Tout le monde connaît cette chanson de Vigneault, n’est-ce pas? «Tout l’monde est malheureux… tout l’temps ». Tout le monde s’y reconnaît sans peine. De l’argent? On n’en a jamais assez. De l’amour? C’est illusoire. Du succès? Il est trop relatif pour qu’on en parle. Conclusion, tout le monde est malheureux tout le temps. Tout le monde, mais pas les Haïtiens…
Bien sûr, tout le monde ici veut plus d’argent, une belle famille, une maison à soi, une voiture, un emploi stable (et bien payé, bien entendu) et quoi encore! Où est la différence, alors? Je vous dirai que c’est dans la résignation. Les Haïtiens acceptent l’inacceptable. Ils se résignent à leur sort comme Sisyphe, condamné à pousser son rocher jusqu’en haut de la colline pour le voir redescendre à chaque fois; condamné à recommencer pour l’éternité. Sisyphe qui se résigne et qui, dans sa résignation, échappe à la torture que les dieux voulaient lui imposer. Voilà le peuple haïtien. Malheureux? Certes, puisque les conditions de vie sont souvent pénibles : manque de nourriture, vêtements inadéquats, sans abri, trempés par la pluie, cuits par le soleil… la pauvreté ici n’a pas de seuil. On croit qu’on a vu le niveau zéro, et puis on est confronté à pire… Mais toujours, les sourires, la dignité, le respect. Sont-ce des gens inconscients? Que non! Euphoriques? Non plus. Mâchent-ils des feuilles de coca ou fument-ils de ces herbes aux propriétés psychotropes? Certainement pas! Résignés, simplement. Les belles maisons, les voitures, les voyages à l’étranger, ce sont pour d’autres, pour les nantis ou pour les Blancs. Car nous, nous sommes «Blancs» et c’est bien plus qu’une simple question de couleur de peau; nous sommes différents, issus de pays d’abondance et à ce titre, disposons de privilèges : l’accès au savoir, à de bons soins de santé, à une vie culturelle riche, à des biens matériels imposants. Ici, rien de tout cela n’est acquis d’avance.
Mais d’où vient donc leur visible contentement, alors? Puisqu’il n’est pas dans la possession, il faut qu’il soit ailleurs, et parmi tous ces gens qu’il nous a été donné de rencontrer, un élément domine : la valeur humaine. Être heureux, en Haïti, c’est avoir de bons rapports avec d’autres humains. La famille immédiate, d’abord. Puis la famille élargie; puis le reste de la parenté, le voisinage, les amis, les amis des amis… bref, l’ensemble de ce que les Haïtiens appellent «moun pa». Un proverbe dit : «Moun pa-w, se dra» qui signifie «Ton clan, c’est [comme] des draps.» En d’autres termes, bien entouré, on peut dormir tranquille, sans crainte des attaques éventuelles. Le clan protège, sécurise, réconforte. Bien entouré, on est heureux, dans les limites de la misère. Car la misère, quand on ne la vit pas seul, s’accepte d’autant mieux. Dans un pays où plane de façon chronique la menace d’une violence souvent imprévisible — qu’elle vienne de la nature ou des hommes —, l’entourage fait toute la différence, et fait sans doute qu’en dépit de tout, tout le monde n’est pas si malheureux qu’on le pense.
Haïti, pays pauvre, certes. Mais infiniment riche de sa valeur humaine.
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