mercredi 30 mars 2011
Sont-ils tous malades?
Lisant l'article de mon ami Foglia hier (je l'appelle 'mon ami' même s'il ne me connaît pas, mais j'avoue que souvent, il me plaît assez dans sa façon de dire les choses), lisant cet article donc, je me suis pris à penser qu'il y avait là une belle différence qu'il convenait de souligner. Foglia, qui muse en Irak, a visité un gros hôpital et s'est étonné de le voir pratiquement désert. "Sont pas malades?" s'interroge-t-il. Pour finalement comprendre que oui, ils sont malades comme tout le monde, mais comme tout le monde, souffrent de maladies bénignes qui ne nécessitent pas les soins spécialisés qu'on retrouve dans un hôpital moderne. Les cliniques abondent et suffisent à traiter les cas bénins. Et la différence, les amis, c'est précisément là qu'elle se trouve : ici, les gens viennent à notre hôpital -- spécialisé, ne l'oubliez pas -- directement, sans même passer par le filtre des généralistes, du médecin de famille ou même de la clinique de santé qui serait l'équivalent des CLSC chez nous. Non. On vient directement à l'hôpital, on attend des heures pour voir le médecin spécialiste qui, en moins de 3 secondes, diagnostiquera un banal rhume et renverra la personne souffrante chez elle avec comme ordonnance de simples ibuprofènes et peut-être un petit sirop pour faire bonne mesure. Pas vraiment digne d'un spécialiste, me direz-vous et vous aurez parfaitement raison. Mais c'est ce que les patients veulent : voir le médecin. Celui qui fait autorité, qui a l'habit et qui, par conséquent, doit sûrement être moine, car ici, l'habit fait le moine, tout le monde sait cela. Sauf que si vous connaissez le proverbe, vous savez que la sagesse populaire qui le sous-tend est précisément de nous mettre en garde contre les porteurs d'habits qui peuvent, intentionnellement ou accidentellement, berner les plus sceptiques. Eh bien ici, en Haïti, on n'est pas facilement sceptique lorsqu'on se trouve devant un uniforme et ceux qui s'en vêtent le font dans le but précis d'exploiter la crédulité publique. Les charlatans ici sont légions, font de fort bonnes affaires et en plus, sont pratiquement sûrs de l'impunité. D'où l'importance de valider la qualité de nos professionnels. Or, ici, l'Institut Brenda Strafford possède une réputation de qualité. Qualité des soins, qualité des médicaments, qualité des lunettes, qualité de l'environnement, bref, les gens ont confiance qu'ils seront ici traités respectueusement et sans se faire exploiter. C'est incidemment ce qui nous fait accueillir des patients qui viennent d'aussi loin que Port-de-Paix ou du Môle-Saint-Nicolas, situés tout au nord du pays et bien plus près de Cap Haïtien. La réputation vaut le déplacement. Et sans doute aussi l'appellation justifiée de "patient", puisque de ces villes, il faut pas moins de trois jours de tap-tap pour arriver jusqu'ici...!
Notre réputation est aussi ce qui explique pourquoi les gens qui souffrent d'un banal rhume (ou d'une bénigne irritation oculaire due à la poussière) viennent jusqu'ici pour voir le médecin spécialiste. Et c'est ce qui explique pourquoi, au lieu de ne voir que les cas qui mériteraient vraiment l'attention des spécialistes, nous passons régulièrement le cap des 200 patients par jour -- plus de 300 certaines fois. Mais les gens sont contents, alors...
Cela dit, j'avoue que ce n'est pas très efficace. Un simple triage effectué par une infirmière moyennement compétente (les nôtres le sont toutes) permettrait de distinguer les cas simples de ceux requérant l'intervention du médecin. Mais le taux de satisfaction des patients chuterait radicalement, croyez m'en sur parole. La confiance ici est tout, je le répète. Et les gens sont prêts à payer les $2,50 US de frais de consultation pour voir le médecin qui résoudra leur petit problème ou, au minimum, y apportera un palliatif. Ils croient au médecin; sa parole fait autorité. Une infirmière, si compétente soit-elle, ne fait simplement pas le poids. Et en plus, la plupart des gens sont sexistes! Le docteur doit être mâle. Une femme ne peut qu'être infirmière. Et je ne blague pas! Heureusement cette drôle d'étiquette tend à disparaître, mais elle influence encore trop souvent le jugement des patients. Cela est tellement vrai que nous avions jadis un infirmier. Un seul. Qui, vous l'avez deviné, se faisait souvent passer pour le docteur, car il avait l'habit!...
Tout ça pour vous dire qu'en termes d'efficacité, l'Irak me paraît bien avancé par rapport à ce qu'on trouve ici. Vous allez me dire que ce n'est rien de surprenant, car l'Irak est tout de même plus riche qu'Haïti. Et donc, plus évolué. Oui oui, je dis bien donc. Ergo, si vous préférez. Plus riche = plus évolué. L'argent n'est pas tout, mais il permet tout de même de développer des structures qui coûtent... de l'argent! La pauvreté d'Haïti n'est pas juste une façon de parler : elle est une réalité qui freine le développement social, l'évolution de cette société, si vous préférez. Pauvre, on subit son sort; riche, on s'en sort.
Si bien que, comme le dit cette profonde maxime : "Mieux vaut être riche et en santé que pauvre et malade."
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