mercredi 29 février 2012
29 février
Je n'avais pas l'intention de vous produire un autre texte à un intervalle si rapproché. Après tout, vous aviez de quoi vous mettre sous la dent avec mon texte d'hier et en outre, cela n'est pas très respectueux des principes de l'apprivoisement tels que le propose St-Exupéry dans le Petit Prince : fréquence et heures régulières sont les conditions requises à cet apprivoisement qu'enseigne le Renard au Petit Prince. Vérifiez et vous verrez. Venir comme ça, à n'importe quelle heure, frapper à votre porte pour vous annoncer un nouveau texte risque de perturber votre petite routine, chose que je ne voudrais faire pour rien au monde... Mais aujourd'hui et une fois encore, il me semble que le jour commande. Non, ce n'est pas une fête, quoique, à bien y penser, il y aurait motif. Car ce jour est tout de même assez spécial, puisqu'il ne se produit qu'aux quatre ans! Bon 29 février donc, et permettez-moi de déblatérer un peu sur le thème.
C'est en lisant le «clin d’œil» de Stéphane Laporte sur Cyberpresse ce matin que j’ai compris toute l’importance que pouvait avoir ce jour. D’ailleurs, beau joueur, je vous le cite : « Les élections devraient toujours avoir lieu le 29 février. Ce serait simple; si on est le 29 février, c’est qu’il y a des élections. » Ça se veut léger, mais il n’en reste pas moins que c’est tout à fait juste voire justifiable. En fait, pour tout événement qui ne se produit qu’aux quatre ou cinq ans, on pourrait aisément le faire coïncider avec ce jour supplémentaire, cette addition au calendrier qui se fait sans personne ne s’en formalise et pourtant…
Minimalement en tout cas, ce devrait être un jour de congé. Universel. Car il s’agit, après tout, d’un rappel des rapports astronomiques de notre planète avec son étoile et des conventions cartésiennes qui ont été établies, il y a bien longtemps, pour s’ajuster le mieux possible à cette réalité astronomique. Car c’est à César, ce bon vieux Julius, qu’on doit ce qui a servi de base à la manière moderne d’introduire ce rectificatif une fois tous les quatre ans à peu près. Oui oui, à peu près, car il y a des exceptions et je vous invite vraiment à consulter la page de Wikipédia pour en savoir plus. C’est vraiment intéressant…
Ce que l’article en français ne relate pas, ce sont les traditions qui ont vu le jour à cause de cette anomalie, entre autres celle qui a donné un délicieux petit film (avec l’excellente Amy Adams dans le rôle principal) au titre de circonstance : Leap Year. C’est en effet à cette occasion que les filles peuvent demander les hommes en mariage… Alors imaginez un peu ce qui peut en sortir…
Il n’empêche : depuis que je tiens ce blogue, c’est la première fois que je peux m’arrêter à cette date et à ce qu’elle signifie. Pas grand-chose socialement, c’est vrai, mais quelle belle occasion de réfléchir un peu sur la complexité d’établir un calendrier qui puisse s’accorder avec la réalité de l’année tropique — et non, ça n’a rien à voir avec les tropiques, enfin pas comme on l’entend habituellement.
Leap Year : une année sautée. Traduction libre et fantaisiste mais j’aime assez. Car pour ceux et celles qui ne le savent pas, dans notre français du Québec, l’adjectif veut aussi dire un peu fou et pourquoi l’année ne le serait-elle pas? Il me semble que ça vaut mieux que l’appellation «année bissextile» qui semble encore trop près d’un rapport avec le sexe, une fois de plus… Mais une fois encore, de Wiki jaillit la lumière...
En tout cas, année bissextile ou Leap Year, un 29 février, ce n’est pas banal et j’en profite pour souhaiter un heureux anniversaire à ceux et à celles dont c’est aujourd’hui le jour. Tu parles d’un spécial!...
mardi 28 février 2012
L'argent et le bonheur
Ce qui suit n’est pas un sujet léger. Mais il est universel, alors je vous en parle. C’est que, comme c’est un peu la tradition à chaque début d’année, nous venons d’octroyer les augmentations de salaire aux employés de notre petit hôpital. Or, cette année, en raison de contraintes extérieures, elles sont modestes. Insuffisantes, en fait. Et surtout, incomprises.
Comme vous le savez maintenant, ma position administrative me place directement entre les patrons et les employés, ce qui ressemble fort à «entre l’arbre et l’écorce» ou, comme les Américains disent "between a rock and a hard place", autrement dit un endroit pas tellement confortable... D’un côté, les employés veulent la lune, de l’autre les patrons veulent bien sacrifier quelques miettes; allez donc contenter tout le monde! Vous me direz que ce n’est pas si différent dans notre grand pays nordique et vous aurez raison. Chez nous, les négociations donnent souvent lieu à de véritables bras de fer où des plumes volent au vent, mais l’on finit toujours par s’entendre. Ici, ce n’est pas la même chose. Nos employés n’étant représentés par aucune entité administrative, c’est un chapeau qui me revient de fait, sinon de droit. Un rôle que les patrons n’apprécient guère et qui laissent les employés sceptiques quant à la qualité de ma représentation, en d’autres termes, je suis perdant sur toute la ligne!
C’est un peu ce qui s’est produit avec les dernières augmentations approuvées par les patrons. L’exercice visait à ne pas dépasser 5% total. Vous allez me dire que ce n’est quand même pas si mal, 5%, et qu’on aurait tort de s’en plaindre. Sauf que ce pourcentage est trompeur car il s’appuie sur un montant réel qui, s’il est trop petit, ne fera pas le poids. Ainsi, pour tous nos employés qui sont au salaire minimum ($150 US par mois), 5% ne font que $7.50 par mois et avouez que ce n’est pas avec ça que vous allez vous envoyer en l’air et faire bombance! Dès lors, comprendre que les employés sont frustrés non pas à cause du pourcentage alloué, mais bien à cause de ce que ce pourcentage signifie en termes d’argent sonnant devient plus facile, voire évident. Eh bien c’est ce qui se passe. Nombreux sont les mécontents et peu importe la façon dont j’arrive à expliquer la chose, le montant de l’augmentation ne grossit pas…
Est-ce à dire qu’il faudrait donner aux employés les salaires qu’ils et elles réclament? Ce serait non seulement difficile financièrement, mais également risqué. Car même en doublant les salaires, tout le monde s’attendrait à une réédition du geste l’année suivante! C’est que les salaires en Haïti sont bas, bien bas, bien trop bas pour un pays où l’on doit payer pour tout et où tout est cher. Croyez-le ou non, gens du nord, le coût de la vie ici est aussi élevé qu’au Canada sinon plus. Alors dites-moi : vous feriez comment, vous, pour joindre les deux bouts avec une famille de quatre enfants d’âge scolaire (l’école n’est pas gratuite) et un salaire de $150 par mois? Moi, je vous le dis en termes simples : c’est impossible. Et pourtant, à force d’imagination, ils y arrivent…
Les augmentations représentent l’espoir. Espoir d’une vie meilleure où la lutte est moins farouche; où l’on peut s’asseoir et reprendre son souffle; où l’on peut voir une petite lueur dans la grande noirceur de ce tunnel qui n’en finit pas. Or, lorsqu’elles sont chiches, l’espoir s’étiole et le coup est dur. Et c’est précisément ce qui s’est passé cette année. Tout le monde a reçu son augmentation, mais paradoxalement tout le monde est dépité, car l’espoir s’est évanoui et il ne reste que la dure réalité d’avoir à composer avec un salaire qui reste toujours, en dépit de quelques dollars de plus, insuffisant.
J’essaie tant bien que mal d’expliquer, de faire valoir qu’une augmentation, si minime soit-elle, vaut mieux que rien du tout, mais on me regarde avec scepticisme et parfois, avec cette tristesse qui me dit, mieux que n’importe quel mot, que je ne comprends rien, moi le nanti.
C’est triste, hein?
vendredi 24 février 2012
Séjour à l'Île à Vache
C'est une île splendide. Peu développée, peu peuplée et tropicale à souhait. D'aucuns parleraient de paradis, d'autres, plus pragmatiques, y verraient une opportunité en or d'y développer un tourisme porteur d'or, justement. Est-ce là le sort qui attend l’île? Souhaitons que non. Car pour l’instant, c’est un endroit où il fait bon s’arrêter, histoire de reprendre son souffle. En tout confort, il va sans dire! Il ne s’agit pas ici de souffrir, mais bien de profiter de la vie, de se laisser prendre en charge par un système bien rodé, où tout est mis en place pour que le visiteur se sente bien et puisse couler quelques jours insouciants loin, entre autres, de la frénésie carnavalesque des Cayes…
Couler des jours insouciants alors que Les Cayes était en liesse peut sembler paradoxal à prime abord. Et pourtant, comme dans tous les paradoxes, même si c'est illogique, ce n'en est pas moins réaliste. Ni raisonnable. Certes, le carnaval présente un spectacle haut en couleurs capable d'épater les plus blasés – et je ne parle pas de nous, vous le savez bien. Mais le derrière de la scène est beaucoup moins reluisant, avec ses embouteillages indescriptibles, ses accidents aussi stupides qu'inévitables et ses problèmes logistiques stressants et souvent sans solution. Pour nous qui sommes aux premières loges de cette arrière-scène, nous avions choisi de prendre un petit recul face à l'événement que, de toute manière, les médias, télévision en tête, ont abondamment couvert et qui, selon le bilan provisoire présentement accessible, s’est fort bien déroulé, même sans nous...
J'en reviens donc à l'Île à Vache.
Elle n'est pas très loin des Cayes : à peine une demi-heure en bateau, une charmante balade quand la mer est calme, son état habituel. Et pourtant, en y débarquant, on se sent déjà dans un autre pays. Est-ce la mer, d'une clarté indéniablement tropicale? Est-ce le décor bucolique? Sont-ce les gens, insouciants et tranquilles, qui nous accueillent en souriant? Qu'importe, car la magie opère. On débarque à Port Morgan et l'on se met à marcher le nez en l'air, sans but précis, juste pour le plaisir d'être ici et pas ailleurs. Et commence ce qui sera une succession de moments fluides, régis par la seule annonce des repas qui, buffets obligent, doivent être pris à l'heure. Légère contrainte, s'il en est une, et que nous aurions tort de critiquer, les balises étant nécessaires à toute vie de farniente, et c'est un vieux paresseux qui vous le dit. Les repas, parlons-en. Buffets, soit, mais bien présentés et bien cuisinés (dans l'ordre inverse, en fait). Manger à n'en plus pouvoir, faire un somme pour aider la digestion, suivi d'une trempette dans la piscine ou la mer, selon notre inclination du moment et la journée tire déjà à sa fin. Bref, rien pour se plaindre.
Et pourtant, on ne peut que penser que ce petit coin de paradis reste menacé dans son existence même par la cupidité humaine et la mégalomanie propre aux entrepreneurs de tout acabit. Certains pensent et voient gros. Je vous ai parlé du tourisme en Haïti comme d'une industrie prometteuse, capable de contribuer solidement à faire tourner la machine économique. Mais pas sans discernement. Pas sans compréhension des enjeux environnementaux et humains. Pas sans respect de ce qui est déjà et qui n'a pas besoin d'être «amélioré» pour séduire les visiteurs. En fait, c'est précisément là que se joue l'avenir de l'Île à Vache : entre la quête pour un profit sonnant et le désir de maintenir l'île dans son état original, il doit y avoir un moyen terme, une façon de balancer les enjeux pour que tout le monde – et son père – y trouve son compte.
Quoi qu'il en soit, malgré son avenir incertain, l'Île à Vache reste présentement un endroit où il fait bon venir pour souffler un peu, oublier tous ces petits problèmes qui sont notre lot habituel et, pourquoi pas, échapper au tohu-bohu du carnaval, même s'il a connu un succès au-delà des plans les plus optimistes!
mercredi 22 février 2012
Puisque c'est mon tour...
Le croirez-vous si je vous dis que j'avais complètement oublié pourquoi ce jour est si important? Hier, conscient que je vous avais mis en veilleuse – le «back-burner» comme disent nos amis américains (et même ceux qui ne le sont pas) et subjugué par le charme bucolique de l'île, je vous ai préparé un petit texte que je comptais bien achever ce matin, après le café, mais à peine éveillé et oyant les souhaits de ma tendre compagne, je dus me rendre à l'évidence : c'était effectivement le jour de mon anniversaire, un jour que je ne peux décemment passer sous silence en ces lieux d'écriture! Donc, pour mes impressions insulaires, faudra patienter un peu. Oh! Pas long, je vous le dis, puisque le texte est virtuellement prêt. Mais le jour commande, n'est-ce pas...
Le jour commande parce qu'il est unique. On naît un jour. Bien sûr, ce jour s'inscrit dans un mois qui fait partie d'une année, mais c'est le jour qui compte. L'heure est encore plus précise – 18h30 pour ma part – mais trop courte pour qu'on puisse la saisir et s'en délecter. Si bien que le jour est tout à fait approprié pour souligner un anniversaire, celui d'une naissance dont les traces se perdent maintenant dans la nuit des temps. En fait et historiquement, c'est le feu de Rimouski qui, l'année précédant ma naissance, a marqué l'Histoire : pas ma naissance, laquelle est sans doute passée assez inaperçue, sauf pour mes parents et leurs proches qui, comme toujours, ont dû s'exclamer devant une inexistante beauté chérubine. Car vraiment, dites-moi sérieusement : un nouveau-né, vous trouvez ça beau, vous autres? C'est tout plissé, cramoisi et ça fait que dormir ou chialer... Je n'étais sans doute guère mieux... Mais comme j'étais le premier de ceux qui allaient devenir mes frères, j'assume que j'ai eu droit à tous les honneurs de l'acte accompli. Car si «mourir, cela n'est rien» (dixit Brel), naître est tout un accomplissement! Que j'ai réalisé avec brio, m’époumonant pour que le reste du monde sache. En plus et comme je viens de le dire, j'étais le premier, celui qui hérite de la tâche difficile de se frayer un chemin, d'ouvrir la voie pour les éventuels suivants. Sans oser paraphraser Sol, l'un de nos plus grands jongleurs de la langue, je pourrais dire que je suis né nu, phare de mes frères à venir...
Mais une fois né, il ne reste plus qu'à vivre, ce à quoi je me suis adonné avec un plaisir constant et, j'oserais dire, croissant au fil des ans. Aujourd'hui, sonnant les cloches soixante fois pour marquer les années, je suis tenté de les faire sonner ensemble, en une joyeuse cacophonie à l'image de ce que fut ma vie à ce jour. Quant aux chandelles sur le gâteau, oubliez ça. D'abord, du gâteau, je n'en mange plus depuis belle lurette, ayant perdu mon goût pour les sucreries en même temps que s'est développé celui du vin; ensuite, ces bougies qui symbolisent les années passées et qu'on éteint d'un seul souffle, je trouve ça assez morbide, moi! Car quoi : il faut éteindre les années passées? Pour ma part et en bon Québécois de souche, je vous le dis tout net : je me souviens. Et de pas mal de choses que je n'ai pas du tout l'intention de voir s'effacer de ma poche à souvenirs...! Bref, vous avez tout compris : pas de gâteau d'anniversaire pour moi, pas de 60 bougies à souffler en postillonnant partout (y compris et surtout sur le fameux gâteau), mais de bons moments en bonne compagnie dans un décor typiquement associé au paradis, voilà tout. Et si ce n'est pas là le plus beau cadeau qui se puisse offrir et recevoir, je vous demande ce que c'est...
La soixantaine, donc. Certains m'ont averti que c'est cette décennie-là qui fait mal. La trentaine, c'est l'accès au système; la quarantaine, c'est la maturité; la cinquantaine, le tournant; la soixantaine, le début de la vieillesse... Eh bien au risque d'en surprendre, je dirai que j'aime vieillir. C'est un processus qui nous transforme en nous rendant plus ronds, plus polis – je ne parle pas de politesse, là! – moins piquants, moins rudes. Comme la montagne qui vieillit, je perds mes aspérités et me couvre de mousse, voire de forêts. J'étais Rocheuses, je deviens Appalaches. Et je puis vous le dire, à vous tous les jeunots qui me lisez parfois : c'est très confortable.
Tout ça pour vous dire que la journée s'annonce bien. Un congé d'abord (Mercredi des Cendres puisqu'il faut tout vous dire), la fin du carnaval et le retour à la vie (à peu près) normale; quelques heures heureuses de plus dans ce magnifique décor qu'est celui de l'Île à Vache (j'y reviens, j'y reviens, ne soyez pas impatients), un temps radieux tempéré par la brise maritime et la compagnie de ma très chère. Qui oserait demander plus?
Alors oui, aujourd'hui je vieillis. Hier aussi, mais ce n'était pas la même chose hein? Et demain? Ben demain, c'est VRAIMENT loin, alors on verra dans le temps comme dans le temps...!
lundi 13 février 2012
La Saint-Valentin
Le décompte est commencé depuis plusieurs jours déjà, mais cette semaine étant la dernière, la frénésie pré-carnavalesque est maintenant palpable… et tout à fait audible, si l’on n’en devient pas sourd! Aux dires de plusieurs, ce sera infernal, comme dans : digne de l’enfer. Un enfer sonore et humain que, pour notre part, nous tenterons d’esquiver, vu ma peur de l’enfer (reliquat de l’enseignement religieux reçu dans les années soixante) et mon intérêt pour le calme et la tranquillité.
Mais ce n’est pas du carnaval dont je veux vous parler aujourd’hui, mais plutôt d’un sujet qui, je le sais, vous touche tous et toutes, ne serait-ce que par son actualité : la Saint Valentin. Pauvres Valentin! S’ils avaient seulement su!... Vous remarquez bien l’usage du pluriel, n’est-ce pas? C’est que, selon l’Histoire, il n’y a pas moins de trois Valentin, martyrs à part ça, qui pourraient briguer l’honneur d’être à l’origine de la célébration. Des martyrs, tu parles… Mais en lisant plus loin, on se rend vite compte que la fête, comme plusieurs autres d’ailleurs, s’aligne sur une pratique païenne que l’Église ne voyait pas d’un très bon œil : les lupercales. On dit bien que l'hypothèse n'est pas vraiment confirmée, mais mon petit doigt me dit que cela s'inscrit tout à fait dans l'ordre des choses. D'ailleurs, connaissant votre paresse naturelle, je vous cite ici le petit passage que je juge intéressant :
« Le jour de la Saint-Valentin a longtemps été célébré comme étant la fête des célibataires et non des couples. Le jour de la fête, les jeunes filles célibataires se dispersaient aux alentours de leur village et se cachaient en attendant que les jeunes garçons célibataires les trouvent (définition des lupercales). À l’issue de ce cache-cache géant, les couples formés étaient amenés à se marier dans l’année. »Avouez que ça sent la méchante partie de jambes en l’air, ce jeu-là! Il ne m’est personnellement pas difficile, mais alors pas du tout, de comprendre que l’Église ait voulu récupérer cette pratique libertine et l’anoblir quelque peu. Si bien qu’au Moyen Âge, toujours selon Wikipédia, la fête devient religieuse et s’épure de son libertinage pour devenir romantique, notamment sous la plume de Chaucer, un poète anglais que je ne saurais trop vous recommander. En bout de ligne, l’Église a fini par laisser tomber complètement la célébration de la fête, dont les commerces font, depuis, leurs gorges chaudes. Juste pour vous donner un exemple : le Greeting Card Association américain estime qu’environ 190 millions de cartes de la Saint-Valentin s’échangent à l’occasion de la fête, sans compter les cartes que les élèves produisent en classe. Si l’on inclut ces dernières, le chiffre n’atteint pas moins d’un milliard de cartes! Et je ne compte pas le chocolat, les bijoux, les somptueux repas au restaurant ou les trucs, parfois délirants, en forme de cœur! Y a-t-il une seule once de sincérité là-dedans? Je vous laisse y penser.
Le plus drôle — et c’est précisément là où je voulais en venir — c’est que, même ici, dans ce pays peu consommateur, les cœurs sous forme de cartes ou de boîtes de chocolats abondent maintenant. Les rares étagères des petites épiceries où nous faisons, tant bien que mal, nos provisions hebdomadaires débordent maintenant de toutes ces cochonneries qu’on vend à bon prix et qui n’ont de raison d’être que le profit mercantile. J’avoue que cela m’agace un peu. Ou bien suis-je trop naïf et l’amour de nos jours passe-t-il nécessairement par des chocolats, une carte aux vœux banals ou des bonbons en forme de cœur? Ce serait bien dommage. Et j'ajoute que si vous n'attendez que ce jour pour manifester à l'être cher l'amour que vous lui portez, eh bien c'est quand même un peu triste...
En post-scriptum à ce texte, je vous cite le clin d’œil de Stéphane Laporte : "Économiquement parlant, aujourd'hui est la bonne journée pour casser avec sa blonde ou son chum. .." Preuve, s'il en est besoin, que la Saint-Valentin est d'abord une affaire de consommation...
vendredi 10 février 2012
Agréable visite
Il m’est difficile, après ces quelques jours d’absence motivée, de vous entretenir d’autre chose que de la motivation de cette absence, justement, en l'occurrence la visite. Après celle de ma très chère et très tendre amie et de son charmant compagnon, nous avons eu l’honneur et le plaisir de recevoir celle de mon petit frère (en créole ti frè-m) et de sa (nouvelle) compagne. Visite rapide s’il en fut une — à peine une semaine — mais qui nous a comblés d’aise, ma compagne et moi.
C’est que la visite a ceci de particulier qu’elle nous sort de notre petit train-train sans pour autant nous sortir du pays. D’ordinaire, ce n’est qu’à l’occasion de nos propres déplacements à l’étranger que nous pouvons «décrocher», pour employer l’expression courante que tout le monde utilise, mais la visite produit également ce phénomène. Oh! Pas n’importe quelle visite, je le précise! Mais la visite de gens qu’on aime, qu’il nous fait plaisir de recevoir, avec qui nous avons plaisir à partager nous éloigne des petits problèmes qui sont notre lot habituel. Une pause appréciable, donc, et que nous avons su apprécier tout particulièrement au cours de janvier et de cette première semaine de février. Mais la visite, par définition, passe. Et après, l’habituel revient. Comme le chante Ferrat : «Les touristes partis, le village, petit à petit, retrouve face à lui-même sa vérité, ses problèmes… » Eh bien nous aussi. Mais le bain rafraîchissant de la visite nous requinque et nous rend d’attaque pour la prochaine visite, plus formelle celle-là : les patrons...
Mais ce fut une belle petite parenthèse, fort appréciée tant du côté des hôtes que des visiteurs, j’ose le dire. La mer, bien sûr, était au rendez-vous, car pour ces gens du nord qui se les gèlent hardiment en cette cruelle période de l’année, le simple bain de mer dans une eau turquoise est pur délice, j’en témoigne. Et pourtant, elle est bien fraîche à cette époque, la mer…! Mais quand je le souligne, on se moque, alors je m’en abstiens. La mer donc, et la plage qui la sous-tend. Car les deux vont de pair dans ce pays — enfin pas tout le temps, mais assez souvent pour qu’on les associe de près. Or, la plage, à la différence de la mer, c’est tout de même la terre ferme, l’endroit où l’on peut s’asseoir, déguster un rhum-sour (que je ne saurais trop vous recommander) ou une petite bière bien fraîche, lire un bon livre, bavarder sans but précis ou, simplement, observer la mer et son incessant va-et-vient, les pluviers qui dansent sur cette musique océane ou les rameaux des cocotiers qui s’agitent délicatement sous la brise. Tout ça, à l’ombre de préférence, car sous le soleil, l’on cuit bien vite sous cette latitude…
Et puis il y a le spectacle ininterrompu des gens dans la rue qui, pour nous, n’est plus vraiment un spectacle puisque nous le voyons à tous les instants, mais qui, pour nos heureux touristes, ne laisse pas d’étonner. Et on me demande : «Il doit y avoir pas mal d’accidents, non?» Eh bien non. Les gens qui vivent dans la rue sont habitués de la partager avec tout ce qui roule, tout ce qui s’y agite, tout ce qui en fait partie puisque eux-mêmes en font partie. D’ailleurs je vous ai déjà tout dit ça ici dans ce texte, alors je n’en dis pas plus. Mais pour des gens qui goûtent au pays pour la première fois, cette activité citadine étourdit et éblouit tout à la fois. Vivement une petite bière!
Car n’est-ce pas là l’aboutissement de toute activité vacancière? On bouge un peu, on visite un peu, on regarde à gauche et à droite et on finit, presque inexorablement, avec une petite bière bien fraîche à la main, qu’on déguste en y allant de commentaires plus ou moins sérieux.
Il n’en reste pas moins que, si l’on se fie à ces commentaires venant de nos récents visiteurs, Haïti fascine autant qu’il émerveille. Surprend et réjouit l’œil et le cœur. Parfois d’excès, c’est vrai, mais l’excès ici n’est pas toujours un défaut, quoi qu’en dise le proverbe, et on apprend vite à composer avec cette réalité excessive. Mais pour les visiteurs, le bain haïtien provoque quelques frissons, qui de plaisir, qui d’excitation, qui de peur puérile même, et si l’on apprécie d’y tremper pendant quelque temps, on apprécie aussi d’en sortir et de se sécher vigoureusement, voire rigoureusement considérant la nature même de l’hiver en pays nordique…
Eh bien croyez-le ou non, pour nous, c’est exactement l’inverse…
mercredi 1 février 2012
Pisse partout
Parti janvier! Pfft! Évanoui dans le passé récent, mais passé tout de même. On savait que ce serait comme ça — la visite nous fait cet effet-là, d’accélérer la perception du temps qui passe — mais tout de même, le mois a vraiment passé vite. Et aujourd’hui, premier jour de février, nous savons que ce mois passera aussi à la vitesse grand V : visite de mon frère, carnaval et visite des patrons, tout ça à la queue-leu-leu, alors c’est vous dire…
Les plus perspicaces auront remarqué combien le passage du temps me fascine et retient mon attention. Je ne m’en sens nullement coupable. J’aime le temps qui passe. J’aime le temps qui se passe bien, genre en bonne compagnie à partager une bonne bouteille ou une conversation intelligente ou les deux à la fois (bien que, disant cela, j’aie noté qu’à la troisième bonne bouteille, parfois même avant, la conversation devient nettement moins intelligente…). Alors oui, je vous en fais mention. Si vous n’appréciez pas, vous pouvez toujours aller voir ailleurs, là où je ne suis pas. Du moins pas encore…
Mais trêve de balivernes. Le sujet du jour est sérieux : l’urine. Non, ce n’est pas une blague. En fait, je puis même vous dire qu’il faut y voir une preuve de plus que le pays progresse dans la bonne direction. C’est d’abord l’article paru sur Haiti Press Network qui a piqué ma curiosité. Or, l’article dépeint une réalité qui s’étend à tout le pays et qui ne lui donne pas tellement bonne presse, disons... Car s’il peut être relativement acceptable d’uriner derrière un arbre à la campagne, le faire contre le pneu d’une voiture garée en pleine ville me semble un peu excessif et, reconnaissons-le, déplacé. Et notez bien que cela vaut autant pour les hommes que pour les femmes, dont la discrétion reste admirable mais qui ne s'en privent pas moins de soulager leur vessie à peu près n’importe où. Certes, on me dira en paraphrasant Corneille que «la vessie a ses raisons que la raison ne comprend pas», mais tout de même, mis à part quelques cas extrêmes, il me semble que l’on peut toujours se retenir jusqu’à ce que l’on trouve une toilette. Mais voilà où le bât blesse : les toilettes publiques sont extrêmement rares, voire inexistantes et si on a la chance d’en trouver, sont trop souvent dans un état de salubrité à couper le souffle et l’envie la plus pressante. Alors que reste-t-il, sinon la rue? Bien sûr, la pratique n’est pas très agréable, ni à la vue ni surtout à l’odorat, mais après tout il s’agit d’un appel naturel auquel il est parfois difficile de résister, convenons-en. La solution, on s’en doute, revient donc à l’État d’installer, dans les villes peuplées, des toilettes publiques en divers endroits et de faire en sorte que ces toilettes soient décemment entretenues. Je pense, pour ma part, que des toilettes publiques payantes pourraient constituer une solution viable. On parle ici d’un petit prix, bien entendu, collecté par une madame ou un monsieur pipi et qui pourrait minimalement payer les services de cette inestimable personne ainsi que les produits de nettoyage. Évidemment, nous n'en sommes pas encore là. Mais le simple fait qu’on mentionne la chose et qu’on s’en offusque dans l'article mentionné ci-dessus me paraît un indéniable signe que la conscience collective s’aiguise. On est dans la bonne direction.
Certes, vous me direz que c’est peu et vous aurez raison. Ce n’est pas demain la veille que le pays disposera de toilettes publiques en quantité suffisante pour répondre aux besoins des citadins. Mais je le répète : le fait qu’on en parle, qu’on s’y arrête, qu’on cherche des solutions me paraît digne de mention, alors je vous le mentionne.
Reste que lorsque l’envie nous prend et que la pression augmente, l’oreille se ferme souvent aux plus raisonnables raisonnements…
Libellés :
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