dimanche 10 juin 2012

Droit de parole


J’ai l’impression que quelque chose de grave est en train de se produire au Québec. Et non, ce n’est pas la révolution marxiste-léniniste à laquelle plusieurs jeunes se réfèrent sans trop savoir ce qu’elle implique : c’est plus sournois et plus dangereux que ça. Car je parle ici de la liberté d’expression et j’ai comme l’impression qu’elle en prend un coup, ces temps-ci. Voyez le titre de l’article de Michelle Ouimet : le dérapage verbal. En référence aux propos de Jacques Villeneuve qui a eu le front de dire ce qu’il pensait des étudiants. L'affront, devrais-je dire. Car s’il avait encensé le comportement de ces mêmes étudiants, il n’y aurait pas eu de dérapage, c’est bien ça? En d’autres termes, le seul discours qui tienne est celui qui va dans le sens même de la contestation étudiante, tous les autres étant des discours fascistes, capitalistes, bourgeois, phallocrates et quoi d’autre encore…! Eh bien moi je vous dis : c’est grave.

«Se taire ou pouvoir dire ce que l'on pense bien que ce soit contraire à la majorité bien pensante. C'est aussi ça la démocratie», dit Danielle Lavoie, une amie d’une amie facebook qui, je l'assume, me permettra de citer son commentaire, tout comme mon cousin Gilbert qui écrit : «C'est ça le problème, la majorité silencieuse est muselée. On a beau crier haut et fort ''démocratie'' mais quand on est même pas foutu de respecter les opinions divergentes...!» Or, c’est là tout le problème, c'est bien vrai : les tenants des casseroles pourfendent ceux ou celles qui ne sont pas du bord des étudiants, les écrasent sous des commentaires méprisants et leur disent en termes non équivoques de la fermer. Museler. Le mot dit bien ce qu’il dit : attacher le museau pour empêcher les chiens de japper ou de mordre. C’est là qu’on en est rendu avec cette sordide affaire de contestation étudiante… Vous ne trouvez pas ça grave, vous autres? Eh bien moi oui. Même Foglia ne sait plus trop comment s’en sortir, lui qui n’a jamais fait un secret de ses allégeances idéologiques et qui ne s’est jamais privé de les exposer avec toutes les couleurs de sa riche palette langagière. Mais là, il en a sa claque du mépris. Je le cite, de sa dernière chronique : «Pourquoi je vous raconte tout ça? Parce que vous commencez à me faire chier. Oui, vous, ami lecteur. Vous qui, ces jours-ci, m'écrivez des horreurs. Depuis mon premier jour à La Presse, il s'est trouvé des joyeux tôtons pour me demander si je n'avais pas honte de travailler pour Power Corp. Mais depuis trois semaines, depuis cette vidéo mise en ligne par Anonymous, vous êtes déchaînés.» Eh bien moi, j’abonde dans le même sens. Alors que les opinions des journalistes sont allées tantôt en faveur des étudiants, tantôt contre, les commentaires sur les blogues des journalistes, sur Facebook ou Twitter sont radicaux et radicalement contre toute opinion qui ne va pas dans le sens de la contestation. Or, comme dans toute décision venant de l’État, on peut être d’accord ou ne pas l’être. Dans un régime totalitaire, si on est contre, on se tait car sinon on se retrouve en prison — ou pire : mort. Mais dans une société démocratique, les opinions diverses ont le droit de s’exprimer librement, n’est-ce pas? Alors dites-moi : d’où vient cette haine envers ceux ou celles qui ne sont pas d'accord avec la contestation étudiante? Et le respect là-dedans, il est où?

J’avoue que je ne comprends pas trop, mais lorsque des gens se trouvent muselés par d’autres, simplement à cause d’une divergence d’opinion, on peut se demander ce qui s’en vient après. Jacques Villeneuve n’est certainement pas une autorité politique ou philosophique; mais il a droit à son opinion d’homme libre et en l’exprimant, il n’oblige personne à la partager. Aurait-il fait mieux de se taire? Pourquoi? Pour quelle(s) raison(s)? Il ne siège pas au gouvernement, n’est pas journaliste, ne fait pas partie de la structure collégiale ou universitaire, bref, n’est pas un rouage important dans cette affaire. Et pourtant, on le descend en flammes. Parce qu’il a dit ce qu’il pensait, tout simplement.

Vous ne trouvez pas ça grave, vous autres? Eh bien moi oui.

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