mardi 28 juin 2011
Une histoire qui fait mal
Je suis tombé par hasard sur cet article la semaine dernière. Le sujet est grave et j'avoue que je ne savais pas trop comment l'aborder. Ne le sais toujours pas d'ailleurs. Mais voilà que je suis présentement plongé dans le dernier roman d'Harlan Coben, Caught ou Faute de Preuves si vous préférez la traduction française, dont l'intrigue tourne autour de la pédophilie, alors je me suis dit : c'est un signe.
Car il faut bien le dire, il se passe dans le pays des choses pas toujours catholiques qui s'entremêlent justement avec des fervents catholiques (ou leurs équivalents). Il faut dire que le pays s'y prête affreusement bien. Alors que la pédophilie internationale est maintenant bien installée sur le Net et accessible incognito à travers des réseaux secrets de mieux en mieux protégés, celle qui prévaut en Haïti est, par la nature même des choses, forcément locale et désorganisée. Ce qui ne la rend pas moins insidieuse ni dommageable pour autant.
Je n'ai pas besoin de vous dire qu'en Haïti, il y a beaucoup d'enfants. Il y a beaucoup de monde, dont beaucoup peu ou pas informés et donc, beaucoup de naissances non désirées qui finissent souvent par un abandon simple du nouveau-né à la porte d'un hôpital ou d'un orphelinat. Car il y a aussi, en Haïti, beaucoup d'orphelinats. En fait, les bons samaritains à court d'idées choisissent aisément cette porte humanitaire car elle s'ouvre sans peine et comble un besoin que l'on sait criant. Notez bien que je ne critique pas ces orphelinats champignons : ils répondent indéniablement à un besoin social profond et sans cesse grandissant. Ainsi, notre ami Peter, dont je vous ai déjà parlé, a fondé dans la zone un orphelinat pour jeunes filles seulement et j'atteste que le projet est non seulement admirable, mais donne de très bons résultats. Les jeunes filles ne sont plus dans la rue, elles vont à l'école et apprennent un métier qui leur permettra, possiblement, de sortir des ornières de l'exploitation sexuelle toujours présente dans l'ombre. Car ce n'est pas évident pour les orphelins «de père et de mère», comme on dit couramment. De là à imaginer que des gens peu scrupuleux pourraient, sous le couvert d'un orphelinat crédible, exploiter la veine sexuelle, il n'y a qu'un pas, et certains le franchissent allégrement, surtout s'ils se sentent protégés par la couverture de la religion. Car en Haïti, rares sont les personnes qui doutent de la sainteté de la religion et de ses tenants officiels. Ainsi, prêtres, frères, soeurs et associés bénéficient spontanément d'une couverture d'innocence et de bonté divine qui leur permet d'agir en toute impunité ou presque. Personne en effet n'oserait remettre en question leur intégrité et pourtant...
Vue sous cette angle, la sordide histoire de ce pasteur américain ne surprend plus. Vous allez me dire que la justice a finalement eu gain de cause et que l'odieux personnage est maintenant mis à jour; vous aurez raison. Mais notez bien le temps qui s'est écoulé depuis ses débuts : 15 ans! Pendant 15 ans, le monsieur a joué au porte-parole du Tout-Puissant, aussi bien dire qu'il était lui-même tout-puissant et qu'il pouvait faire ce qu'il voulait, sans souci des représailles. Oui, je sais, c'est assez écoeurant. Mais la chose n'en est pas moins réelle pour autant. Et pour tout vous dire, sans doute pas si exceptionnelle que ça...
Car c'est là tout le problème : les orphelinats, je le redis, sont une nécessité, a fortiori depuis le tremblement de terre. On ne peut les fermer tous le temps d'enquêter sur leur pratique professionnelle. Or, par définition, les orphelinats sont situés à l'écart des centres, souvent dans des enceintes clôturées où n'entre pas qui veut. Ce qui s'y passe s'y passe à l'abri des regards indiscrets et des inquisitions sceptiques. Tout se fait en catimini et, répétons-le, trop souvent sous le voile opaque de la religion. J'avoue que j'ai, pour ma part, quelques impressions que je garde pour moi, mais qui m'empêcheront sans doute d'être surpris le jour où certain chat sortira de certain sac...
En tout cas, reste à espérer que le vilain Américain pourra se faire servir en prison les traitements qu'il a fait subir aux pauvres enfants sous sa tutelle. La loi du Talion était peut-être primitive, mais elle avait du bon, avouons-le...
Et mon bouquin? Je suis à peine à la moitié alors trop tôt pour vous dire... Mais Coben est habituellement bon, alors...
samedi 25 juin 2011
Quand il ne se passe rien...
Une autre journée ordinaire. Il ne pleut pas, il ne tonne pas, il n'y a pas de cyclones à l'horizon, pas de manifestations politiques, pas de grabuge, pas de routes barrées ni de ponts écroulés, bref, tout marche à peu près normalement. Et pourtant, lisez-moi cet article et vous allez me dire que le sort s'acharne encore sur pauvre Haïti! Et pourtant je le répète, tout va. Y compris le choléra! Car vous vous doutez bien que si les choses déraillaient de ce côté, votre fidèle chroniqueur (je parle de moi-même) vous en brosserait un tableau aussi coloré que véridique et vous sauriez tout ce qu'il y a à savoir sur la situation et même plus! Mais le journalisme, c'est autre chose. Quand il y a rien à dire, on invente, on gratte le fond d'un vieux tiroir poussiéreux pour en sortir une vieille information qu'on revampe à la mode du jour. Pas très sérieux? Non, j'en conviens. Mais c'est comme ça. Surtout lorsqu'il s'agit d'un article non signé, simplement identifié à l'Agence France-Presse. Et puis, les chiffres encore et toujours, ah! les chiffres... Allez donc savoir de quoi il retourne, maintenant...
Toujours est-il que, puisqu'on parle de choléra, parlons-en. Et profitons-en pour remettre les pendules à l'heure!
Le choléra, vous le savez j'en suis sûr, est une maladie tropicale plutôt répandue sur la planète, particulièrement dans les pays chauds, pauvres et surpeuplés. Haïti correspond plutôt bien à ces trois critères et pourtant, jusqu'à tout récemment, n'était pas touché par le choléra. Le tremblement de terre et ce qui s'en est suivi a changé la donne et tout à coup pour une raison qu'on ignore (en fait, on le sait, mais il vaut mieux le taire), la maladie a fait son entrée avec tambour et trompettes. Des gens en sont morts. Mais les efforts pour endiguer une épidémie qui eût pu être catastrophique ont porté leurs fruits et vers la fin de 2010, le nombre de cas restait à peu près stationnaire, les nouveaux cas équilibrant les guérisons. Car on en guérit du choléra! Et plutôt facilement, à ce qu'on dit! Cependant, une fois la maladie installée dans le pays, elle n'en sort pas si aisément. Tous les épidémiologistes savent cela. Le choléra est là pour rester pendant un bon ti-temps, c'est bien clair. Avec des variations constantes dans le nombre de cas, selon le temps qu'il fait ou les catastrophes qui dégradent les conditions de salubrité. Après les fortes pluies enregistrées au début du mois (et les inondations qu'elles ont entraînées à Port-au-Prince), il est donc tout à fait compréhensible, j'oserais presque dire «normal», que le nombre de cas augmente. Mais sans pour autant décimer la population! Alors pourquoi un titre aussi alarmiste? Vous connaissez la réponse aussi bien que moi : parce que ça se vend! L'information est biaisée et confuse, mais bon, qui s'en soucie? Surtout en ce qui concerne Haïti! L'important c'est que le titre de la nouvelle confirme ce que tout le monde pense déjà du pays, à savoir qu'il ne s'y passe rien d'autre que des catastrophes!
Eh bien je vous le dis tout net : c'est faux! En fait, quand il ne se passe rien, il ne se passe rien et les jours passent à leur rythme, avec des activités quotidiennes qui ressemblent énormément à celles que vous connaissez tous et toutes : les gens ordinaires qui vaquent à leurs occupations ordinaires, les commerçants qui font commerce, les bureaux qui bureaucratisent, les voitures qui circulent tant bien que mal dans une ville déjà trop coincée pour les contenir, les marchandes qui marchandent, les enfants qui, jusqu'à la semaine dernière, envahissaient les rues pour se rendre à l'école ou à la maison, dépendamment de l'heure, les bêtes qui s'en mêlent et qui s'emmêlent dans leurs cordes, la musique qui tonitrue et le reste et le reste, tout ça sous une chaleur suffocante. Car oui les amis, je vous l'ai dit mais vous l'avez déjà oublié, je le sais trop bien, alors je vous le redis : IL FAIT CHAUD! Et croyez-moi, venant de quelqu'un que la chaleur n'incommode nullement, ce n'est rien d'exagéré. Et encore une fois, ne me demandez pas ce que le thermomètre indique, car ce n'est pas d'une valeur numérique que je vous parle, mais bien d'une sensation globable de chaleur qui ralentit les ardeurs les plus zélées. Et pas juste pour nous, petits blancs mal ajustés! Les Haïtiens en général, les employés en particulier, s'en plaignent ouvertement, ce qui, pour un peuple qui ne se plaint jamais, en dit long sur les effets pernicieux de cette chaleur que j'ose qualifier d'excessive.
Mais bon. C'est mieux que le choléra, on sera d'accord là-dessus...
mardi 21 juin 2011
Au tribunal
Avez-vous déjà été convoqué au tribunal? Si oui, vous savez que tout suit un protocole bien établi, à la fois bien huilé et bien coincé. C'est la même chose partout, je pense, peut-être un peu plus protocolaire et par là même, plus lourd en Haïti. Convoqué au tribunal de la Paix où doit me rejoindre notre avocat, je m'y présente à l'heure dite (10 h), malgré l'avis de notre avocat qui me dit que le magistrat ne s'y présente jamais avant 10h30 de toute façon. Cependant, c'est la troisième fois qu'on m'y convoque, et je tiens à être à l'heure. En quoi j'aurai tort, bien sûr... La troisième fois, vous avez bien lu : la première fois, la séance a été annulée à cause de la pluie (oui, oui, ici la pluie suffit à annuler bien des activités et à fermer les écoles); la seconde, j'ai refusé de prendre la convocation des mains du gardien de sécurité qui l'avait reçue du huissier; mais cette fois, il semble que je n'aie pas le choix, alors aussi bien y passer de bon gré.
L'avocat se pointe passé 10h30; je le suis tandis que l'on monte à l'étage et qu'il se fait un devoir de saluer, de façon bien ostentatoire, tous les fonctionnaires de cet impérial office. Le magistrat n'est pas encore là : on va l'attendre un peu. Il arrivera vers 11h10, mais au moins il est là et nous pouvons passer à l'affaire qui nous concerne séance tenante.
L'affaire, vous la connaissez puisque je vous en ai parlé déjà : il s'agit du pauvre gars qui s'est électrocuté en allant cueillir un fruit. En peu de mots, je raconte ce que je sais et insiste que j'ai toujours été sincèrement malheureux du triste sort qu'a subi ce jeune homme, soutien de famille de surcroît. Ce qui est la plus stricte vérité, d'ailleurs. Le magistrat, bien seyant dans son complet gris, chemise à col empesé et cravate impeccable, opine du chef : il semble trouver cette narration crédible. Vient le tour de l'avocat de la partie adverse, en l'occurrence la famille du défunt qui présente sa demande comme une plaidoirie méritoire. Ce qu'elle n'est pas, car elle cherche à m'accabler d'un tort qui n'est certes pas le mien, ni celui de qui que ce soit, incidemment. Mais que ne ferait-on pas pour aider une pauvre famille miséreuse, n'est-ce pas? Et puis, l'Institut est riche, n'est-ce pas? Et puis le frère du défunt est totalement naïf, n'est-ce pas? Bref vous voyez le topo. Je sens que les dés sont pipés et que pour un exemple de Justice, on devra vraisemblablement repasser. Mais c'était mal sentir. Le magistrat fait le point et, citant un article de loi, déclare que l'Institut, représenté par votre humble scribe, détient effectivement une part de responsabilité dans l'affaire du seul fait que la barre de fer qu'a utilisée le défunt pour signer son arrêt de mort appartient à l'Institut, nonobstant la raison d'être de sa présence en ces lieux. Mieux encore, cet homme estime que l'offre monétaire que j'ai faite à la famille n'est tout de même pas dérisoire (c'est le mot qu'il a utilisé) et, pour peu qu'elle soit bonifiée quelque peu, lui semble tout à fait raisonnable. En contrepartie, il estime que demander $50,000 US en dédommagement est nettement exagéré, ce en quoi je suis tout à fait, mais vraiment tout à fait d'accord. Cependant, il a clairement signifié aux deux parties que ce n'était pas au Tribunal de fixer ce montant, si bien que le problème reste entier et toujours irrésolu. Or, le fossé entre les deux parties est profond et large, abyssal, j'oserais dire. Mais bon. On verra. Avouez que ça ressemble un peu à L'Huître et les Plaideurs, où La Fontaine ne se gêne pas pour se moquer sans vergogne des litiges et de leur issue rarement en faveur des principaux protagonistes... Bon d'accord. J'avoue que je suis un peu biaisé sur le sujet, car bien que la profession d'avocat soit honorable et parfois nécessaire, ses représentants en sont souvent de parfaits escrocs, opérant sous le couvert de la loi et de la justice. Oui c'est raide, je le reconnais, mais mes expériences avec ces professionnels n'ont jamais été très réjouissantes ni satisfaisantes, en Haïti pas plus qu'au Québec...
Comme quoi au Québec comme en Haïti, les litiges éclatent pour les mêmes raisons avec, sans aucun doute un aboutissement similaire...
Mais le pire dans toute cette histoire, c'est que le mort est toujours à la morgue, attendant patiemment (sa patience est sans limite) que l'affaire se dénoue. Mais sans égard à la patience du défunt, ce n'est quand même pas correct, mais alors pas du tout.
samedi 18 juin 2011
La bourrique égarée
La première fois qu'on l'a vue, elle était au beau milieu de la rue et n'avait pas trop l'air de savoir ce qu'elle y faisait. Les voitures passaient en klaxonnant et en la frôlant de près. Elle ne bougeait pratiquement pas, sans doute de peur d'aggraver une situation qui n'était déjà pas bien enviable. On a conclu qu'elle s'était sans doute échappée et que son maître viendrait immanquablement la récupérer dans un petit moment. Mais quelques jours plus tard, la voilà qui arpente toujours la rue, en face de l'entrée de notre hôpital, mais cette fois, elle boite et semble vraiment perdue. Je signale au gardien qu'il faut la faire entrer, d'une part pour ne pas qu'elle provoque d'accident et d'autre part pour qu'elle puisse s'alimenter à même notre abondant pâturage. Visiblement, la bête s'y plaît. Elle en brait de plaisir. Même que ce doit être la Saint Michel, car notre bourrique change visiblement de poil, qu'elle perd en grosses touffes hirsutes. On se demande d'ailleurs pourquoi la bête devrait changer de poil, puisque les saisons ici sont pratiquement toujours les mêmes. Mais passons. L'essentiel est que l'âne va mieux. Sauf qu'il claudique toujours et ça n'a pas l'air de lui faire grand bien. Qu'à cela ne tienne : nous ferons venir l'agronome/vétérinaire qui s'occupera fort bien de l'animal, lequel n'y trouve rien à redire. Voilà donc notre âne sur pied et refait, comme on dit en créole en parlant d'une personne en convalescence. Les gars l'ont pris de sympathie et s'occupent de lui : on lui donne régulièrement à boire et on le déplace fréquemment pour qu'il ait d'autres espaces à brouter, ce qui ne manque pas sur le terrain.
Tout cela s'est passé il y a presque deux mois. Je croyais bien qu'un jour, quelqu'un se présenterait pour revendiquer la propriété de la bête, mais non. L'âne est à nous, maintenant, de droit et de fait semble-t-il. Si bien qu'un de nos employés m'a dit que d'ici quelques semaines, on pourrait le vendre avec profit. Le vendre? Jamais! L'animal est inoffensif, ses besoins sont simples et faciles à combler et sa présence est apaisante. En outre, je sais que sa vie ailleurs serait certainement moins facile qu'ici : ici, c'est la carotte, mais ailleurs, c'est le bâton...
On dit «bête comme un âne», vous le savez. Eh bien moi je vous assure que notre bourrique, elle n'est pas si bête que ça. À preuve : elle me reconnaît! J'entends déjà vos sarcasmes : «T'es pas difficile à reconnaître!» «L'âne te trouve sans doute un air de famille...» «Qui se ressemble se rassemble», et autres quolibets aussi insignifiants que faciles qui me coulent sur le dos comme l'eau sur le canard proverbial. Car le fait demeure : la bourrique apprécie ma compagnie, s'approche quand je l'approche et vient se faire gratter le museau et les oreilles. Non, je ne lui ai pas appris à faire le beau (c'est un mâle, sur ça, aucun doute n'est permis) et n'ai pas l'intention de le faire, car il y tout de même des limites. Mais cette reconnaissance de la bête me va droit au cœur, comme si elle savait qu'elle me devait son statut désormais enviable. Comme quoi un beau geste ne passe pas toujours inaperçu...
Reste que jouer à l'ami des bêtes fait une grosse différence dans la perception de mes confrères haïtiens, pour qui une bête est une chose animée, sans plus. Voir qu'on peut établir une relation avec une bête et que la bête semble apprécier est une notion nouvelle, peu connue et peu fréquentée. Les chiens en sont un bon exemple. Je vous ai dit que notre chienne, celle qui nous a adoptés (et non le contraire), avait eu une première portée de 6 chiots vivants. Je pensais qu'on aurait de la difficulté à s'en défaire et qu'il faudrait sans doute se résoudre à les occire sans souffrance, mais j'avais tort : ils sont partis comme de petits pains chauds! Reste à espérer que ce petits pains chauds ne vont pas se transformer en hot dogs, mais là, ce n'est plus de notre ressort de toute façon. Reste donc la mère et un jeune mâle qui, d'ici peu, ne se fera sans doute pas prier pour s'essayer avec cette gentille femelle. La nature, c'est la nature...
Mais je reviens à ma bourrique. Elle broute, elle proute et entre les deux, brait un peu, sans doute pour s'aérer le gorgoton, car l'herbe, j'imagine que ça colle un peu, non? Et tout ça dans l'insouciance la plus pure, comme si rien d'autre n'était vraiment important.
Des fois, je me dis que ça serait bien, pour un petit moment, d'être un âne, tiens...
mercredi 15 juin 2011
Une journée comme tant d'autres
Comme ça passe vite! Déjà une autre semaine qui s'est envolée on ne sait où. D'ordinaire, on voit un peu les jours passer, mais ces temps-ci, ça déboule! C'est vrai qu'il y a plus d'activités administratives que d'ordinaire : problèmes légaux, contrats de travail, commandes de matériel, problèmes mécaniques, problèmes de courant, problèmes d'infrastructures, problèmes de tout acabit. MAIS le soleil est revenu! YES!!! C'est déjà énorme! En fait, vu de ce pays, il est énorme! Et chaud avec ça, que tout le monde s'en plaint maintenant! Mais bon; comme le dit un proverbe d'ici : vant vid se misè, vant plen se traka. (Relisez à voix haute : ventre vide c'est misère, ventre plein c'est tracas; vous voyez bien que le créole, ce n'est pas si difficile!) En d'autres termes, on passe aisément de Charybde en Scylla...
J'avoue ne pas avoir grand chose à râler aujourd'hui. Je pourrais vous parler de mes problèmes, mais franchement, dites-moi : qui est intéressé à entendre les problèmes des autres? À moins qu'ils soient drôles, bien sûr. Auquel cas on s'en pourlèche les babines. Mais mes problèmes ne sont pas vraiment drôles et s'ils sont susceptibles de faire sourire parfois, une fois qu'on les place dans leur contexte, ils sont toujours un peu tristes. Comme le décès de cette employée, que l'on vient tout juste d'apprendre. Morte de leucémie, la pauvre fille... Qu'y peut-on?
Sans rapport avec ce qui précède:
Coups de feu dans la nuit! Pas vraiment la nuit car il n'est que 9h30 environ, mais disons que la nuit est tombée depuis quelque temps déjà. Pas de lune, du moins pas encore. Qui tire? Sur qui? Ça reprend. Ça se prolonge pendant près d'une demi-heure. Ce n'est pas loin, alors on reste sur le qui-vive. Et puis ça cesse. On respire, on s'endort. Ce n'est que le lendemain matin qu'on saura ce qui s'est passé. À quoi pensez-vous? Une fusillade entre gangs de rue? Une affaire de drogue ayant mal tourné? Un affrontement entre la police et des vagabonds? Un vol? Un kidnapping? Eh bien vous êtes tout à fait à côté! Tout simplement, c'était une fête chez la police! Et faisant la fête, on en a profité pour tirer quelques coups de feu en l'air, comme ça, juste pour ajouter à l'ambiance festive!!! Tu parles...
Reste qu'on est souvent dans le noir, et pas seulement la nuit. On entend ce qui se passe dehors, mais on n'en comprend pas toujours la raison et on s'inquiète souvent pour rien. Mais comment ne pas s'inquiéter? Les coups de feu signifient qu'un projectile est lancé à très haute vitesse dans une direction x (à moins d'une balle à blanc, bien sûr, mais ici, elles sont rares). Or, je l'ai déjà dit, une balle perdue est aussi potentiellement dangereuse qu'une balle intentionnelle, je pense qu'on sera d'accord là-dessus. Donc l'inquiétude dans ce cas, ne me paraît en rien associable à de la poltronnerie mais plutôt à du gros bon sens. Quand ça tire, on se fait petits, question de minimiser la cible...
Mais dire que ça nous préoccupe serait mal dire. On s'habitue, comme pour le reste. On réagit quand ça se produit, mais on ne s'en fait pas outre-mesure quand tout est tranquille. Or, le pays est présentement tranquille, tout le monde vous le dira. Pas sans problèmes, entendons-nous bien, mais tranquille. C'est déjà beaucoup. C'est d'ailleurs dans ce contexte que nous avons stoïquement subi les coups de feu de la nuit dernière : si le pays est tranquille, les coups de feu ne peuvent être vraiment dramatiques, n'est-ce pas? Comme quoi on rationalise n'importe quoi...
Changement de propos, il faut que vous lisiez cet article paru sur Haiti Press Network. Le sujet pourra en intéresser plusieurs. Et l'article, avec son ton bon enfant vous fera sourire, c'est sûr. Mal écrit, mal structuré, mal informé, mais bon enfant que c'en est drôle. L'article du Nouvelliste sur le même sujet fait nettement plus sérieux disons...
Ah! oui, j'oubliais : il fait pas mal chaud, vous l'avais-je dit?
mardi 7 juin 2011
Jour spécial
Quand je vous parlais hier de pluie excessive... Voyez ce qu'en dit Cyberpresse ce matin et vous admettrez que je ne charriais pas. Je sais bien qu'avec les inondations de la Montérégie, vous êtes habitués maintenant, mais en tout état de cause, ici, c'est pire. Pas mal plus pire, comme dirait l'autre. Et ce n'est pas parce que Haïti est habituée aux catastrophes qu'on doit minimiser celle-ci. Cependant, la pluie a diminué sensiblement aujourd'hui, et je crois bien que nous sommes arrivés au terme de cet épisode.
Cela dit, ce n'est pas de pluie dont je veux vous parler aujourd'hui mais plutôt de quelque chose de plus personnel et de plus réjouissant à la fois, car aujourd'hui est l'anniversaire de ma chère compagne. Eh oui, aujourd'hui, c'est son tour. Il faut bien qu'il arrive, à un moment ou à un autre, n'est-ce pas? Eh bien, pour elle, c'est aujourd'hui, ce 7 juin, qu'elle plante le jalon d'une autre année qui finit, jour pour jour, et d'une autre qui commence. Moi, vous me connaissez, j'adore mon anniversaire. Pas pour la fête -- je n'aime pas les fêtes et les célébrations -- comme pour l'occasion que l'anniversaire nous donne de tracer un bilan et de voir où l'on est rendu. Le jour de mon anniversaire, je le fais savoir à tout mon entourage et j'accueille avec plaisir les souhaits que l'on me transmet, parfois un peu par obligation, mais bon, je suis content quand même. Mais elle, elle déteste. Elle m'a fait promettre de ne pas révéler la chose aux employés, et comme c'est SON anniversaire, je peux difficilement ne pas respecter cette promesse, n'est-ce pas? Mais je n'ai rien promis concernant ma chronique blogueuse...
Journée plate, donc, journée ordinaire qui le restera jusqu'à son terme. De toute façon, il serait difficile de rompre avec notre quotidien juste parce que c'est son anniversaire... Nous avons passablement de travail sur les bras et les petits problèmes engendrés par les excès de pluie ne sont toujours pas réglés. D'ailleurs, et pour dire la vérité, j'imagine que nous ne ferions pas grand chose de plus si nous étions au Québec ou ailleurs : une sortie au restaurant sans doute, et tout serait dit. Mais ici, même cette simple activité est compliquée. Ici, aux Cayes, les restaurants sont rares et davantage utilitaires que propices à l'ambiance de fête intime que l'on recherche en ces occasions. Donc nous passerons. De toute façon, notre repas du midi se résume traditionnellement à un simple sandwich ou similaire, avalé en quelques minutes et suivi d'une sieste/période de lecture bien davantage appréciée. Quant au repas du soir, il est toujours délicieux, même dans sa simplicité, et souvent pris devant la télévision à écouter l'une ou l'autre de ces séries américaines dont je vous ai déjà parlé. (Présentement, nous suivons les mystères de Fringe et la perspicacité des protagonistes de Lie to Me, sans oublier le très décapant Weeds, à la fois drôle et osé qui nous met immanquablement de bonne humeur.) Bref, une journée tranquille, très similaire aux autres mais rassurante dans sa tranquillité. Les émotions fortes se présentent d'elles-mêmes dans ce pays, et franchement on n'a pas vraiment envie de courir après. Et puis si la pluie peut finir par faire place au soleil, ce sera déjà un événement en soi!
Je ne vous ferai pas de profonde -- et du coup oiseuse -- réflexion sur le sens profond de l'anniversaire. Néanmoins, j'aime. Il me semble que c'est un repère temporel important, ne serait-ce que parce qu'il ne se produit qu'une fois l'an. Alors même si ma tendre amie n'est pas d'accord, c'est son anniversaire et on ne peut pas le nier!
Alors, chère Chantal, Bon anniversaire et bonne continuation dans ce parcours qui n'est pas toujours facile!
lundi 6 juin 2011
Quand il pleut comme vache qui pisse...
Pleuvoir comme vache qui pisse... Avouez que l'image est belle. Encore plus lorsqu'on la met au pluriel : comme vaches qui pissent. Comme ça, vous avez une petite idée de ce qui nous est tombé dessus -- et continue de le faire -- depuis jeudi dernier. La pluie, mes amis, je vous dis pas. Or, si tout le monde est habitué de faire avec une pluie, si diluvienne soit-elle, qui dure quelques heures au maximum, personne ne sait quoi faire d'une pluie persistante, qui se poursuit jour après jour. En fait et pour tout dire, il n'en faut guère plus pour que c'en devienne dramatique. Témoin l'article du Nouvelliste que je vous surligne ici. Comme quoi la vie sous la tente n'est pas toujours rose, tous les campeurs vous le confirmeront. Or, dans les campements, on ne parle pas de séjours courts, mais bien d'installations semi-permanentes, toutes précaires quelles soient. Qui prennent l'eau, qui n'offrent qu'une protection illusoire, qui n'ont pas de plancher et qui, par conséquent, se transforment en torrents de boue quand la pluie s'excite. Et ces derniers jours, je peux vous qu'elle s'est pas mal excitée, la pluie...
Non, je ne nous plains pas. Notre confort habituel n'a pas été altéré par cette ondée excessive. Ou si peu. La maison ne coule pas, nous n'avons pas eu à subir l'inconfort d'une humidité écrasante, nous n'avons pas souffert du manque de provisions (au contraire de la plupart des gens), bref, nous étions et sommes toujours pas trop mal, même si confinés à demeure. Mais pour le peuple, c'est une situation difficile qui sape le moral même des plus solides et qui entraîne d'innombrables problèmes de santé, logistiques ou financiers, et je ne parle pas du reste. J'ai déjà dit que, dans un pays où la météo est prévisible à un mois près, personne ne s'en soucie et ce n'est pas vraiment un sujet de conversation comme ce l'est dans d'autres pays -- au Québec, entre autres. Mais aujourd'hui, tout le monde ne parle que du temps qu'il fait et de ce qu'il fera demain. Tout le monde a vraiment hâte que revienne le soleil qui fait partie de la vie tropicale au même titre que la mer turquoise ou les palmiers. Malheureusement, la masse qui nous affecte présentement ne bouge que très lentement et d'après les experts, ce n'est pas encore demain qu'on verra Galarneau nous sourire à nouveau...
Mais vous connaissez maintenant la patience haïtienne, n'est-ce pas...
Entre-temps, il a fallu s'attarder à quelques petits problèmes, sinon pour les résoudre immédiatement, à tout le moins pour en planifier la solution. Ainsi, le toit de l'hôpital coule à certains endroits. Oh! Rien de majeur, je vous le concède, mais un toit d'hôpital n'est pas supposé couler, je pense que nous serons d'accord là-dessus. Or, cela ne date pas d'hier et je dois dire que nous avons fait certains progrès pour enrayer le mal. Mais croyez-le ou non, depuis le séisme, nos problèmes se sont accrus avec des infiltrations nouvelles et plus importantes. Dont une, entre autres, juste au-dessus de mon bureau, rien pour me mettre en joie, vous l'aurez deviné... Mais bon. On va s'efforcer de régler ça. Autre petit effet secondaire de la pluie excessive : une invasion de cancrelats! Des centaines, m'a-t-on dit, qui ont choisi la cuisine et la salle à manger de la résidence pour protester contre le mauvais temps. Mal leur en prit. On les tua sans merci, qui à coups de savate, qui à coups de tue-mouches, qui à grandes doses de "Bay-Gon", notre insecticide local--très efficace d'ailleurs. Problème réglé, donc, jusqu'à preuve du contraire, en tout cas...
Mais le beau temps reviendra. Tout le monde le sait. Tout le monde attend. On parle de mercredi possiblement, alors on tient le coup jusque là. Et puis après s'il le faut. Par la suite, on pourra sécher la maison, les vêtements et les objets qu'on aime. Car ici, point de subventions gouvernementales, point d'aide de l'armée, point d'assistance, sous quelque forme qu'elle soit. Tout le monde le sait, donc personne ne s'en plaint et tout le monde va donc prendre son courage à deux mains et faire ce qui est possible pour rendre la misère moins pénible.
Aznavour, dans sa très belle chanson Emmenez-moi, dit: "Il me semble que la misère serait moins pénible au soleil." Il a sans doute raison. Mais sous la pluie, la misère, c'est aussi triste que Venise "au temps des amours mortes"...
mercredi 1 juin 2011
Ah! Les chiffres!
Lisant cet article sur Cyberpresse, je me suis dit : "Ben voyons!" Or il n'en faut pas plus qu'un "Ben voyons!" pour me lancer, vous le savez maintenant. C'est que la teneur de l'article me fait tiquer. On laisse croire que le fait que le séisme ait fait seulement 50,000 morts au lieu de 250,000 change tout dans la donne. Que rien n'est pareil, un peu comme si on avait fraudé le fisc en prétendant avoir gagné 50,000 $ alors qu'on a, en fait, eu des revenus de 250,000 $. D'où ma question : doit-on comptabiliser les morts comme on comptabilise l'argent? Un séisme qui fait seulement 50,000 victimes est-il moins grave qu'un autre qui en fait plus de 200,000? En termes stricts démographiques, oui. Mais en termes humains, c'est non. Catégoriquement. Car les chiffres nous parlent de données, analysables et compilables; pas d'humains qui, en ce jour fatidique, ont péri écrabouillés comme des fourmis. D'ailleurs, pourquoi devrait-on croire ces nouveaux chiffres et pas ceux d'avant? Pourquoi les premiers seraient-ils franchement exagérés alors que les derniers seraient le portrait fidèle de la réalité? Ça me paraît bien douteux... Car enfin, faut voir un peu comment ça se passe, par ici. Recensement? Allons donc! Comment faire quand les gens habitent tantôt chez l'un, tantôt chez l'autre, tantôt à deux ou trois endroits à la fois? Comment croire que les nouvelles données s'appuient sur des faits vérifiables? Permettez-moi d'être sceptique... Surtout sachant que l'étude a été commandée par le USAID. On sent les experts derrière, et des frais professionnels bien gras, n'en doutez pas. Juste pour vous dire, j'ai entendu qu'un formateur pour le compte de l'ONU touchait $1,000 par jour, plus les frais. Je ne sais pas pour vous, mais pour moi, je me contenterais aisément de ces émoluments. Cela dit, est-ce pour autant une garantie de travail exemplaire? Qu'on me permette d'en douter...
L'autre réalité, les gens sous les tentes, est certainement plus facile à jauger. On les voit, les tentes; on sait où sont les campements, maintenant permanents; on sait à peu près qui les habitent. Dire qu'il n'y aurait que 60,000 personnes qui y croupiraient au lieu des 600,000 annoncés est bien possible. Attention, je dis possible : pas nécessairement avéré. Car il y tout de même bien des difficultés pour recenser soigneusement ces gens. Surtout qu'il y en a qui n'y sont que pour les avantages qu'ils en retirent, car oui, il y a des avantages. Ainsi, on me racontait récemment le cas de cette dame qui a tout simplement loué sa maison pour six mois tandis qu'elle vit sous la tente. Une bonne façon de s'assurer un joli petit revenu tout en réduisant considérablement les dépenses. Mais le plus drôle, c'est que la dame s'est comme fait prendre à son propre jeu : quand elle a voulu réintégrer sa maison récemment, elle y a trouvé un autre locataire, lequel avait signé un bail d'un an avec le locataire précédent! Or, ce bail est légal, du moins jusqu'à un certain point, et la dame est maintenant contrainte de continuer à demeurer sous la tente sans recevoir l'usufruit de son sacrifice! Vous dire comment le type qui me racontait la chose se roulait de rire...
Or, cette situation, d'après ce que j'ai compris, n'est pas unique. En fait, elle serait même pratique courante. Sans compter les familles qui vivent sous la tente un peu comme on va au chalet pendant le week-end. Drôle! Et pourtant, les conditions sanitaires et sociales sont loin d'y être idéales. Mais comme je l'ai dit, les gens d'ici sont hautement adaptables et, donc, s'adaptent. En fait, je pense qu'il vaut la peine que je vous cite cet extrait de l'article, au cas où vous n'auriez pas le goût ou le temps de le lire :
«Plusieurs personnes vivent dans les camps même si elles peuvent en sortir, dit Andréanne Martel, chercheuse à l'Observatoire sur les missions de paix et opérations humanitaires de la chaire Raoul-Dandurand. Il y a une économie du camp qui se met en place, une communauté et un espace politique qui se recrée. Les ONG ne sont pas habituées à une crise urbaine comme celle-là. Ça va être difficile à briser.»Difficile à briser? Tu parles! Pourquoi devrait-on briser ce qui marche?
S'abonner à :
Messages (Atom)