lundi 19 avril 2010
Bombe à retardement ou baril de poudre?
Je vous ai déjà dit que ce n'était pas tellement mon fort de commenter l'actualité, surtout quand elle provient de la plume d'un journaliste. Je vous ai dit aussi que, bien malheureusement, les journalistes étrangers étaient, à mon sens, très mal placés pour juger la réalité haïtienne et vous la présenter dans toute sa complexité. Cependant, j'admets aujourd'hui que l'article de Vincent Marissal frappe en plein dans le mille. Tout comme celui du Guardian d'ailleurs (in English, "oeuf corse" comme dirait Bérurier). Lisez l'article de Marissal, je vous en prie. Ça y est? Vous l'avez lu? Eh bien relisez-le. Car il est d'une rare perspicacité, notre ami Marissal. Il a vraiment compris pourquoi, quand je vous disais que le pire était à venir, le pire était vraiment ce qu'il est : plus mauvais que le mauvais, plus dommageable que la Catastrophe elle-même. Le pire, ce n'est pas quand tout s'écroule : ça, c'est le drame. Et curieusement, le drame tisse des liens entre ceux et celles qui le vivent. Le drame appelle à la solidarité. Et puis la poussière finit par retomber. Et quand la poussière retombe, c'est là que le chat sort du sac. En fait les chats. Et de gouttière. Les gros matous, bien charpentés, aux griffes acérés et aux dents bien pointues. C'est à ce moment qu'on les voit, la nuit surtout, et ils s'organisent, se pourlèchent les babines à l'idée du festin que leur promet la surabondance providentielle que la catastrophe a engendrée. Une vraie manne. Pourquoi ne pas prélever une gentille part du gâteau? Évidemment, les gardiens de la manne s'y opposeront, mais les matous sont bien armés, bien informés, intelligents et sans peur. Ces matous ne sont pas encore prêts, mais ça s'en vient. Et plutôt bien.
Allégorie facile, j'en conviens, mais pas moins vraie pour cela. Hier encore, pendant la nuit, des coups de feu ont retenti. Pas un ou deux, mais près d'une douzaine, provenant d'armes différentes. Genre un échange. Genre pas trop trop rassurant... Je me renseigne tant bien que mal. On m'apprend que ce sont sans doute ("sans doute", notez-le bien) les militaires de l'ONU qui font du tir dissuasif pour éviter que les matous--pardon les voyous--s'organisent et mettent en place tout ce qu'il faut pour embêter les gens ordinaires. Si c'est le cas, on pourra dire que la technique aura porté fruit, car ce matin la ville est calme. Faut dire aussi qu'il a plu abondamment, ce qui a le don de refroidir les ardeurs des plus exaltés des manifestants. La pluie refroidit même nos adventistes, c'est vous dire! Mais cette dissuasion par la force pourra-t-elle se poursuivre indéfiniment? Donnera-t-elle à chaque fois des résultats satisfaisants? Je pense qu'il faudrait être bien naïf pour le croire... Ce qui signifie, en termes clairs pour les esprits vifs que vous êtes, que nous sommes assis sur une bombe à retardement, comme le dit si bien notre ami Marissal. Un baril de poudre serait peut-être plus juste. Car la bombe à retardement est habituellement contrôlée par une minuterie que quelqu'un, quelque part, contrôle. Tandis que le baril de poudre ne nécessite qu'une simple étincelle pour s'envoyer en l'air... Or, ici, c'est précisément la situation : la tension est palpable et l'on sait que personne, ni le gouvernement haïtien, ni Bill Clinton, ni les pontifes de l'Aide internationale ne peuvent y faire quoi que ce soit. La tension est là, comme un arc bandé, comme une batterie surchargée, comme un vase plein à rebord : une seule goutte suffit à le faire déborder; mais lorsqu'il déborde, ce n'est pas que d'une seule goutte...
Donc, je suis content du texte de Vincent Marissal, content aussi de l'article du Guardian (signé Peter Beaumont), quoique beaucoup plus politisé. Content de voir que certains sentent que la reconstruction d'Haïti, ce n'est pas de la tarte aux fraises fraîches... Mais. Va-t-on se formaliser de cela? Va-t-on monter aux barricades pour défendre les droits des opprimés et des sans-défense, comme notre amie Monica qui dénonce à grand renfort de courriels l'expulsion des gens des camps de fortune, expulsion souvent arbitraire, toujours douloureuse, rarement respectueuse des droits humains? Va-t-on faire comme tout le monde et condamner Préval? Ou Clinton? Cherchera-t-on un bouc émissaire pour porter le chapeau de l'odieux et de l'impuissance? Non. Pas pour moi, merci. Je sais trop bien ce que c'est que de faire le bouc émissaire et j'avoue ne pas avoir la vocation de Malaussène, moi... Alors on attend. Consciemment, lucidement, on attend. En souhaitant que les signes avant-coureurs seront suffisamment visibles pour que l'on puisse agir en conséquence.
Et tout doucement, les pluies commencent. Et la boue. Mais ça, au moins, c'est dans la nature des choses.
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