La saison des mangues bat son plein. Ce fruit succulent, tout à fait tropical et donc, tout à fait haïtien, est très prisé de la population qui fait parfois des pieds et des mains pour en croquer. Or, il s’avère que nous avons plusieurs manguiers—pye mango en créole—dans la cour…
Alors vous voyez d’ici le tableau : une cour d’établissement public est publique, non? Quel meilleur endroit pour trouver des mangues à bon compte! Si bien que chaque jour, nous avons droit à la procession de gens de tous âges et des deux sexes confondus qui arpentent notre cour pour ramasser les mangues tombées. Car les mangues mûres, comme tous les fruits qui se respectent, quittent leur branche mère et, obéissant à la loi de Newton, arrivent jusqu’au sol. Bien sûr, dans leur chute libre, ces fruits lourds passent à travers le feuillage, bousculent quelquefois une autre mangue qui, presque sur son départ, en profite pour décrocher, si bien que toute cette activité ne se fait pas sans bruit. Or, ces bruits de feuilles froissées sont quelque peu suspects, surtout la nuit, et peuvent faire penser à des intrus animés de mauvaises intentions. Et quand, pour rassurer votre conjointe énervée, vous vous levez au beau milieu de la nuit pour vérifier que tout est paisible et que vous voyez effectivement une silhouette suspecte dans la cour, eh bien la notion de sécurité abordée précédemment vous revient tout à coup à la mémoire! Évidemment, tout s’explique : les intrus, ce ne sont que les gardiens de nuit venus ramasser les mangues qui tombent. Ouf! Ce n’était que ça...
Donc, la cueillette informelle se fait par tous ces gens qui se promènent les yeux rivés au sol. Mais il y a les autres, des ados pour la plupart, qui préfèrent la méthode plus directe : pourquoi en effet attendre que tombe la mangue convoitée quand on peut lui forcer la main d’une pierre bien placée? Alors ces jeunes, souvent assez adroits, il faut bien le dire, lancent des pierres sur les mangues haut placées—les plus mûres par définition, puisqu’elles reçoivent un max de soleil—pour les faire tomber. Le système marche assez bien, je dois le dire, mais il a un inconvénient : comme je l’ai dit plus haut, la loi de Newton s’appliquant, tout ce qui monte finit toujours par redescendre et la pierre lancée suivant une parabole presque verticale va immanquablement retomber à quelque part. C’est ce «quelque part» qui m’inquiète et qui me met parfois les nerfs en boule. Car les pierres retombent tantôt sur la maison, sur les voitures garées dans la cour ou, pire encore, sur les gens (sans blague). Mais allez donc faire comprendre cela aux tireurs de roches, quand les mangues sont à la clé…
Finalement, las de ces perturbations dans notre petite vie tranquille, il ne reste qu’une solution, la radicale : envoyer l’un de nos employés dans l’arbre (le meilleur grimpeur) et tandis qu’il secoue les branches chargées à tout rompre, faire ramasser le produit de ses efforts. Comme ça, on a la paix pour quelque temps, le temps que d’autres mangues, d’une autre variété, arrivent à maturité et que ça recommence. Pas toujours drôle, la vie sous les tropiques… Cependant, on finit par en voir la fin et la saison des mangues est bientôt remplacée par celle, moins drôle, des ouragans… Qui aurait envie de se plaindre?
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