C'est drôle de voir que les problèmes et les interrogations de ce monde ont peu à voir avec ceux que l'on rencontre dans notre pays d'adoption. Le bois de chauffage, les tuyaux qui risquent de geler dès l'automne, l'état des routes gravelées, et celui que je vous présente aujourd'hui : jusqu'à quand doit-on continuer de nourrir les colibris? En principe et selon notre propre expérience (du temps où nous habitions ces contrées sauvages), le début de septembre constitue la date butoir après laquelle il n'est pas bon de poursuivre le service à la mangeoire, resto facile pour ces oiseaux qui n'en sont pas plus stupides pour autant : pourquoi s'esquinter à chercher de la nourriture quand les humains vous la servent si fidèlement, je vous le demande? Donc, les colibris, bien nourris et gâtés d'avoir si peu à faire pour recevoir une généreuse pitance, tendent à coller. Or ils doivent décoller. On dit que les nourrir trop tardivement risque de compromettre leur long voyage au sud. Car ils hivernent sous des latitudes plus clémentes, ces oiseaux au maigre cerveau. Minuscules, mais pas fous, tiens... Savent ce que l'hiver canadien signifie en termes de misère noire... Bref, ils filent et s'ils quittent trop tard, l'issue du voyage n'en devient que plus risquée : le froid guette.
Interrogation existentielle s'il en est une donc, et dont l'issue reste vague et fuyante : les oiseaux survivront-ils? Question épineuse, réponse douteuse. Et pourtant, pourtant, les oiseaux n'ont-ils pas un solide instinct qui n'a rien à voir avec la température? Ne savent-ils pas quand sonne l'heure du grand départ vers le sud? Ne sont-ils pas d'une fiabilité barométrique en ce qui concerne le temps à venir? Pourquoi s'en ferait-on? Pourquoi ne leur ferait-on pas confiance? En tout cas, pour nous qui sommes maintenant de simples visiteurs éphémères sous ces latitudes nordiques, c'est le choix que nous faisons : leur faire confiance. On verra bien. Pour l'instant, qu'ils bouffent à satiété, nous offrant ce faisant le plaisir de leur compagnie exotique. Peut-être partirons-nous en même temps?
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Voilà. Quelques jours ont passé. Le temps a nettement fraîchi : il a fait tout juste 3° C la nuit dernière, mon thermomètre en a gardé mémoire. Pas de colibris aujourd'hui. Faut croire qu'ils s'en sont allés. Comme ça, sans dire au revoir, sans nous faire de révérence ou encore moins exprimer leur gratitude pour ce délicieux nectar maison que nous leur avons servi fidèlement depuis notre arrivée. Sans doute sont-ils en route, bien gavés pour ce voyage qui leur prendra pas mal de temps mais qui devrait leur permettre d'éviter le froid et les désagréments qui l'accompagne. Car oui, je vous le dis tout net : le froid, c'est pas drôle. La chaleur peut être pénible, je le reconnais volontiers, mais le froid frigorifie. Nous fige. Nous paralyse. Le froid n'est pas conciliable avec le chant, d'où sans doute la raison pour laquelle les oiseaux le fuient.
Bien sûr, pour nous, habitants de ce pays que le poète appelle simplement l'hiver, le froid n'est rien. Maisons chaudes, voitures surchauffées, vêtements douillets... Où, dites-moi, peut-on sentir le froid dans ce pays moderne? Nos ancêtres, certes. Mais les gens d'aujourd'hui ont su résoudre ce problème, ou à tout le moins le minimiser à sa plus simple expression, de sorte que l'on ne trouve plus de ces gens qui, pour survivre, fuient obligatoirement la froidure. Certains, certaines le font toujours par goût et par choix, mais non plus par obligation. Et nous? Nous non plus. Retourner au sud, c'est retourner chez nous avec sa réalité tropicale et les problèmes qui l'accompagnent. Des problèmes sans doute plus épineux que celui de savoir jusqu'à quand il convient de nourrir les colibris, mais que nous saurons aborder avec doigté et méthode, sans certitude de les résoudre, mais avec la confiance réénergisée que seules des vacances ailleurs donnent.
Mais j'y pense : et si les oiseaux migrateurs avaient tout compris? L'été au nord, l'hiver au sud, pas mal comme plan de vie, vous ne trouvez pas vous autres?