On nous demande parfois comment se passent nos relations avec les Haïtiens. La réponse est toujours la même : plutôt bien, compte tenu des énormes et irréductibles différences culturelles et sociales. D’abord, ne l’oublions pas, nous sommes blancs dans un pays noir. Difficile de passer inaperçus, vous l’avez compris. Difficile de passer pour des autochtones, bien que parfois et malgré notre teint pâle, le doute fleurit dans certains esprits... Mais règle générale, les Haïtiens ne sont nullement racistes et j’entends par là, portés à nous juger en s’appuyant sur des clichés en rapport avec la couleur de notre peau, entre autres. Nous avons toujours l’impression d’être accueillis avec une ardoise propre sur laquelle seront inscrits, par la suite, les traits personnels que nous exprimerons. En d’autres termes, si l’on est «corrects», tout se passera bien et dans le cas contraire, nous serons laissés pour compte tout simplement. Or, pour nous et en règle générale, nous sommes perçus comme «corrects» et donc nos rapports sont essentiellement cordiaux.
Cette cordialité s’étend tout particulièrement aux relations que nous entretenons avec les employés de notre petit hôpital. Au fil des ans, les employés ont appris à nous connaître et à apprécier notre direction rationnelle mais permissive, efficiente mais personnalisée. Nous connaissons nos quelque 90 employés individuellement et sommes en mesure de comprendre leurs situations. Comme plusieurs me le disent encore : «Ou papa nou». Tu es notre papa. Et ce n’est sans doute pas si loin de la vérité : la relation avec les employés ressemble en effet souvent à une relation familiale où l’autorité, représentée et assumée par le chef de famille, reste néanmoins discutable et négociable. Juste pour vous dire, encore la semaine dernière, une infirmière venait me voir pour justifier sa vision des choses et après l’avoir écoutée s’exprimer librement, j’ai effectivement reconsidéré la question et lui ai donné raison. D’autres me fournissent parfois des explications tout à fait farfelues auxquelles je ne peux malheureusement pas acquiescer. Alors, c’est non. Mais l’idée du non, c’est qu’il doit rester admissible par celui ou celle qui en fait l’objet. Car il y a plusieurs façons de dire non, je ne vous apprends rien ici…
Alors, quelle est la règle? Je dirais qu’il y en a deux. La première, c’est d’accepter que si l’on est chef, on doit assumer la charge qui l’accompagne. Un proverbe haïtien le dit bien d’ailleurs : «Responsab se chaj». Être responsable, c’est une charge. C’est incidemment un point que je rappelle souvent à nos employés : la charge n’est pas toujours plaisante, mais elle est incontournable. On ne peut pas la prendre un jour et la refuser le lendemain. La seconde, c’est tout simplement la vieille règle d’or éthique qui dit qu’on ne doit pas faire à autrui ce qu’on ne veut pas qu’autrui nous fasse (ou son pendant à la forme affirmative : on fait à autrui ce qu’on voudrait qu’autrui nous fasse— sado-masos, s’abstenir!). Cependant et malgré tout le gros bon sens de cette règle, elle n’est pas toujours applicable en situation d’autorité et il arrive parfois qu’on doive prendre des décisions dont on n’aimerait pas vraiment faire les frais (un congédiement par exemple). Ce n’est jamais une source de joie, mais s’il le faut, il le faut et on ne recule pas. Et les relations humaines, en bout de ligne, ne s’en portent pas plus mal, bien au contraire.
Somme toute, une bonne relation s’appuie sur l’estime mutuelle, le respect partagé et l’honnêteté, qualités qui sont courantes chez le peuple haïtien. Et nous? Ben nous, on se sent tout à fait à l’aise là-dedans...
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