Vous le savez maintenant : lorsque la presse internationale parle d’Haïti, cela m’incite fortement à y mettre mon grain de sel. Or, l’article ici mérite certainement qu’on s’y arrête un peu, ne serait-ce que par son ton.
D’abord, je le précise : il n’y a rien de faux dans l’article; ou si peu. C’est vrai que les expulsions ont lieu, chaque jour la presse locale en parle et, disons-le sans tourner autour du pot, ça ne fait pas l’affaire de ceux et de celles qui en font les frais. Mais l’histoire ne dit pas tout.
Il faut en effet comprendre que la destruction engendrée par le séisme de 2010 n’a que précipité un problème qui était déjà gigantesque. Incidemment, l’article le reconnaît : «Avant même le tremblement de terre, le pays souffrait déjà d'une pénurie de logements. Amnistie internationale estime qu'il manquait 700 000 logements, et les deux tiers de la population en ville vivaient dans des quartiers improvisés.»
Arrive le tremblement de terre, toutes ces bonnes gens, dont la «maison» n’était souvent guère plus qu’un quadrilatère de tôle recouvert d’une bâche, se sont retrouvés dans les camps temporaires, bien mieux servis qu’ils ne l’étaient avant! Résultat : plusieurs s’en sont trouvés fort bien, au point où certains n’ont pas hésité à louer leur propriété pour pouvoir profiter des largesses de l’aide internationale dans les camps... Voyez le second paragraphe de mon texte antérieur. Relisez la citation que j’avais choisie pour vous et vous allez vous rendre compte que deux ans plus tard, rien n’a changé, quoi qu’en dise Amnistie internationale.
Remarquez que je ne critique ni ne condamne le travail de cette noble organisation dont le rôle de chien de garde a toute sa raison d’être : les abus de pouvoir sont nombreux dans le monde et il est bon que, quelque part, quelqu’un crie : «Attention là! Vous dépassez les bornes!» Mais il faut se poser la question : quelles sont ces bornes? Qui les fixe? Les normes haïtiennes en matière de logement ne sont certainement pas celles du reste de l’Amérique du Nord, et pas pour des questions économiques comme en raison des habitudes de vie des Haïtiens. Ici, la maison ne sert souvent que d’endroit pour dormir car toutes les activités quotidiennes se font au dehors : la cuisine, le bain, la lessive, les loisirs, tout se fait dehors. Dès lors, déloger les gens devient un problème car pourquoi s’en iraient-ils? De là pour les autorités à y aller manu militari, c’est peut-être un peu fort, mais il faut comprendre que les gens sont très entêtés, un effet secondaire sans doute de cette résilience que l’on loue tant chez les Haïtiens…
"«Personne ne souhaite vivre dans un camp, mais la solution, ce n'est pas de les démanteler et de dire aux gens 'débrouillez-vous'», souligne Anne Sainte-Marie, du bureau montréalais d'Amnistie." Permettez-moi d’être plutôt en désaccord : d’abord, je le redis, il y a des gens qui ne demandent pas mieux que de vivre dans un camp, pour la raison que j’ai mentionnée plus haut, à savoir : même si les installations y sont précaires, c’est souvent mieux qu’ailleurs. Ensuite, je crois personnellement que dans plusieurs cas, la seule façon de vider un camp de ses usagers, c’est de le démanteler. Bien sûr, les Haïtiens devront se débrouiller, mais ça, ils savent très bien le faire…
Et puis, malgré les constats d’Amnistie, le travail de relogement se fait tout de même et, ma foi, mérite d’être souligné voire louangé car ce n’est vraiment pas facile. Voyez ce qu’en dit Clément Bélizaire, directeur de l’UCLBP (Unité de construction de logements et de bâtiments publics) :
« Nous avons pu reloger à date 300,000 des 650,000 personnes qui vivaient dans les camps quand nous avons commencé nos activités. Cette année nous allons encore reloger environ 125,000 et ceci tout en respectant les prescrits des droits de l’homme ».Je trouve que c'est tout de même pas si mal... Et vous?