lundi 4 avril 2011

L'amère pilule


Avez-vous hâte à cinq heures, aujourd'hui?

Peut-être, si c'est à cette heure que se termine votre journée de travail; sans doute pas s'il n'y a pas d'occasion spéciale pour vous. Car le 4 avril est une journée normale pour tout le monde, sans fête particulière (il y a bien celle de St-Isidore, le patron des informaticiens, mais qui s'en soucie?) ni événement digne de mention. Pour nous cependant, c'est la date fatidique; la date butoir, celle où le couperet tombe et où la merde fuse de toute part. Celle de l'annonce officielle des résultats préliminaires du second tour des élections nationales. Je n'ai pas voulu vous rebattre les oreilles (les yeux, si vous préférez) avec ce thème redondant et truffé de lapalissades : je vous ai dit ce qu'il en était et je vous ai dit que si Martelly n'était pas élu, les choses risquaient fort de se gâter. Puis je me suis tu, sachant très bien qu'il ne servait à rien d'ergoter sans matière à réflexion. Mais aujourd'hui, bien que la matière ne soit pas plus riche, faut admettre que la tension a monté d'un gros cran. Tout le monde attend et tout le monde s'attend à des résultats qui risquent de ne pas aller dans le sens de la volonté populaire. Dit-on. Donc tout le monde (ou presque) s'est armé, et pas de patience... Bref, cinq heures risque fort de sonner le glas de la période de répit que nous avons eue jusqu'à maintenant. Car les fanatiques sont prêts.

Vous dire que ça nous comble d'aise serait mentir. D'ailleurs, je cherche encore LA personne que ces événements mettent à l'aise : tout le monde a peur, tout le monde retient son souffle, tout le monde attend que ça passe en espérant que ce ne sera pas trop long et que la casse sera limitée. Certains, plus vieux, parlent avec amertume autant qu'avec honte du processus électoral ici qui finit toujours par déjanter et par sombrer dans la violence gratuite. Des élections sans violence en Haïti, ça ne se fait pas. Tout le monde le sait et tout le monde le désapprouve, mais ça ne change rien à la chose ni à son résultat : le pays paralyse, le temps que cette effusion de mauvais sang ait éclaboussé les rues. Puis, timidement, on revient à la vie normale. C'est un processus douloureux, mais inévitable semble-t-il. On nous dit de nous tenir à carreau; c'est que ce que tout le monde fait d'ailleurs. Encore une fois, puisqu'il faut y passer, il faut serrer les dents et se résigner. Après, ce sera mieux. Car il y aura un après : il ne faut pas en douter.

Donc si vous croyez que les prochaines heures nous excitent et nous rendent fébriles, eh bien vous n'y êtes pas du tout. Au contraire, elles usent la patience et font croître le stress de l'impuissance et celui, non négligeable et bien présent, de la peur. Car si tout le monde a peur, faudrait être totalement inconscient pour ne pas la ressentir, ne serait-ce que par contagion. N'ap swiv, comme on dit...

Et puis il faut se dire qu'il y a pire : la Libye, pour ne pas la nommer; la Côte d'Ivoire... En fait, c'est justement ce qui me fait doublement peur : que ces pays "inspirent" nos manifestants locaux et leur mettent en tête des idées d'hécatombe qu'ils n'avaient pas auparavant. Mais encore une fois : qu'y peut-on?

Surtout, ne me dites pas : "Lève le camp! Déménage!" D'abord il est trop tard et ensuite, ce n'est pas le but du jeu : il s'agit au contraire de faire avec la réalité qui nous entoure. Bref, je ne vous apprends rien aujourd'hui, mais je veux quand même partager avec vous, mes fidèles, cet inconfort qui nous affecte tous. La pilule est amère et on ne l'a même pas encore avalée! Mais bon. On devrait y survivre...

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Il est présentement 18 h, à notre heure non avancée. Martelly est confirmé chef dans ces résultats préliminaires. Quel soulagement! Qu'il soit bon ou pas importe peu : l'important c'est qu'il est ce que le peuple haïtien veut! Une nuit chaude, donc, mais pas nécessairement violente... À suivre...

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