vendredi 4 mars 2011
Appel létal
Ce serait drôle si ce n'était pas tragique...
J'ai entendu cette histoire abracadabrante pour la première fois hier matin, alors que je passais à la maison (pour chercher une paire de pinces, si vous voulez tout savoir). Éraise, notre chère bonne (et non notre bonne chère, quand même!) était tout en émoi et me met immédiatement en garde : on dit à la radio (qu'elle écoute à tue-tête) que certains numéros de téléphone sont ensorcelés et qu'y répondre, c'est signer son arrêt de mort. Elle me tend une liste de trois numéros auxquels elle me conjure de ne pas répondre, car ils sont possédés, sous l'emprise des zombies (auxquels elle croit dur comme fer -- j'y reviendrai). Or, que peut-on face au diabolique?
De retour à mon bureau, je croise quelques employés, et pas parmi les plus crédules, qui me lancent le même avertissement : ne réponds pas à ces numéros car la mort s'ensuit! Le reste de la journée ne fera qu'accroître ce qui passe déjà pour une paranoïa collective. Tout le monde en parle, et les plus impressionnables n'osent plus répondre au téléphone! Mais qu'est-ce que c'est que cette histoire à dormir debout?
Ce n'est que plus tard, lisant cet article sur Haiti Press Network que j'ai pu me rendre compte qu'on était allé assez loin dans le canular sans que personne ne s'en formalise vraiment. Mais l'histoire de la femme qui a accouché d'un poisson a aussi défrayé les manchettes et là encore, personne n'y trouvait à redire, car puisque les médias en parlaient, il fallait bien que ce soit vrai! Mais je reviens à l'article très lucide de Jonel Juste, que je vous recommande, non seulement pour le rapport de ce fait divers insolite autant qu'incroyable, mais aussi pour les questions, fort pertinentes, que l'auteur pose. Entre autres, il mentionne : «Le seul bon côté de cette histoire de numéros de téléphone assassin [sic] : l’occasion de réfléchir sur l’impact de l’introduction des nouvelles technologies en milieu rurales [sic].» Il ajoute : «Le téléphone mobile est l’élément de la modernité à l’indice de pénétration le plus élevé en Haïti, qui atteint le plus de monde, plus que l’électricité, plus que la radio, la télévision, plus que tout. D’ailleurs, il les remplace parfois : un cellulaire est une radio, une télé, un ordinateur, une lampe de poche…» Il n'y a pas d'exagération ici : c'est vrai que le cellulaire, c'est le modernisme à petits frais. Tout le monde en a un et plus il comporte de gadgets, plus il est séduisant. Or, pour beaucoup d'usagers, le cellulaire, ce n'est rien d'autre qu'une forme de magie; dès lors, le pas qui permet de croire que l'appareil peut être porteur de mort violente se franchit aisément : ce n'est, après tout, qu'une question de gradation de la magie. L'auteur de l'article n'est pas tendre envers ses compatriotes : «Pire, [l'affaire] montre la stagnation de la mentalité haïtienne et qu’en 2011 on pense encore comme au Moyen-âge [sic]. La pensée magique. L’idée même de l’utilisation des ondes électromagnétiques usuelles à des fins criminelles aurait dû paraître absurde. Au lieu de cela, on préfère dire qu’Haïti est le pays de tous les possibles.»
Or, c'est bien là le drame. Même si l'on admet que de telles sornettes sont impossibles dans les pays développés, on les accepte en Haïti, parce qu'ici, c'est le "pays de tous les possibles", surtout en ce qui a trait aux forces occultes qui se manifestent de mille et une façons, notamment sous forme de zombies, lesquels ne laissent personne indifférent.
Éraise me demande si je crois au diable et s'étonne de ma réponse. Elle affirme, le plus sérieusement du monde, qu'il s'incarne parfois dans de vieux arbres ou des plantes grasses (le diable est maigre, tout le monde sait ça), à l'affût des âmes incertaines et influençables. Le diable guette, le diable est partout; en fait, le diable est un vrai petit diable! De là à croire qu'il peut emprunter la voie des ondes, il n'y a qu'un saut de puce! N'empêche et comme l'auteur le souligne, c'est quand même triste et pas trop flatteur pour le peuple haïtien...
Mais le pire à mon sens, ce n'est pas tant la crédulité populaire (laquelle est répandue plus qu'on le croit--pensons aux légendes urbaines qui ont la couenne dure genre Elvis-qui-vit-encore) que ceux qui en profitent, voire qui en abusent. Et ici, comme partout ailleurs, il est permis de se demander à qui le crime profite. Il y aurait de la politique là-dessous que je ne serais pas surpris, mais alors pas le moins du monde. D'ailleurs politique rime tellement bien avec diabolique... Et comme on est en pleine campagne électorale, eh bien, il n'y a pas vraiment lieu de se surprendre...
En tout cas ces jours-ci, politique ou pas, l'heure est aux festivités, car c'est le carnaval, lequel s'annonce "chaud", selon le slogan même des banderoles qui en font la promotion. Car le Mardi Gras, c'est mardi prochain! Souhaitons seulement qu'il ne soit que chaud dans sa musique et son effervescence...
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Éraise a aussi des adeptes de sa triste pensée au Québec puisque j'ai quelques copines qui, malgré mes demandes répétées de ne pas me transmettre certains diaporamas, qui se terminent par des menaces loufoques s'ils ne sont pas transmis à au moins dix personnes, n'hésitent pas à m'envoyer lesdits messages afin de s'éviter les pires tourments...
RépondreEffacer«Une maison heureuse, comme l'homme, peut devenir cadavre. Il suffit que la superstition s'y installe et la tue.» Victor Hugo
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