vendredi 31 août 2012
Propos vacanciers
Isaac a traversé Haïti selon la trajectoire prévue, mais n’a pas causé le dixième des dommages qu’il aurait pu causer, s’il eût été plus important. Encore une fois, le pays s’en est fort bien tiré. Certes, on avance le chiffre de 19 morts, mais la façon de comptabiliser ces décès me laisse un peu perplexe : un mur qui s’écroule et qui tue une fillette n’est pas nécessairement lié à la tempête, pas plus qu’un accident de voiture pourrait l’être. Est-ce à dire qu’il faut considérer ces accidents comme conséquences de la tempête? Je ne suis pas sûr. Quant aux malheureux qui traversent une rivière en crue et se font emporter par le courant, la chose est fréquente et tient davantage à l’ignorance des gens qu’à toute autre chose. Quoi qu’il en soit, le pire a été évité et tout le monde s’en trouve soulagé. Jusqu’au prochain…
Et la vie continue.
Haïti ne va pas si mal, merci. En tout cas, d’après ce qu’on peut en lire et en entendre. Personne ne s’en plaint et bien que le pain ne manque pas sur la planche, à chaque jour suffit sa peine et les choses avancent petit à petit. Mais ce progrès qui veut se faire dans tous les sens à la fois donne parfois lieu à des situations qui ressemblent à celle de la charrue devant les bœufs. Ainsi, cet article du Nouvelliste qui m’a fait hausser les sourcils d’étonnement et dans lequel on veut défendre le principe de la ceinture de sécurité en voiture. Principe louable, s’il en est un, et dont l’efficacité a été démontrée sans conteste. Qu’on veuille sensibiliser les gens sur la valeur de la ceinture de sécurité me semble excellent. Si vous vous souvenez, c’est exactement ce qu’on a fait au Québec lorsqu’on a compris que le port de la ceinture pouvait contribuer à diminuer le nombre d’accidents lourds et par là même, le coût des services de santé. Jamais on n’aurait pu invoquer l’imitation des autres pays pour justifier ce choix (comme on le fait en Haïti). Par la suite, le non-port de la ceinture a été sanctionné par une contravention, laquelle s’est étoffée au fil des ans, je le sais trop bien. Mais avant de sanctionner, on a donné le temps aux gens (1) de comprendre la raison d’être de cette mesure et (2) de s’y habituer progressivement. Si bien que de nos jours, rares sont les personnes qui, en voiture, ne bouclent pas leur ceinture sans même y penser. Mais en Haïti? Là où les voitures tiennent souvent davantage de radeaux de la méduse que de moyens de transport? Disons qu’il y a de quoi sourciller… Surtout lorsqu’on lit que sur la fiche de contravention, il n’y a pas d’article concernant le port de la ceinture de sécurité…
Pour l’heure, cette politique — ou plus justement, cette pratique policière — se limite à Pétionville et à certains quartiers de la capitale. S’étendra-t-elle, comme le souhaite la police, à tout le pays? Comme diraient les Normands : « p’têt ben qu’oui, p’têt ben qu’non »…
Quoi qu’il en soit, lire que les gens rouspètent parce qu’ils reçoivent une contravention pour non-port de la ceinture de sécurité me semble bien reposant dans ce pays où la révolution n’est jamais bien loin…
Cela doit vouloir dire que nous avons hâte d’y retourner…
Note : traduction de la caricature ci-dessus :
(Dans le camion, surchargé comme à l’habitude) Ahhhhh! Regardez la misère de ce monsieur, pauvre diable!
(Le policier au conducteur de la voiture) Quoi! Vous n’avez pas mis votre ceinture de sécurité? Donnez-moi votre permis de conduire que je vous donne une contravention!
jeudi 23 août 2012
Isaac arrive!
Voici venir ISAAC. C’est un peu stressant de voir le parcours prévu de cette catastrophe annoncée. Car un ouragan, vous le savez aussi bien que moi, ce n’est pas de la tarte ni du bonbon. En fait, il n’y a pas grand-chose de bon dans cet excès météorologique… Certes, les dix premières tempêtes de la saison ont passé sans se faire trop remarquer, se perdant même dans l’Atlantique sans déranger rien ni personne. Mais en Haïti, qui sait ce qu’un cyclone comme celui qu’on nous annonce peut laisser dans son sillage? Chose certaine, je le redis (au cas où vous n’auriez pas été attentifs), ce ne sera pas un cadeau. Mais bon. Qu’y faire? Fermer les fenêtres? Se mettre à l’abri? C’est ce que tout le monde fait. Et pour le reste, on attend, résignés.
En fait, il est trop tôt pour prédire ce qui pourrait se produire si la tempête rugit et rage. Mais le seul fait qu’on annonce jusqu’à 500 mm de pluie laisse penser que ce ne sera pas de tout repos. Pensez-y les copains : 500 mm, c’est la moitié d’un mètre, ça. Mesuré sur une surface plane, il va sans dire, ce qui n’est pas courant en Haïti où les montagnes pullulent. Deyè mon gen mon, dit un proverbe (derrière la montagne, il y a une montagne). L’eau qui coule à flanc de montagne, même si elle n’emporte rien dans sa course, s’en va toujours obstinément — gravité oblige — vers le bas, où elle rejoint d’autres ruisselets qui, en se fusionnant, forment des ruisseaux, des rivières, des torrents puissants, bref vous avez compris. Et je ne parle pas de la boue… C’est pourquoi, quand on parle d’ouragan (ou même simplement de tempête tropicale), il ne faut pas juste penser à la force du vent, mais aussi et surtout à la quantité de pluie qui l’accompagne et dont les effets ne sont pas vraiment immédiats, mais tout aussi, sinon plus, dévastateurs.
Vous me direz que je n’ai pas à m’en faire, étant loin de ce pays que la tempête menace. Mais dans un sens, c’est encore pire, parce qu’on veut tout de même penser à tout et surtout, aviser sur place de ce qu’il y aura lieu de faire une fois la tempête passée. Fort heureusement, je me fie sur ceux et celles qui sont là et qui sauront agir pour le mieux. Mais c'est tout de même un peu frustrant de ne pas être là où il faudrait être...
Une chose est sûre, il s’en trouvera bien pour mettre la tempête dans le même bassin que le tremblement de terre, et les "bleeding hearts" en profiteront pour s’apitoyer sur le sort du pays, ce qui leur permet souvent d’aller chercher des fonds supplémentaires dans les poches des nombreux naïfs qui les écoutent. Vous me trouvez dur? C’est seulement que j’ai horreur des fourbes et des manipulateurs. Et vous pouvez me croire sur parole, ils sont extrêmement bien représentés en Haïti…
En tout cas, c’est pour demain vendredi, alors en principe, samedi nous devrions être mieux en mesure d’évaluer les dégâts éventuels. Pour l’instant, on regarde la trajectoire telle qu’elle apparaît sur le site du National Hurricane Center et on se croise les doigts…
Et dire que pendant ce temps, ici au Québec, le temps est au beau fixe et mis à part la pourriture politique, rien n’altère la douce quiétude de ces lieux enchanteurs…
mardi 14 août 2012
Passer le temps
Ah! Les vacances!...
Reconnaissons-le, les amis, ce n’est pas ce qu’on fait pendant cet interlude qui compte comme le fait de se sentir «en vacances». J’ai déjà mentionné que les vacances ne pouvaient s’apprécier qu’en opposition avec le travail. En fait, leur existence même n’est justifiable qu’en fonction du travail, lequel inclut les études, bien entendu, puisqu’il s’agit là du travail des étudiants de tout acabit. Mais il y a cette notion, que je trouve un peu drôle pour ma part, que les vacances doivent servir à faire des choses différentes, souvent associées à des dépenses excessives. Rien ne l’empêche, certes, mais rien n’y oblige. Pour nous, qui avons toujours un pied-à-terre (lequel se prononce en faisant la liaison, n’en déplaise aux puristes qui croient le contraire) en sol québécois, s’y retrouver, s’y installer pour une période donnée, renouer avec cet environnement qui nous est si familier suffit. Nous voici en vacances, donc.
La nuit d’abord. Ici, en forêt, le silence, le vrai, le total, nous enveloppe et nous berce. Au point où j’ai toujours l’illusion d’entendre les criquets qui ponctuent constamment nos nuits haïtiennes, acouphène pas nécessairement désagréable. Mais autrement, mis à part l’incontournable bourdonnement du frigo, c’est le silence. Un silence régénérateur, dirait-on, tout comme l’est la grande noirceur de ces temps-ci, nouvelle lune oblige. Mais le jour se lève tôt ici. Et quel jour. Tandis que le soleil joue à cache-cache derrière le feuillage, les oiseaux s’affairent déjà aux mangeoires; il n’est que 5h30, mais l’intensité du jour nous fait comprendre que nous sommes bien au-delà du lever du jour. En Haïti, à cette heure, il fait encore nuit et ce n’est guère avant 6h30 que je puis lire à la lumière du jour — de peine et de misère, je le précise. Car, au cas où vous l’auriez oublié, le pays s’est mis à l’heure avancée cette année, si bien que le jour se lève une heure plus tard…
Première tâche matinale, remplir les mangeoires que les oiseaux, graves gloutons, vident pratiquement en 24 heures. Les chardonnerets surtout, car une fois perchés, ils mangent sans discontinuer et sans laisser la place aux autres. Je sais, je sais : survival of the fittest. Mais j’avoue que cette façon de faire heurte mon sens de la justice et de l’équité… Heureusement les sittelles et les mésanges savent se comporter, elles…
Enfin, ma compagne se lève, c’est l’heure du café, du farniente matinal et du plan de la journée, lequel n’est jamais bien chargé. Ainsi, après quelques courses en ville et un lunch rapidement avalé — n’est-ce pas là la raison d’être du «fast food»? —, c’est le retour au bercail forestier, à la lecture, l’écriture ou le projet de l’année : la démolition du vieux patio. Qui n’avance pas vite, mais bon. Pourquoi se dépêcher? Ne vaut-il pas mieux en garder un peu pour le lendemain?
Et la journée se passe, si bien que nous voici déjà à l’heure du souper qui, toujours, me fait saliver d’avance. Il ne reste plus qu’à s’offrir un bon petit film, retrouver notre livre et attendre que l’appel du sommeil se fasse sentir, ce qui n’est jamais bien long.
Alors je ne sais pas pour vous, mais pour moi, ça ressemble assez à ma conception des vacances. À moins que ce ne soit que l’expression d’une flemme indécrottable? Je ne saurais dire…
mercredi 8 août 2012
Aimez-vous l'avion?
Je pose la question parce que moi, je déteste l’avion. Et non, pas parce que l’avion me fait peur, bien au contraire, en fait, si un moyen de transport me rend confiant, c’est bien l’avion, car j’ai confiance en la compétence du pilote et j’avoue que je n’ai jamais vécu un moment qui ait pu me faire douter de cette compétence. Mais ça ne rend pas le voyage agréable pour autant.
L’attente d’abord. Elle est toujours longue et usante. Spécialement en Haïti. Je vous passe toutes les simagrées qu’il faut faire pour finir par aboutir dans la salle d’attente et les lentes lignes qu’il faut subir pour s’enregistrer, passer l’immigration, la douane (pieds nus) et quoi encore! On en vient à comprendre pourquoi la patience est une vertu, dont je n’ai hérité qu’à faible dose, hélas!... La salle d’attente, c’est là où s’entassent tous les passagers des vols à venir. S’entassent. Notez bien. Car les dimensions de la salle ne sont pas vraiment adéquates. Vient enfin le moment de monter dans l’avion. Une autre ligne interminable… Puis le car jusqu’à l’avion, la gymnastique pour trouver son siège, souvent le disputer à un passager qui s’est assis au mauvais endroit, pour finir par s’asseoir sans savoir qui occupera le siège voisin — obèse, bébé braillard, passager nauséabond, le choix est vaste — et sans savoir comment le voyage se passera. Cette fois, notre voisine est une vieille qui pète de façon sonore et répétitive au point où on se dit qu’elle le fait exprès. Fort heureusement, ses gaz ne sont guère incommodants, ce qui est nettement préférable à ces pets silencieux dont l’odeur fait parfois presque défaillir… Bref, vous me comprenez.
Nous voilà donc assis, c’est déjà beaucoup. La station assise est, par définition, une station de repos, mais lorsque le siège est étroit, que l’espace pour mes petites jambes est inadéquat et que des enfants, dans la rangée derrière, n’en finissent plus de chigner et de rechigner, le repos n’en est pas vraiment et on n’a qu’une envie : sortir au plus sacrant. Mais ce n’est pas pour bientôt : l’avion est toujours rivé au sol et on attend. Et le temps s’étire. L’agent de bord, un chic type qui fait ce métier depuis 28 ans, nous apprend que les Haïtiens essaient toujours d’embarquer des bagages non enregistrés, ce qui introduit des délais supplémentaires, on l’aura compris… Une heure de retard, dans ce contexte, devient tout à fait compréhensible. Et pendant ce temps, la vieille dame, très zen, pète sans s’en faire…
Enfin, l’agent de bord ferme la porte. Enfin, le volume des réacteurs monte. Enfin, on annonce le départ. Le reste va tout seul. Le reste est l’affaire du pilote. Quelques turbulences (ciel orageux à Port-au-Prince), le temps de s’élever au-dessus des nuages et nous voilà en vitesse de croisière. Les enfants se sont tus, la vieille pète et sourit, bref, tout baigne et il ne reste plus qu’à attendre que l’avion atteigne sa destination.
Heureusement, le voyage est relativement court : à peine quatre heures entre Port-au-Prince et Montréal, si bien qu’on finit par sortir. Et vite!
Tout ça pour vous dire que, vraiment, je n’aime pas l’avion, du moins pas l'avion associé aux transports publics, de masse, dans un contexte d'obsession sécuritaire... Mais bon. Quel choix avons-nous pour sortir d'une île?
mercredi 1 août 2012
L'odeur des vacances
J’avais prévu finir le mois en vous disant que nous avions atteint Port-au-Prince sans encombre, mais je n’ai pas eu le temps. L’hôtel, la baignade dans la piscine, le gros steak au poivre pour souper, le film à la télé, bref, ça sentait les vacances et j’ai remis cette tâche au mois suivant, lequel est déjà là, comme vous le savez tous et toutes.
Donc, nous sommes arrivés hier. Nous savons maintenant que ce n’était pas vraiment nécessaire de quitter un jour d’avance, mais nous ne le savions pas avant de partir — la route était bloquée lundi et disons que ça n’augurait rien de bon pour le lendemain — si bien que la précaution n’était pas superflue. Rien de plus stressant que de savoir que l’avion ne nous attendra pas si un pépin nous retient en chemin et si vous n’êtes pas d’accord, c’est que vous n’avez jamais vécu une situation de ce type. Voilà.
Il ne reste plus maintenant qu’à se faire conduire à l’aéroport, une balade de quelques minutes en voiture — rien vraiment pour faire monter le niveau de stress. On fera ça tout à l’heure. Le carnaval des fleurs s’est terminé aux petites heures ce matin, mais d’après ce qu’on en a vu et entendu, il semblerait que ce se soit relativement bien passé. Tant mieux tant mieux. Le pays va maintenant pouvoir revenir à ses activités coutumières, et Dieu sait s’il en a besoin. L’épisode carnavalesque était-il nécessaire? D’aucuns prétendent que oui; personnellement je ne suis pas sûr, mais qui suis-je pour émettre de telles opinions? L’important au fond, c’est que le pays reste à flot et qu’il continue à voguer vers un futur meilleur. C’est tout ce qu’on peut souhaiter et c’est tout ce dont le peuple a besoin. Et incidemment, les améliorations sont visibles; de petites choses, certes, mais qui améliorent la vie dans le pays un tant soit peu. Ainsi, le boulevard du bord de mer de la capitale est maintenant jalonné de lampadaires modernes alimentés par des panneaux solaires situés au sommet des poteaux, pratiquement hors d’atteinte des voleurs et des vandales. Ce n’est pas rien. Dans une ville où l’insécurité est chronique, des lumières la nuit comptent pour beaucoup. De toute façon, le proverbe le dit bien : ti-pay ti-pay, zwazo fè nich; l’oiseau fait son nid un brin d’herbe à la fois. Le pays bouge et dans le bon sens. Les manifestations et les controverses politiques ne mènent nulle part, tout le monde le sait, et pourtant, elles sont courantes dans ce pays et ce n’est pas demain la veille qu’elles vont cesser. Les périodes d’accalmie deviennent de ce fait doublement appréciables…
Mais pour nous, c’est la pause café estivale. Pendant quelques semaines, nous allons respirer un autre air, sentir d’autres odeurs, vivre à un autre rythme. C’est ce qu’on appelle des vacances. Dire qu’elles sont nécessaires me semble un peu exagéré : on peut très bien vivre sans vacances — les Haïtiens sont nombreux à n’en pas prendre — mais elles n’en restent pas moins appréciables, entre autres parce qu’elles brisent le cycle métro-boulot-dodo (pour nous, sans le métro, vous l’avez compris) et qu’elles nous permettent de passer du bon temps en agréable compagnie. Entre autres. Car ça nous fait engraisser aussi, et ça, je m’en passerais bien!...
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