêt, j'y vais!» J'avoue avoir peur que ce soit un peu trop vite et que, comme plusieurs heureuses initiatives, l'essor touristique meure dans l’œuf.
On parle en effet d’une expérience novatrice, destinée aux touristes qui apprécient le mariage «découverte et détente». Détente, à l’hôtel, sur le bord de la piscine, oui, j’y crois. Mais pas ailleurs. Y’a pas de détente à se promener dans ces rues surpeuplées où les scènes du quotidien sont au mieux sources de stress, au pire choquent carrément. Je sais, je sais : vous allez me dire que ça, c’est la partie «découverte ». Je veux bien, mais je ne suis pas sûr… «Ce que nous offrons, ce n'est pas seulement du sun and sand, expliquait jeudi, la porte-parole d'Air Transat, Debbie Cabana, à la suite de l'annonce par le transporteur de ce nouveau forfait. On n'isole pas le touriste. L'idée, c'est de lui faire redécouvrir le pays.» Et plus loin : «Transat se défend bien, avec sa nouvelle formule, de vouloir verser dans le tourisme voyeurisme». Tout ça est bien beau, mais dans la réalité haïtienne, il me semble que ça sonne creux.
Car pour ceux qui ne connaissent pas, Port-au-Prince, la capitale du pays, n’a rien de bien affriolant : rues bondées, circulation difficile à tout moment, odeurs nauséabondes, étalage excessif de pauvreté, sans oublier le risque toujours présent de se faire braquer ou d’être pris dans une fusillade… La capitale, c’est là où l’on va pour affaires et pour nous, c’est bien le seul intérêt qu’on y trouve. Les touristes auront-ils droit à un tour de ville guidé? Je vois mal la chose, mais bon… Quant au voyeurisme, il me paraît bien utopique de croire que l’on peut passer à côté. Tous les touristes sont, par définition, voyeurs. En fait, c’est précisément ce qu’ils veulent : voir. La réalité toute nue, sans filtre. Mais sans risque, n’est-ce pas? Faudrait quand même pas choper une balle perdue ou attraper la typhoïde, hein! Les touristes en auront-ils pour leur argent?
Mais en dépit de mes réserves, ma compagne et moi sommes d’accord qu’à «1,379$ par personne pour une semaine, comprenant hôtels, excursions et deux repas par jour», ce n’est pas si cher, compte tenu qu’un simple aller-retour Montréal—Port-au-Prince peut parfois coûter plus, selon les périodes d'achalandage. Mais il ne faut pas oublier non plus que pour moins de $1,000, on peut trouver, à Cuba ou en République Dominicaine, un tout-inclus les pieds dans le sable... Haïti sera-t-elle à la hauteur? Seul l'avenir le dira...
J'espère seulement que les premiers qui s'y risqueront ne seront pas du type qui, à leur retour, clament bêtement: «Chu t’allé en t’haïti la semaine passée!... On n'a pas trop mal mangé, c’tait pas pire… »
dimanche 9 décembre 2012
Erreur de jugement
Je vous raconte ce qui suit pour vous illustrer une fois de plus ce que je vous ai déjà dit mais qui n’en finit jamais de nous surprendre et parfois de nous choquer. Je parle ici de la résignation haïtienne.
Jeudi dernier, alors que je suis à bavarder dans la cour avec quelques personnes, une dame arrive et après s’être poliment excusée pour l’interruption, m’annonce qu’elle vient de se faire avoir par un chauffeur de taxi-moto qui l'a proprement filoutée de 1000 gourdes (25 $) en prétextant qu’il allait lui faire de la monnaie. Puis il a filé sur sa moto sans demander son reste... Chacun y va de son grain de sel, plusieurs condamnent la malhonnêteté du chauffeur et tous s’entendent pour déplorer la naïveté de la dame. Laquelle n’a plus d’argent pour les soins médicaux de sa fille, vous vous en doutez bien. Je lui dis de ne pas s'en faire trop et de passer me voir. Quelques minutes plus tard, je la reçois dans mon bureau et lui exonère les frais de chirurgie de sa fille, lesquels se montent à environ 35 $. Un peu plus tard, la dame revient avec son ordonnance médicale : j’accepte encore une fois de l’exempter de payer, même si ce n’est pas bien cher. Jusque là, tout va. Mais lorsque je l'ai revue passer ma porte une troisième fois, j'avoue que j'ai commencé à perdre patience et lorsque j'ai constaté que c'était pour se faire exonérer un test de laboratoire d’environ deux dollars, là je me suis dit : «Ça fera.» Et j'ai tancé la dame en lui disant que je ne croyais pas qu’elle n’avait pas ce montant pour le test, qu'elle abusait de ma crédulité et que si c’était vraiment le cas, elle devrait s’en passer tout simplement. Non, mais des fois... La dame, fort contrite, est partie penaude sans demander son reste. Je l'ai vue encore à quelques reprises, mais n'en ai pas fait de cas. Or, hier matin, samedi, voyant la dame toujours assise sur son banc, j'ai demandé à ma compagne (qui l'est aussi au travail) d'aller aux nouvelles. C'est alors que j’ai appris que la fille de la dame n’ayant pas passé le test de laboratoire, le médecin refusait de lui donner son congé médical! J’en suis devenu tout chose… Je croyais vraiment qu’elle avait de quoi payer ce test, moi!… Lourde bourde pour quelques gourdes! Erreur de jugement de ma part, je le reconnais bien volontiers, mais avouez qu’à la place de la dame, vous eussiez insisté un peu là!
C’est pour cela que je vous dis : cette résignation des gens du peuple — surtout les petites gens — surprend et rend mal à l’aise. Alors qu’il suffirait seulement de parler, d’expliquer brièvement la situation, genre «je viens de loin et je n’ai plus d’argent» ou dans le cas que je vous narre «le médecin a besoin du test du labo et je n’ai pas d’argent pour le payer», ces gens se taisent, baissent la tête — s’attendent sans doute à se faire battre en sus — et s’éclipsent le plus discrètement possible. Et le pire, c’est que le personnel infirmier, tout à fait au courant des exigences du médecin et de l’état incomplet du dossier de la patiente, ne va pas plus loin, ne pose aucune question et ne cherche en aucune façon à connaître le pourquoi de la chose. «C’est comme ça.» On se résigne et on attend que ça passe. Et tant pis si la personne reste malade, tant pis même si sa vie en dépend, on ne dit rien, on attend que les choses se tassent d’elles-mêmes et que le temps fasse son œuvre, en bien ou en mal, bondye konnen…
Oui, c’est vrai, la résignation de ce peuple force l’admiration, je l’ai dit précédemment. Mais parfois, elle énerve au plus haut point! Quand elle devient de la soumission excessive, entre autres. Comme si des relents d’esclavagisme traînaient toujours dans l’air du temps…
De quoi s’en sentir bien malheureux…
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jeudi 6 décembre 2012
Corruption, dites-vous?
Ce qui suit est presque un complément de programme à mon texte précédent. En effet, on parle beaucoup de corruption, ces temps-ci, et qui dit corruption dit argent, n’est-ce pas? Car autrement, on corrompt avec quoi? Des faveurs sexuelles? Peut-être dans certains cas, mais pas majoritairement; et d’ailleurs, ces faveurs ne sont-elles pas monnayables en bout de ligne? L’argent donc, est source de corruption. L’argent et les faveurs qui vont avec. Sexuelles si vous y tenez, mais il y en a d’autres, bien entendu… Quoi qu’il en soit, vous comprenez ce que je veux dire et c’est ça qui compte.
Or, la corruption (et ici, je vous invite à consulter l'article assez intéressant de Wikipédia sur le sujet), quelle que soit la forme qu’elle emploie, agace, choque, irrite, bref déplaît souverainement probablement parce qu’à sa base, se trouve l’injustice et l’iniquité. Ainsi, l’une des formes de corruption les plus répandues, c’est le copinage — Cronyism en anglais (avec beaucoup plus de détails) — où l’on favorise des amis sans égard à leur mérite. En fait, cette pratique s’oppose à la méritocratie, laquelle dit bien ce que son nom implique. Notez que le copinage se distingue du népotisme qui favorise les liens familiaux plutôt que les copains, mais l’effet reste le même, alors inutile de chipoter. Plus grave est la kleptocratie (kleptocraty en anglais), autrement dit un gouvernement de voleurs, lequel représente une forme de corruption à grande échelle mais dont tellement de gens profitent qu’elle s’en solidifie et devient souvent indécrottable. Et finalement, la plus courante, celle à laquelle on pense quand on entend parler de corruption : les fameux pots-de vin (bribery) qui ramassent tout ce que vous voulez sauf du vin…
Tout ça pour vous dire que ces diverses formes de corruption ne passent pas inaperçues. Mais comme elles sont la plupart du temps le fait des dirigeants ou en tout cas, de personnes en situation de pouvoir, elles restent souvent impunies et leur existence même ne s’en trouve aucunement menacée. Jusqu'à ce que le chat sorte du sac, comme c'est arrivé au Québec au cours des derniers mois.
Or, hier, au hasard de mes lectures, voilà que je tombe sur l’article de Haiti Press Network qui souligne la piètre performance d’Haïti d’après l’évaluation annuelle de Transparency International. Cependant, dit l’auteur, il faut se consoler car la performance d’Haïti est supérieure à celle de l’an dernier… Rien là pour surprendre. Haïti est corrompue, c’est un fait notoire et connu de tout le monde. Mais l’est-elle autant que ce vil Québec, toujours enclavé dans ce non moins vil Canada? Curieux, j’ai vérifié. Et devinez quoi : le Canada se classe 9e sur 175, ce qui est quand même respectable, vous ne trouvez pas? Qui plus est, au cours des dix dernières années, ce score est resté à peu près le même — tout comme celui d’Haïti d’ailleurs, ce qui me fait croire que le statut du pays ne change pas tant que cela. Donc, Haïti est 165e, à 5 positions de la queue (à cause des pays qui arrivent ex-æquo) et le Canada, 9e, devant la plupart des pays européens, devant les États-Unis (19e), en fait, à cinq positions de la tête seulement, quand même...
Alors quoi qu'on en dise et quoi qu'on en pense, le Canada, et par extension le Québec, n'est pas si corrompu que les médias ont bien voulu le laisser entendre. Certes, il y a eu des irrégularités scandaleuses (d'où les scandales provoqués, incidemment), mais globalement, je pense qu'il faut savoir faire la part des choses. Et si vous avez encore des doutes, venez vivre ici en Haïti, venez parler avec ses gens, venez voir ce qui se passe et vous saurez... Vous saurez à quoi un cancer ressemble...
mardi 4 décembre 2012
Bien mal acquis...
J’ai déjà parlé d’argent en ces lieux d’écriture qui me sont chers. Plus d’une fois, et pour cause : le sujet reste toujours d’actualité. Mais aujourd’hui, ce que je viens de lire me fait sourire et me choque à la fois. Lisez ça sans rire : «Lorsque les policiers de l'escouade Marteau se sont présentés chemin des Cageux à Laval pour une perquisition dans le luxueux condo occupé par Gilles Vaillancourt, sa cousine, propriétaire officielle des lieux et aussi sa voisine, a jeté dans les toilettes une liasse de billets de banque.» Comme si c’était de la cocaïne ou de l’héroïne ou quoi encore… Mais le plus drôle est dans la phrase suivante : «Comme il s'agissait notamment de nouveaux billets fabriqués en polymère, ceux-ci ne se sont pas désagrégés. Ils ont plutôt flotté, bloquant aussi la cuvette des toilettes.» Ne me dites pas que vous ne trouvez pas la chose cocasse! J’ajoute par ailleurs que, si la quantité de billets était suffisante — et je pense que l’on peut assumer qu’elle l’était, sinon pourquoi la panique —, même si les billets avaient été en papier, leur simple masse aurait tout de même bouché la toilette, tout autant que n’importe quelle masse de papier mouillé. Mais le point n’est pas là : la dame a tenté de se débarrasser de cet argent en le détruisant et ça les amis, c’est tout de même significatif! Car je ne sais pas pour vous, mais pour nous, c’est clair qu’on n’a pas les moyens de jeter l’argent par les fenêtres! Et même, par les fenêtres, c’est un moindre mal car il s’en trouvera sûrement pour profiter de cette manne inespérée… Mais dans les toilettes? Excusez-moi, mais ça fait chier!
Je sais, je sais, vous allez me dire ce que je vous ai déjà dit, à savoir que l’argent n’a pas d’odeur et que le fait qu’il soit passé par une toilette, fût-elle pleine de ce que vous imaginez, ne lui enlève en rien sa valeur; je ne concède pas le point. Mais tout de même, quand on en est rendu à jeter l’argent, il y a quelque chose qui cloche, vous ne pensez pas? Surtout que, puisque les billets sont en polymère, on peut raisonnablement assumer qu’il s’agit ici de billets de 100 $, ce qui n’est rien pour améliorer la situation!
L’argent ne fait pas le bonheur; tout le monde connaît le proverbe. On pourrait en conclure qu’il est dès lors parfaitement vain d’en poursuivre le cumul, mais en vérité, l’argent se fiche éperdument du bonheur. Tout le monde connaît ce que j’appellerai le syndrome Séraphin, où l’argent (l’or dans son cas) ne sert plus de monnaie d’échange, mais devient bel et bien l’objet d’une vénération, voire d’une adoration malsaine et maladive. Ces gens de pouvoir qu’on connaît maintenant comme des corrompus avaient-ils vraiment besoin d’accepter tout cet argent qu’ils savaient sale et qu’ils éprouvent maintenant le besoin de laver dans leur toilette? Pouvaient-ils simplement dire non merci? Pouvaient-ils ne pas succomber à l’appât du gain facile? Franchement, je ne sais pas. N’étant pas moi-même un parangon de vertu, je me sens mal placé pour juger celui ou celle qui accepte un alléchant pot-de-vin en échange d’un petit passe-droit. Moralement, ce n’est pas correct, nous sommes d’accord. Mais humainement, car c’est là le fond de l’affaire, humainement, pouvons-nous décemment lancer la première pierre à tous ces corrompus du pouvoir? Pouvons-nous affirmer sans l’ombre d’un doute que, mis dans une situation similaire, notre vertu s’élèverait haut et fort et prendrait le pas sur toute tentative de fermer les yeux sur une situation croche? Pas sûr, pas sûr… En tout cas, je ne veux pas juger, mais si vous touchez de l’argent, mérité ou non, il me semble que c’est sûrement pour faire mieux que de le jeter aux ordures, car ça, c’est une gifle cinglante au visage de tous ceux, toutes celles qui travaillent dur pour en obtenir. Il y a tout de même des limites… Et même si l’on me dit que la «cousine» n’est pas en cause, qu’elle n’est pas impliquée dans ces affaires louches, le seul fait qu’elle ait agi de la sorte la rend, à mes yeux, indubitablement coupable. À moins que ce soit une autre illustration du proverbe qui dit que «Bien mal acquis ne profite jamais».
Mais de grâce, si vous avez de l'argent en trop, plutôt que de le "flusher", comme on dit, vous pourriez peut-être vous arranger pour nous envoyer un petit chèque? Je vous garantis qu'ici, il serait utilisé à bon escient...
samedi 1 décembre 2012
Violence à Jérémie
Je sais que vous ne vous sentirez pas concernés. Et je ne vous en tiendrai pas rigueur, simplement parce des choses qui se passent dans un autre monde, sur une autre planète presque — la planète Haïti — ne comptent pas vraiment pour vous dans votre monde déjà dans l’effervescence de Noël. En fait et pour parler franchement, même pour nous, les événements de Jérémie sont distants et de peu d’importance. Pourtant, pour ceux qui y sont impliqués, l’affaire n’est pas rose. En deux mots, il semble que l’entreprise de construction qui travaillait à la réfection de la route reliant Les Cayes à Jérémie ait déclaré qu’elle abandonnait le projet. Il n’en fallait pas plus pour déclencher l’ire des gens de Jérémie, lesquels sont passablement isolés du reste du pays — faute d’une route adéquate, justement. Branle-bas de combat, donc, pneus qui brûlent, pierres, matraques, balles, tout y est et toute la semaine, la ville a été le théâtre de manifestations violentes qui ont fait des morts, oui. Voyez ce qu’en dit Frantz Duval, éditorialiste du Nouvelliste :
« Pris dans les innombrables colloques […], les membres du gouvernement se sont fait prendre de vitesse par une rumeur : la route ne sera pas construite, les équipements de OAS [l’entreprise brésilienne chargée des travaux] retournent au Brésil. Il n’en a pas fallu plus pour que, de colère en protestation, il y a (sic) mort d’homme et un déploiement inédit de la Police nationale d’Haïti dans une ville de province… »Sans oublier la route (mauvaise, soit mais route quand même) complètement bloquée pour la circonstance, isolant de ce fait la ville encore plus. Et tout ça pourquoi? Pour protester. Contre une décision dont on ne connaît même pas le fond. Est-ce seulement vrai? Est-ce définitif? Est-ce un simple changement d’équipes de travail? Comme l’ajoute M. Duval : « On aurait pu éviter que le sang coule pour cette affaire de route qui finira bien par être construite. » C’est là le point essentiel : la route finira bien par être complétée, car les travaux sont déjà avancés. Et finiront bien par finir un jour… Simple question de patience. Mais ce n’est pas ce qu’on veut entendre. N’oubliez pas le proverbe : quand on veut battre son chien, on dit qu’il a la rage. Quand on veut taper sur le gouvernement, toutes les occasions sont bonnes. On dit — et j’ai tendance à croire qu’il y a là un fond de vérité — que toute cette histoire a été fomentée par des opposants au président Martelly et qu’elle sent la politique à plein nez. Exciter la grogne publique, la diriger contre l’actuel gouvernement, créer le chaos, mobiliser la police et lui donner mauvaise presse, tout cela ne peut servir que les intérêts de ceux qui veulent déstabiliser le pays. Pour leur propre compte, il va sans dire. Car à quoi sert le pouvoir, sinon à s’enrichir outrageusement?
Tout cela pour vous dire que bien que le ciel soit encore bleu sous l’égide de Martelly, on sent que ses beaux jours sont comptés. « Un président touristique », remarque l’un de nos employés. On trouve maintenant qu’il voyage trop, qu’il multiplie les rencontres de haut niveau sur la scène internationale, bref qu’il ne gouverne pas là où il devrait le faire. Et s’il demeurait au pays, on dirait sans doute qu’il n’a pas l’envergure d’un chef et qu’il reste trop dans son petit cocon douillet… Allez donc plaire à tout le monde…
En tout cas, les événements de la semaine dernière à Jérémie illustrent bien mon point : le bateau gouvernemental commence à prendre l’eau et le moment n’est peut-être pas loin où sa flottabilité va être compromise… Et je vous avoue que le fait de s’y attendre ne rend pas pour autant la perspective plus intéressante. Mais bon. La vie en Haïti, c’est ça aussi…
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