Je vous l’avais bien dit, à vous les sceptiques qui vous gavez de télévision à sensation : vous pensiez que le pays était au bord de la crise anarchique, que la révolution allait éclater et que nous allions tous périr, exécutés pour motif de traîtrise à la cause. Mais voilà : comme il n’y a pas vraiment de cause, le feu, pourtant bien chaud, brûle rapidement toute sa paille et la fumée se dissipe sous le vent de l’espoir.
L’espoir n’est pas devenu noir. Pas cette fois. Les promesses présidentielles, providentielles, pourrait-on presque dire, ont eu raison du goût de bile que la faim avait laissé dans ces estomacs errants. La grogne s’est tue, du moins pour un temps, et le peuple se reprend d’espérer que les choses iront mieux demain. Mais la lucidité de certains fait mal à entendre : «En quelques jours, raconte ce mécanicien, le pays a reculé de plusieurs années.» La sauvage destruction des propriétés, le saccage des commerces, les voitures incendiées et le pillage font honte aux gens de ce pays. Pas une seule fois n’ai-je entendu quelqu’un me dire que la violence était nécessaire. Qu’elle avait porté fruit. Bien que sympathisant à la cause d’un peuple qui a faim, j’ai été surpris de ne pas trouver d’écho à ma sympathie, de recevoir des hochements de tête pleins d’amertume et de fatalisme. «Rien ne changera jamais ici», me disait encore quelqu’un. J’avoue que ça ressemble étrangement à du désespoir…
Mais enfin, l’accalmie donne à tout le monde une chance de reprendre son souffle. On sort maintenant, et la vie citadine ressemble à peu près à ce qu’elle était il y a quinze jours. Aujourd’hui, pour la première fois, les enfants sont retournés à l’école. Les banques, toujours prudentes, ont timidement ouvert leurs portes hier et j’en connais qui ont poussé des soupirs de soulagement. Les commerces marchent à nouveau et les gens respirent. Bref, la vie reprend, normale ou à peu près, car on ne sait jamais : il suffit de si peu pour que ce semblant de stabilité s’écroule comme le viaduc de la Concorde. Mais puisqu’on ne peut avoir mieux, aussi bien se contenter de ce radeau de la Méduse, puisqu’il suffit à nous maintenir à flot.
Stabilité, donc, mais éphémère; capable de durer deux jours ou deux ans avant que le chaos reprenne ses droits. Tout est cyclique ici, depuis la saison des ouragans jusqu’aux émeutes, et si la première revient avec une régularité de pendule (mais une intensité variable, heureusement), on se prend à souhaiter que les secondes se fassent plus espacées… genre comète Halley, par exemple (prochain passage prévu pour 2061, soit dit en passant)…
Tout ça pour vous dire que je tourne, avec cette page, le chapitre des effets néfastes et pernicieux d’un peuple émotif et vous reviendrai sans doute avec des propos plus légers, moins amers, plus ensoleillés, moins chauds, plus gras, moins gris, bref, plus agréables. Car qui a envie d’entendre parler de la misère des autres? Dommage que de ne pas en parler ne la fasse pas disparaître…!
Quel beau texte! Vraiment une écriture de journaliste célèbre. Qu'attends-tu pour devenir « freelance » ??
RépondreEffacer