dimanche 29 avril 2012

La valeur de l'aide


Aujourd'hui, je passe sur les événements du Québec. Aujourd’hui, je veux plutôt commenter la nouvelle du passage d’un prof de sciences économiques à l’UQAM à Port-au-Prince et des propos qu’il y a tenus. Car ce sont des propos osés mais qui sonnent justes à mon oreille de non-spécialiste. En deux mots comme en mille : l’aide internationale n’aide pas vraiment. Pas parce que l’argent n’arrive pas à destination, comme je le croyais avant de lire l’article et comme vous le croyez sûrement : simplement parce que l’aide crée une forme de dépendance qui, en bout de ligne, nuit au développement durable. Je vous invite à lire l’article, car je n’ai pas l’intention de vous redire ce qui s’y trouve fort bien dit, à savoir : les exagérations pour obtenir l’aide, la corruption qui s’en suit, la dépendance qu’elle crée, et j’ajoute, l’apathie et le fatalisme qui en font partie sans oublier bien sûr l’ingratitude. En fait, ce que l’aide internationale accomplit, c’est une infantilisation de la population haïtienne. Ça, ce n’est pas dans l’article, mais c’est mon avis tout de même. Et je vous cite la conclusion qu’on attribue au professeur en question : «Il ne faut pas compter sur l'aide. Le développement ne peut venir que de l'intérieur d'un pays qui se mobilise.» Or, c’est précisément ce que l’aide empêche, la mobilisation du pays. Et la chose se comprend aisément si l’on prend un exemple concret.

Vous vous cassez le pied. On vous met dans le plâtre et on vous prête des béquilles pour que puissiez néanmoins vous déplacer. La cheville guérit, mais vous avez peur de recommencer à vous porter sur le pied estropié, alors vous prolongez la période béquilles parce qu’elle constitue un moindre mal. Or, il faut oser remarcher pour se rendre compte que les béquilles ont fait leur travail et qu’elles ne sont plus nécessaires. Mais le problème c’est qu’on s’y fait, aux béquilles… Et depuis le temps que le pays avance à l’aide de béquilles internationales, on comprend qu’il devienne presque impensable de faire autrement… Et pourtant…

Pourtant, les béquilles fournies depuis le tremblement de terre ont fait leur travail : les gens étaient sans abri, on leur en a fourni; l’eau potable brillait par son absence, on en a distribué; les sanitaires n’existaient pas, on en a construit. Bref, on a aidé le peuple de la façon la plus simple qui soit : en leur donnant ce dont ils avaient un besoin immédiat. C’est d’ailleurs l’une des recommandations du prof de l’UQAM : «Une aide efficace est une aide qui est la plus directe possible, limitée dans le temps, coordonnée et qui mobilise les populations.» Mais alors, me direz-vous, que penser des organisations qui construisent écoles, hôpitaux ou orphelinats et qui s’implantent dans le pays à qui mieux mieux? Je dis qu’il y a là un danger de tomber dans le piège d’une immixtion dans des structures qui ne nous appartiennent pas, qu’il ne nous appartient pas de juger et encore moins de réformer. C’est là le rôle de l’État. Cela dit, rien n’empêche de lui donner un coup de main, en autant que l’État le demande et en reconnaisse la nécessité. C’était le cas après le tremblement de terre, ce l’est moins maintenant…

Si bien que vous voyez le paradoxe : l’aide se révèle souvent un remède pire que le mal qu’elle entend traiter et pourtant, sans aide, le pays vacille. Une situation pas facile pour laquelle le remède miracle, justement, n’existe pas.

Quant au Québec, c'est à se demander si ce n'est pas lui qui aurait besoin de l'aide internationale à l'heure actuelle pour se sortir d'un bourbier qui commence à sentir drôle...


mardi 24 avril 2012

Le pays à la dérive?


Ça ne va pas très bien au pays des Haïtiens. On le sait, tout le monde le sait, mais tout le monde préfère fermer les yeux sur la chose car qu’y peut-on? Tout le monde sauf quelques journalistes hardis qui n’hésitent pas, au péril de leur vie parfois — et non, je n’exagère rien, croyez-moi —, à dénoncer l’absurde. Ainsi le fait Frantz Duval dans son dernier article intitulé «Absè sou klou». Je ne la connaissais pas celle-là : l’abcès sur le clou. On parle au figuré, bien sûr, mais admettez que c’est une belle image de mal qui devient encore plus mauvais.

Qu’est-ce qui devient plus mauvais? Eh bien à vrai dire, tout! Martelly est malade et ce semble bien vrai, on parle d’embolie pulmonaire, on dit qu’il aurait pu en mourir, on dit qu’il se remet, mais le fait demeure : il brille surtout par son absence du pays, de ce pays dont il est le chef-en-chef. Il n'est pas là, certes, mais en principe, quand le président s’absente, quelqu'un assume la charge de maintenir la barre pointée sur le bon azimut, et ce rôle est habituellement celui du premier ministre. Mais le pays n’a pas encore de premier ministre reconnu! Si bien que, vous l’avez compris, c’est sur le pilote automatique que le pays fonctionne présentement. Et le pilote automatique, ça peut toujours aller sur une autoroute déserte, mais sur un parcours comme celui que suit la nation haïtienne, c’est un peu problématique…

En fait, c’est en peu de mots que Duval brosse le tableau peu reluisant de la situation générale qui prévaut actuellement dans le pays. Jusqu’aux fossoyeurs qui s’en mêlent! Tenez, je vous cite le passage textuel tellement il est éloquent :
«En Haïti, où tout arrive à la fois, les employés du cimetière de Port-au-Prince se sont mis en grève ce lundi pour réclamer six mois d'arriérés de salaire dus par la mairie de la ville. Pour frapper l'imagination, ils ont brûlé des cercueils devant l'entrée de la nécropole et empêché des enterrements d'y entrer.»
La situation est alarmante, ne minimisons rien. Hier, l’entrée routière à la capitale (Carrefour, comme on l’appelle) était bloquée par des manifestations dont les policiers se sont faits les complices passifs. Rien de rassurant, vous serez d’accord… «On est sur place, mais on ne fera aucune intervention», ont-ils déclaré le plus sérieusement du monde. La police. N’intervient. Pas. Je ne sais pas pour vous, mais il me semble que si j’étais un voleur ou un vandale, je me dirais «Let’s go! C’est le temps où jamais de tout saccager sans craintes de représailles!...» Je ne sais pas comment les choses vont évoluer mais je le redis : ce n’est pas tellement rassurant…

Heureusement, aujourd’hui, la route est rouverte. C’est lent, mais ça passe. De toute façon, ce goulot d’entonnoir est toujours lent, même dans les meilleurs moments, alors… Néanmoins cela ne veut pas dire que tout est rentré dans l’ordre, car demain est un autre jour et la foire risque de reprendre de plus belle. Bien sûr, on comprend l’insatisfaction croissante, on comprend la frustration et l'amertume, mais cela ne veut pas dire qu’on peut la résoudre en criant lapin. Au moins si le gouvernement avait les choses en main, on pourrait croire que, petit à petit, elles vont s’améliorer. Mais ce n'est pas le cas. En fait, dans la situation actuelle, il est permis de se le demander très sérieusement : qu’est-ce qui va nous tomber sur la tête, maintenant? Le ciel? Et pourquoi pas? La saison des ouragans est encore loin, mais sera tout de même au rendez-vous, chicanes politiques ou pas…

Ti peyi-a, comme le chante si bien Luck Mervil...

samedi 21 avril 2012

Le Jour de la Terre


Le Jour de la Terre. Ça n’existait pas «dans mon temps». La terre existait pourtant, n’en doutez pas, vous les drôles qui voulez me faire remonter au déluge ou avant. Ce que je veux dire, c’est que célébrer l’existence de la terre, on ne faisait pas ça. Et pourquoi l’aurait-on fait? Pourquoi célébrer la terre plus que la grandeur de notre univers, par exemple? C’est qu’à l’époque, la terre était une évidence, un exemple de pérennité. Après tout, n'avait-elle pas au moins 4 milliards d'années? Et n'était-elle pas encore là pour un autre 4 milliards d'années à quelques millions près? Alors pourquoi s'en faire? Aujourd’hui, le discours a changé. Aujourd’hui, on sait la fragilité de notre grand vaisseau sidéral et on veut qu’il dure, pas seulement pour nous dont la durée de vie est forcément limitée, mais aussi pour les générations futures, celles qui existeront possiblement dans cent mille ans et plus. Possiblement. Ce futur existera-t-il? Pourra-t-il seulement exister? Maintenant, on le sait, rien n’est moins sûr, d’où justement la nécessité de s’arrêter un peu sur la valeur du navire : tiendra-t-il le coup? Car le futur, c'est d'abord et inévitablement celui de la planète.

On parlait jadis de cinq grandes formes de pollution qui sévissaient sur la terre, spécifiquement dans nos pays industrialisés : pollution de l’air, de l’eau, de l’espace, de la nourriture et pollution par le bruit. De nos jours, on se contente de parler de la pollution de l'air, de l'eau et du sol comme étant celles les plus susceptibles d'altérer les conditions de vie planétaires. Or, toutes ces formes de pollution se sont développées sensiblement au cours des dernières années, et ce, malgré tous les efforts accomplis pour contrer la tendance. Car nous nous en allons vers une planète de plus en plus polluée, il faut bien le dire, et ce ne sont pas les bêtes ou les plantes qui en sont les responsables. (En passant, je trouve intéressant de noter que pollution est un mot d'origine religieuse...)

Ainsi le réchauffement. Tout le monde en parle et personne, ou à peu près personne, n'ose maintenant en contester la réalité : les activités humaines sont en grande partie responsables de ce réchauffement qui, quoiqu'on en dise, menace l'équilibre de notre écosystème. L'humain, encore...

Il semble que la main humaine tienne la planète en étau.

On dit que la conscience planétaire s’aiguise et que le sens d’une responsabilité partagée par toutes les nations se développe. Je n’en crois rien. Je pense au contraire que l’appât du gain continue d’être à la source des choix de société. Tout le monde veut plus, tout le monde veut la richesse et l’image qui l’accompagne. Pour la planète, on verra après.

Et pendant ce temps, la terre se peuple chaque jour un peu plus. Nous sommes présentement plus de 7 milliards. On nous dit que l’expansion démographique devrait stopper autour des 9 milliards. Permettez-moi d'être sceptique... Trop de facteurs entrent en ligne de compte et je pense qu'il faudra attendre 2050 pour voir. (Je parle aux jeunes, bien entendu...) Et pendant ce temps, les optimistes aiment croire que les ressources vont s’accroître, que les riches vont partager leur richesse avec les pauvres et que tout le monde va faire sa part pour une planète plus saine. Et le Père Noël, monté sur ses grands rennes, va venir faire une distribution spéciale de iPad le 25 juillet prochain… Tant qu’à y être…

Des fois, je me demande si nous n’en sommes pas à cette fameuse réplique mise dans la bouche de l’agent Smith dans le film Matrix (le premier, le meilleur) : 
"I'd like to share a revelation I've had during my time here. It came to me when I tried to classify your species. I realized that you're not actually mammals. Every mammal on this planet instinctively develops a natural equilibrium with their surrounding environment, but you humans do not. You move to an area, and you multiply, and you multiply, until every natural resource is consumed. The only way you can survive is to spread to another area. There is another organism on this planet that follows the same pattern. Do you know what it is? A virus. Human beings are a disease, a cancer of this planet. You are a plague, and we … are the cure."
Et si c’était ça le véritable drame?...

mercredi 18 avril 2012

Les jeunes et les autres


Non, rassurez-vous, je ne remets pas ça. Enfin pas vraiment. Car j’ai beaucoup lu depuis mon texte sur les préoccupations québécoises et il est clair que le sujet est chaud et soulève les passions populaires des uns autant que des autres. J’aime assez. Certes il y a toujours le danger du dérapage majeur, mais le brassage d’idées fait du bien, surtout pour les jeunes.

J’aime les jeunes. Ceux et celles qui me connaissent le savent : j’aime les côtoyer, les provoquer, connaître leurs points de vue et les regarder aller. J’aime la jeunesse parce que c’est une belle période de vie dont je me souviens avec bonheur. Car oui, je me souviens d’avoir été jeune. Je me souviens d’avoir participé à des «manifestations» qui, si elles n’avaient rien de l’ampleur de celles qui ont récemment marqué l’Histoire du Québec, nous faisaient néanmoins sentir importants. Jeune, j’ai lu Mao Tsé-toung et Hô Chi Minh parce que je cherchais à comprendre. Mais je n’ai pas vraiment compris…

Dire que les jeunes d’aujourd’hui sont moins bien que nous étions est une totale aberration. Ils ne sont ni meilleurs ni pires. En fait et s’il est une chose, ils sont certainement mieux informés, ce qui ne les rend pas plus intelligents, mais certainement moins naïfs. Et les jeunes, ne l’oublions pas, sont des humains en devenir, car on ne reste pas jeunes, malgré tout ce que notre société hédoniste peut promouvoir dans ses images de jeunesse éternelle. Et ce sont les jeunes d’aujourd’hui qui composeront la société adulte de demain. Ils et elles seront ministres, journalistes, juges ou artistes, peu importe mais leur place au sein de la société en fera des rouages importants, voire essentiels à l’organisation sociale. Mais avant d’en arriver là, il faut que jeunesse se passe. Vouloir en faire des citoyens à part entière à ce stade me paraît prématuré, tout comme lorsqu’on pousse des enfants à l’école trop tôt. L’enfance est sacrée; l’adolescence et le jeune âge adulte le sont tout autant. Les jeunes ont des droits, mais ils ont aussi des devoirs, dont celui d'accepter les règles d'un jeu qu'ils ne sont pas en mesure de comprendre bien à fond. Avoir lu Marx ou Engels ne veut rien dire. Et je parle d’expérience personnelle. Pour apprendre la vie, il faut vivre, c’est aussi simple que cela.

Ici en Haïti, les jeunes sont majoritaires : l’âge médian de la population est de 20 ans tout juste. Quand éclate une manifestation, ce sont ces jeunes qu’on voit dans les rues; ce sont eux qui osent, qui tirent des roches ou des cartouches et qui «jouent au cowboy». Et dites-moi : quelle différence existe-t-il entre les jeunes Chinois, Haïtiens ou Québécois? «Quand on aime on a toujours 20 ans», chante Ferland. À 20 ans, on a la vie devant soi; on est prêt à tout; rien ne nous fait peur. J’aime ça et je me souviens de mes 20 ans. Et c’est dans cette foulée que je ne condamne nullement les jeunes du Québec de contester une décision qui ne fait pas leur affaire : j’aurais fait la même chose. Mais aujourd’hui, je suis vieux, enfin plus vieux (ce qui ne me rend pas pluvieux pour autant) et je vois les choses d’une certaine distance — en fait, d’une distance certaine — et si certains veulent faire sauter le gouvernement pour afficher leur supériorité intellectuelle, je ne suis pas preneur. Le plus mauvais gouvernement vaut mieux que pas de gouvernement du tout et le gouvernement parfait n’existe pas, sauf bien sûr en Utopie…

Alors oui, laissons les jeunes être jeunes, laissons-les se prendre pour Le Che ou pour des disciples de Mao ou de qui l’on veut, mais sans casse. Car c’est là qu’il faut mettre une limite. Pour ma part, je le reconnais, je crains les débordements, je crains les dérapages, je crains les inutiles affrontements, je crains les excès… Parce que je ne suis plus jeune, sans doute, mais aussi parce que je sais où les excès mènent et ce n’est jamais là où l’on croit…

dimanche 15 avril 2012

À la recherche d'un restaurant...


Bon plan aujourd'hui : nous allons à la plage, nous passons quelque temps avec nos amis avant leur départ pour le Québec (qui, souhaitons-le, ne sera pas en état de siège...), nous partageons avec eux un rhum sour pas piqué des vers et nous mangeons au restaurant. Et qu'est-ce que vous dites de ce plan? Pas mal, hein? Sauf à vrai dire dans sa partie restaurant, car c'est là que les choses se gâtent. Bien sûr, la langouste grillée y trône en reine et le plat n'est pas si mal. Mais ce n'est rien pour se péter les bretelles. Même chose du côté du restaurant voisin ou chez l'autre voisin, en fait de tous les côtés : la nourriture et le service laissent à désirer et pourtant, les prix sont tout de même élevés... Ce n'est pas une situation exceptionnelle au pays, mais presque une règle à laquelle seule la capitale échappe : les restaurants (ou les hôtels qui en tiennent lieu) ne sont pas à la hauteur des attentes de gens qui veulent bien manger, pas juste s’empiffrer.

Voyez par vous-même : aux Cayes, troisième ville du pays en importance, on ne trouve pas un seul endroit où il est possible de bien manger. En fait les établissements qui s'annoncent comme restaurants se comptent sur les doigts d'une seule main et ceux qui «valent le détour», comme dirait le guide Michelin, sont simplement inexistants. Pourtant, lorsqu'on voit la quantité d'étrangers qui habitent et travaillent aux Cayes, sans compter une large proportion d'Haïtiens nantis, il est permis de se demander pourquoi.

Réponse logique, même pour ceux ou celles qui n'ont jamais mis les pieds en Haïti : la demande n'est pas là. Les lois du commerce étant régies par cette immuable règle de l'offre et de la demande, rien ne sert d'offrir un produit ou un service dont personne ne veut, pas vrai? Pourtant, je puis vous certifier que nous sommes plusieurs qui apprécieraient de pouvoir bien manger à un restaurant sans avoir l'impression de jeter son argent à la poubelle et je serais très surpris qu'une étude de marché réfute le point. Dès lors, qu'est-ce qui empêche de tels établissements de voir le jour et de prospérer? Il y a plusieurs raisons qui viennent à l'esprit.

D'abord, il faut  dire, à la défense des éventuels restaurateurs, que les produits culinaires ne sont pas aisément accessibles et coûtent la peau des fesses, sans compter les pertes dues à la rupture régulière du courant (les frigos et les congélateurs stoppent). Ainsi, le filet de bœuf, qui se prête à bien des combinaisons et qui s'apprête fort bien en steak, ne se trouve qu'à Port-au-Prince! Les fruits de mer, qu'on croirait abondants dans une ville située au bord de la mer, sont souvent introuvables ou de qualité douteuse. Pas facile dans ces conditions de maintenir des stocks adéquats. Puis, il faut dire qu'il n'est pas évident de trouver des cuisiniers ou des cuisinières sachant cuisiner. Ceux qui sont bons sont concentrés à la capitale ou dans des hôtels bien réputés, pas ici aux Cayes. Dès lors, même avec de bons produits, offrir une bonne nourriture reste un défi de taille. Le service, un élément important d'une sortie au restaurant, est médiocre partout où nous sommes passés et pas en raison d'une mauvaise volonté quelconque mais plutôt à cause de l'ignorance et du manque d'entraînement du personnel affecté à cette tâche (exception faite de notre cher Jean-Hubert). En plus et comme si ce n'était pas assez, ce service est toujours d'une lenteur qui mine la patience des plus vertueux. Je sais, je sais : vous allez me dire qu'on ne va pas au restaurant pour se presser, mais tout de même, il y a une limite, croyez-moi... Enfin, les propriétaires, à de rares exceptions près, n'ont pas le souci du client et de ses désirs. Un client satisfait ne vaut pas mieux qu'un client insatisfait puisqu'il paie le même prix en bout de ligne. Après tout, l'argent n'a pas d'odeur, n'est-ce pas? Et je ne vous parle pas de la propreté des lieux, de la ventilation inadéquate ou du niveau sonore de la télévision, éléments qui ne contribuent guère à vous mettre en appétit...

Tout compte fait, à bien y penser, je pense que nous allons nous contenter du simple rhum sour aujourd'hui...

jeudi 12 avril 2012

Préoccupations québécoises


J’avais dit que je ne me prononcerais pas sur le sujet. J’avais dit que, étant loin, je ne pouvais qu’avoir un point de vue éloigné. Mais de la façon dont les choses évoluent et avec tout le battage médiatique qu'on nous sert jour après jour, je me sens invité à y mettre mon grain de sel. Notez bien que je parle d’un grain de sel : pas d’un plat d’épices, alors pas de panique, je vous prie.

Ceux qui me suivent sur cette plate-forme savent que je ne fais pas de politique, ni en Haïti ni ailleurs. Dès lors, que les étudiants du Québec fassent une «grève» pour protester contre les édits de l’État ne me dérange pas du tout. Je ne suis pas pour, je ne suis pas contre. En sortira ce qu’il en sortira. Mais ce qui m’intéresse dans ce cas, c’est le mouvement de masse. Car ce mouvement est très instructif et nous en dit long sur ce qui mijote au pays de l’abondance et de la facilité. La masse elle-même d’abord : plus elle est importante, plus ses impacts le seront. C’est un peu le scénario d’un astéroïde qui frapperait la terre : petit, il s’autodétruit en pénétrant dans l’atmosphère; massif, il risque de causer des dommages majeurs. Masse donc. Mais il y a plus : il y a le côté party du mouvement et ça, je le dis à qui veut l’entendre (et même à ceux qui ne le veulent pas), c’est dangereux. Ça peut déraper aisément. Or, plus le temps avance, plus l’énergie festive qui accompagnait les manifestations étudiantes se transforme en rage. «Ce ne sont que des étudiants», dites-vous? Je ne suis pas d’accord. Voyez-les, masqués comme des terroristes… Voyez-les, organisés comme des militaires. Voyez-les, brandissant des banderoles professionnelles. Voyez-les défier la police… Il y a du danger là-dedans… Et quand on lit que «une frange se radicalise », je ne sais pas pour vous, mais il me semble que l’on s’en va dans une drôle de direction là… Je vous cite encore cette réflexion, lue en commentaire à cet article et qui semble être d'un étudiant (ne jugez pas l’orthographe, s’il vous plaît) : «Je ne voit qu'en expérience aquise des babyboom que de l'embourgeoisement. La révolte es désormaist la seul solution.» Ça ne vous inquiète pas un peu de lire des trucs comme ça? Moi oui. Notez en passant que sur pas moins de 6 fautes, le mot «embourgeoisement» — pas un mot utilisé à tous les jours, quand même — est orthographié correctement. Dites, ça ne vous fait pas tiquer, vous autres? Ben moi, si.

Certains, certaines en profitent pour faire le procès du gouvernement actuel. Rien ne l’empêche. Ce peut être le pire gouvernement que l’Histoire du Québec n’ait jamais connu, pour ce que j’en sais. Mais c’est le gouvernement. Et le jour où il va changer, un autre sera mis en place qui sera peut-être meilleur, peut-être pire, et qui fera l’affaire des uns et le drame des autres. C’est comme ça. Mais peu importe la valeur du gouvernement du Québec, le conflit actuel est potentiellement dangereux car les étudiants, par définition et en grande majorité, sont jeunes. Et les jeunes, vous le savez si vous l'avez déjà été, n’ont peur de rien.

En tout cas, je n’ai pas honte de le dire : tout mouvement de contestation articulé à ce point, bien qu’il force une certaine admiration, doit aussi engendrer une certaine crainte. Un peu comme lorsqu’un jeune roule à 180 km/h sous influence de l’alcool. Il se peut que rien n’arrive, mais avouons que les conditions sont réunies pour une véritable tragédie…

Quant à tous ces beaux intellectuels qui encensent la contestation étudiante, je dis : pourquoi se servir des étudiants pour faire ce que vous n’avez jamais su faire?

mercredi 11 avril 2012

De l'espoir et du désespoir


Ce qui suit est plus une réflexion personnelle, une forme de précision de ma pensée sur mon pénultième sujet, là où j'abordais une fois encore, en parlant des Haïtiens, la notion d'espoir. Or, j'ai reçu un commentaire d'un lecteur bien articulé qui suggère qu'il faudrait plutôt parler de désespoir dans le cas de ces gens qui s'embarquent pour ailleurs. Sa vision des choses m'a fait m'arrêter un peu plus sur la question et j'en partage aujourd'hui les grandes lignes avec vous.

En effet, il peut sembler curieux de parler d'espoir alors que le gens s'exilent. Mais je parlais d'espoir d'un monde meilleur qui, s'il ne se trouve pas en ce pays, se trouve sans doute ailleurs. C'est un espoir bien naïf, car rien ne dit qu'il s'agit là d'une vérité; mais c'est de l'espoir tout de même, car le simple fait de vouloir aller ailleurs signifie que l'on croit que cet ailleurs sera mieux. Espoir donc, et non désespoir. Le désespoir est négatif, sombre et apathique. Les gens désespérés ne font plus rien, ils se laissent aller, souvent tombent malades et souvent, meurent sinon de maladie, parfois de suicide. Le désespoir n'amène pas à l'action, mais plutôt à la passivité indifférente, au découragement. Dangereux le désespoir... L'espoir lui, fait vivre. Incidemment, j'aime beaucoup ce proverbe haïtien (lespwa fè viv), beaucoup plus que son pendant français (tant qu'il y a de la vie, il y a de l'espoir), car dans le libellé haïtien, l'espoir devient source de vie, tandis que du côté français, l'espoir découle de la vie. Or, je pense que ce n'est pas ça. Ou en tout cas et si c'est parfois le cas, c'est un peu trop réducteur. Car c'est l'espoir qui représente l'énergie motrice; l'espoir qui permet à des gens de tenir le coup alors que tout inciterait à laisser tomber. L'espoir, c'est de l'énergie, alors que le désespoir, c'est son absence.

J'ai parlé dans un texte ancien de l'espoir noir, ou si vous préférez, du côté noir de l'espoir. C'était en rapport avec Star Wars et le côté obscur de la Force. La Force est là, accessible à ceux qui en suivent le chemin ardu. Mais comme on le sait grâce aux films, elle peut s'exprimer négativement, et c'est un peu ce qui fait peur : un espoir déchu, battu, écrasé n'aboutit pas vraiment au désespoir, mais plutôt à la révolte et au «tant qu’à y être»...

Certes, on me dira, mon ami en tête, que les gens qui quittent les pays dans des conditions si risquées — physiquement autant que politiquement, ne l’oublions pas — peuvent avoir atteint le fond du baril et se dire qu’ils n’ont plus rien à perdre. Mais pour avoir connu personnellement un type qui croyait dur comme fer en cet eldorado hors pays et qui, malgré mes mises en garde répétées, a englouti dans l’aventure toutes ses économies et bien davantage, j’affirme que l’espoir — que dis-je : la quasi-certitude d’une vie meilleure est à la source de ce désir d’exode. Quant à l’espoir noir, oui, il me fait peur. Car l’espoir déçu ressemble fort à une tromperie et qui aime se faire tromper, je vous le demande? C’est sans doute pour cette raison que les réactions du peuple à l’inertie gouvernementale sont si radicales parfois : on met tellement d’espoir dans l’État pour résoudre tous les problèmes courants qu’on tombe de haut quand l’État se révèle incapable d’accomplir les prouesses attendues et alors, on se fâche et on sort les armes...

C'est à se demander si, parfois, le désespoir apathique n'est pas préférable...


dimanche 8 avril 2012

C'est Pâques, vous mangez quoi?


Puisque c’est Pâques, puisque c’est une fête traditionnelle qui comporte sa dose de traditions, je vous en parle. Traditions haïtiennes, bien entendu, car ce sont elles qui, par leur originalité, sont plus susceptibles de retenir votre attention. Entre autres, lisant par hasard l’éditorial de mon ami Frantz Duval (non, il n’est pas vraiment mon ami, mais la qualité de son écriture me fait lui trouver un côté nettement amical…), je me suis dit que son texte méritait que je vous le suggère et que j’en fasse quelques commentaires.

M. Duval parle entre autres du poisson salé (le poisson gros sel est, en effet, très bon), servi avec multiples accompagnements, le tout noyé dans l’huile, comme le précise si bien M. Duval. Rien de bien gastronomique là-dedans, mais ce n'est pas l'idée. Il s’agit simplement d’une tradition et tous s’entendent pour la respecter, si bien que le poisson, ces jours-ci, est introuvable et lorsqu’on en trouve, hors de prix. La semaine prochaine, les prix seront redevenus ce qu’ils étaient avant et la disponibilité du produit ne causera plus de problèmes. Mais autour de Pâques, c’est la folie furieuse. Incidemment, Frantz Duval avance une idée intéressante. Je vous le cite :
«Cela dit, Haïti est l'un des premiers importateurs mondiaux de hareng saur et sel. Le saviez-vous? Toute l'année, nous consommons les salaisons, sans penser à en faire une affaire locale. Ces caviars du pauvre sont une grosse affaire.»
Intéressant, n'est-ce pas? Et pourquoi pas?...

Mais je reviens aux traditions, car à quoi servent-elles, sinon à faire vivre l’histoire en la prolongeant?

Lorsqu'on regarde les sociétés diverses, les plus intéressantes sur le plan sociologique sont celles où les traditions sont les mieux ancrées. Le présent est mobile et suit la mode du jour; les traditions ont leurs racines dans le passé et sont, par nature, imperméables au présent… jusqu’à un certain point à tout le moins. Et je dirai que ce qui fait la force d’une tradition, c’est précisément le fait qu’on en ignore l’origine, un peu comme si elle avait toujours existé. C’est précisément le cas de cette tradition culinaire. J’en ai cherché un peu à droite et à gauche quelques explications mais n’ai rien trouvé, ce qui ne me surprend guère. Cependant, comme le poisson est grand symbole de la chrétienté, j’ose croire qu’on a pu, à un certain moment, en faire une pratique traditionnelle pour célébrer la grande fête chrétienne de Pâques. Reste que je suis un peu étonné que la tradition ait cours seulement ici, car même dans les pays par nature mangeurs de poisson je parle ici des pays scandinaves , la tradition ne semble pas aussi solide, bien qu’il soit écrit, sur Wikipedia, que le smörgåsbord, plat traditionnel de fêtes variées, est aussi servi à l’occasion de Pâques. Or, ce plat offre, bien sûr et entre autres choses, du poisson, mais cela n’a pas vraiment à voir avec la tradition haïtienne. Si donc, se trouvent parmi vous quelques érudits, vous êtes les bienvenus de partager vos lumières avec votre blogueur préféré.

Cela dit, ce n’est pas tout le monde qui attend le jour de Pâques pour s’offrir poissons ou fruits de mer : le Vendredi Saint ou le samedi font tout aussi bien l’affaire, et le dimanche, on servira de la viande, de la vraie, porc, chèvre, bœuf même, apprêtée à toutes les sauces. Et on s’en fera un délice.

Les Haïtiens ne sont pas riches. Je généralise, c’est vrai, mais dans ce cas, je pense que vous me comprenez, même si certains Haïtiens sont en fait, très à l’aise financièrement. Disons simplement que le peuple n’est pas riche. Et pourtant, cela n’empêche nullement ces gens de célébrer dignement cette grande fête qu’est Pâques, fête qui, mieux que n’importe laquelle, symbolise bien l’espoir, le triomphe de la lumière sur la noirceur, de la vie sur la mort. Je pense qu’il convient de s’y arrêter, même si, comme nous, vous passerez sans doute votre tour pour le hareng saur...

vendredi 6 avril 2012

Voguer vers d'autres cieux


Le sujet serait drôle s’il n’était pas tragique. S’enfuir d’Haïti, comme si le pays n’était qu’un bourreau sans âme juste là pour faire souffrir ses habitants n’est certainement pas un sujet léger ni facile à comprendre. Et à voir la photo ci-dessus, prise par un homme d'équipage de la marine américaine il y a quelques années (http://www.navy.mil/view_single.asp?id=24188), à voir la barque et tous ces gens, on se demande... Mais c'est quand je lis un article comme celui-ci, que je deviens un peu choqué. Car franchement, je n’arrive pas à comprendre...

C'est que la fuite de ces gens — puisque c’en est bien une — est une réponse à l’agression, à l’envahisseur. On fuit pour ne pas combattre, soit par manque de moyens de le faire, soit par défaite, mais on fuit parce que le salut est dans la fuite. Question de survie donc. Haïti agresse-t-elle à ce point son peuple? L’écrase-t-elle sous un joug tyrannique? Les gens sont-ils forcés de se taire pour ne pas se faire fusiller? Rien de tout cela. Certes, le pays n’est pas facile à bien des égards, mais la liberté d’expression y prévaut, les gens y sont libres d’agir comme bon leur semble — parfois un peu trop même — et on peut en sortir légalement sans plus de formalités qu’un simple passeport, accessible à tous et à toutes. Est-ce là le portrait d’un pays dont il faut s’enfuir à tout prix, même au péril de sa vie? Pas à mon sens. Les Haïtiens ne sont certainement pas prisonniers dans leur pays et chaque année, des milliers de gens vont et viennent au gré de leur humeur ou de celle de leur porte-monnaie. Juste parmi nos employés, plusieurs sont allés à l’extérieur du pays, en République Dominicaine, à Cuba, en France, au Canada ou aux États-Unis, pour ne nommer que ceux-là. Et en sont revenus. Ce qui ne veut pas dire qu’ils ou elles ne choisiraient pas d’y émigrer si la chose pouvait se faire aisément. Mais de là à s’embarquer dans une véritable galère, aller défier le sort sur des mers inconnues? Le jeu en vaut-il vraiment la chandelle? Il me semble que non. Pourquoi alors ces pauvres gens qui se laissent embarquer — c’est le cas de le dire — dans de pareilles aventures?

La seule réponse à laquelle je puisse penser, c’est la naïveté. Car oui, les Haïtiens sont, règle générale, naïfs et crédules. Dès lors, si un arnaqueur sans scrupules leur fait miroiter une vie de purs délices «lot bò», ils sauteront dans le bateau à pieds joints sans le moindre esprit critique, sans la moindre question sur la valeur de l’entreprise et ses chances de succès. En Haïti — je vous l’ai dit à maintes reprises — l’espoir fait vivre (proverbe). Mais il fait aussi quitter le pays sur une coquille de noix pour éventuellement toucher terre on ne sait où ni dans quelles conditions. Histoires atroces, souvent macabres s’il en est…

Lisez l’article et vous allez vous rendre compte par vous-mêmes : comment des personnes avec un minimum de bon sens peuvent-elles accepter de s’entasser sur un si frêle esquif et risquer pareil voyage, sur une mer imprévisible dont tout le monde a peur — à juste titre considérant que rares sont les Haïtiens ou les Haïtiennes qui savent nager — vers une destination qui semble aussi aléatoire qu’un tirage à la loterie? Eh bien sans doute la réponse est-elle précisément là : pour la même raison que les gens achètent les tickets de loterie : dans l’espoir fou de gagner le gros lot, même si la probabilité n’est que d’une chance sur 13 millions. Mais tout comme à la loterie, les espoirs sont vains et immanquablement réduits à néant lorsque frappe la dure réalité.

Pourtant, ces situations se répètent et les radeaux de la méduse entraînent régulièrement des pauvres naïfs vers le nord, vers ces cieux qu’on croit fatalement plus bleus. Fatalement, il faut qu'ils le soient, n'est-ce pas? Mais en vérité, il suffit de lever la tête pour se rendre compte que, si difficile que soit parfois la vie dans ce pays, le ciel y est d’un bleu qui n’a rien à envier aux autres…

mardi 3 avril 2012

Mangues assassines


Les mangues frappent dur ces temps-ci! Je sais que vous allez vous en étonner et que vous allez croire que j'exagère, mais la chose s’est réellement produite et m’a presque jeté en bas de mon vélo! Et puisque vous en voulez les détails, je vous les raconte sans plus tarder.

Certains d’entre vous le savent, d’autres pas, mais je circule toujours à bicyclette entre mon bureau et la maison. La distance n’est certes pas bien grande — quelques secondes tout au plus —, mais j’aime le vélo comme moyen de locomotion (attention, je ne parle de pas de sport ici et les esprits moqueurs peuvent aller paître dans les prairies néo-zélandaises) et quoi qu’on en dise, c’est nettement plus rapide qu’à pied. Sans compter qu’on évite de marcher dans l’étang qui se forme après toute pluie un peu copieuse et ne serait-ce que pour cette raison, le vélo vaut. Or, depuis le temps, j’ai mes habitudes et je passe à peu près toujours aux mêmes endroits, à peu près toujours à la même vitesse. Quelle ne fut pas ma surprise, samedi dernier, en me rendant à ma réunion avec les employés, de me sentir assailli par un groupe d'objets contondants qui me frappèrent au sommet du crâne! Qu’est-ce qui a bien pu me faire ça? Un peu étourdi, je m’arrête, descends de ma monture à roues et cherche la cause de cette agression. Serait-ce cette petite grappe de mangues (photo)? Je les tâte et au toucher, elles sont dures comme du bois. En outre, suspendues comme ça à leurs longues tiges, elles sont mobiles et articulées de sorte que j’en conclus, très scientifiquement n'est-ce pas, qu’il s’agit bien là de l’agresseur!

Sur le coup, je me suis mis à penser un peu comme Garo dans le Gland et la Citrouille de La Fontaine. Comment un fruit, par ailleurs succulent, peut-il avant sa maturité se transformer en arme assassine? N'est-ce pas là un paradoxe? Peut-être pas. Les bananes vertes ont aussi cette carapace inaltérable et je ne vous parle pas des noix de coco... Quoi qu’il en soit, heurté physiquement et encore plus dans ma dignité, je frottai mon crâne meurtri, me remis en selle et, fouettant hardiment mon destrier à pédales, m’en retournai à mon bureau où,  tout à la pensée de la réunion à venir, je me hâtai d’oublier l’incident…

Mais une fois la bosse résorbée, il faut bien reconnaître que l’incident mérite un petit détour, une petite parenthèse dans l’amas de situations sérieuses qui façonnent notre vie ici. Or, ce sont ces petites choses imprévisibles, ces petits champignons qui poussent spontanément et subitement au cœur de ces forêts de problèmes qui souvent, nous forcent à l’arrêt, à la pause contemplative et inquisitrice. Et tout à coup, la perspective s’élargit, les horizons s’ouvrent et l’on se rend compte que, en dépit des problèmes mentionnés précédemment, il y a encore et toujours ces interludes légers et primesautiers qui font sourire.

Il n’empêche que l’incident a porté ses fruits — c’est le cas de le dire — et que j’en tire aujourd’hui une morale bien instructive : avant de passer sous les branches des manguiers, toujours vérifier si des grappes n’y pendent pas paresseusement. Vous ne trouvez pas que c’est une belle connaissance supplémentaire à ajouter à ma collection? Et généreux comme toujours, je vous la passe, la partage avec vous pour que vous puissiez éviter cet écueil sans avoir à le subir. Non, ce n’était pas une fracture du crâne — j'ai la tête plus dure que ça, quand même —, mais un signe, comme tant d’autres quand on y regarde bien, que la nature fait bien les choses et qu’elle se passe fort bien de l’intervention humaine.

Quant aux mangues coupables, elles pendent toujours à leur tige et prennent le temps de mûrir tout doucement sans le moindre souci pour l’éventuel cycliste égaré.

Encore une chance qu’elles n’aient pas d’épines, les chères…