J’ai abordé — brièvement, il est vrai — le thème des enfants. Je pourrais difficilement passer à côté de leur pendant : les vieux.
Dans une culture orale comme celle d’Haïti, les personnes âgées ne peuvent être mises au rancart, car elles connaissent ce qui s’est passé avant. Les vieux sont les gardiens du savoir séculaire, qu’ils transmettent bien volontiers à tous ceux qui veulent bien les écouter. Ce que l’on fait bien volontiers. Une fois, j’écoutais un vieux raconter l’histoire d’un ouragan dont j’ai oublié le nom. Il en mettait sans doute un peu, mais l’essentiel reflétait quand même l’intensité de la catastrophe. Nous étions bien six ou sept à écouter sa narration des événements, et tous étaient captivés. Personne ne doutait de la véracité du récit, car pour la plupart, ce n’était pas la première fois que cette histoire leur était contée et la version s’accordait avec les versions précédentes (me dit-on). Pour moi qui l’entendais pour la première fois, je me disais : quel fabuleux conteur. Son histoire est comme un film qui se déroule sous nos yeux. On voit les maisons entraînées par les coulées de boue; on voit les gens crier, pleurer, s’accrocher à leurs maigres biens; on admet les morts et les disparus. Le drame devient réel et tout le monde reste pendu aux lèvres du granmoun qui raconte avec une émotion bien réelle et bien sentie. Et les jeunes qui composent l’auditoire, loin de se moquer des propos du vieux, les boivent comme du petit lait.
C’est sans doute pour cela que les gens âgés sont respectés : ils portent un savoir qui n’est accessible que par le poids des années. On accepte les vieux, on s’en occupe, on fait des blagues avec eux, on les intègre, bref, ils font partie de la vie. La retraite ici n’existe pas : lorsqu’on devient vieux au point de ralentir, on ralentit, tout simplement, mais on ne s’arrête pas pour autant. Je me souviens une fois d’un directeur qui devait embaucher un responsable. Après plusieurs entrevues, il jeta son dévolu sur un type de 76 ans! Nous étions tous étonnés de la chose, et pourtant, le directeur, le plus sérieusement du monde, maintint qu’il avait vraiment choisi le meilleur candidat. Qu’est-ce que l’âge, dans ce cas? (L’histoire nous prouva par la suite qu’il avait eu tout à fait raison.)
Les granmoun, c’est la sagesse vivante. Pas en raison de leur philosophie élaborée, mais bien par leur vécu, par leur mémoire et leur compréhension des choses de la vie. Un proverbe — un autre — l’exprime fort bien : «Bouch granmoun santi, sa’k ladan se rezon.» (Je n’ai pas besoin de traduire n’est-ce pas?) Au-delà de l’apparente fragilité de la vieillesse, il y a la solidité de l’expérience.
Mais plus important encore, il y a le contentement de vivre une existence simple, sans attente autre que celle d’avoir de quoi se mettre sous la dent et un endroit au sec pour dormir. Que demander de plus?
Bons commentaire sur la vie au Sud ..Bravo Richard et continue..
RépondreEffacerRichard, je peux pas m'empêcher de m'imaginer toi à 75 ans quand je regarde la photo. Sinon très bon article.
RépondreEffacer*** En passant c'était Mathieu
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