mardi 29 avril 2014

Triste départ


Vous le savez, je n’aime pas les généralisations, du type de celles qui, à partir d’une observation isolée, bâtissent de puissantes déductions qui deviennent vite des certitudes et de là, les inévitables étiquettes. Je fais ici référence aux stéréotypes sociaux ou racistes basés des impressions fugaces, style : les musulmans sont tous des terroristes ou les juifs sont tous des voleurs, bref vous me voyez venir.

Vous me voyez venir, mais je vais quand même vous surprendre, car bien que je n’aime pas les généralisations, je vais tout de même vous en servir une et solide : les Haïtiens (et j’inclus les Haïtiennes car je parle ici du peuple) sont vraiment de grands sensibles, des humains au cœur généreux et à l’attachement sincère. Des gens qui vous aiment inconditionnellement, qui vous le font sentir et qui vous expriment leur désarroi lorsque vous les abandonnez. Et c’est exactement ce qui s’est passé lorsque nous avons salué ces bonnes gens hier, à l’orée de ce départ qui marque tout de même la fin d’un important chapitre de notre vie. Pleurs et grincements de dents étaient au rendez-vous, certains carrément fâchés de nous voir aller, d’autres simplement inconsolables, brisés par l’émotion, comme si ce départ n’était en bout de ligne qu’une inacceptable trahison. Saint-Exupéry disait qu’on est responsable pour toujours de ce qu’on a apprivoisé et pour nos employés, rien n’est plus vrai : les rapports humains créés sont indélébiles et irréductibles et même si la raison comprend, le cœur a aussi ses raisons et il prévaut. Ce que nous avons quitté hier, ce ne sont pas nos employés, mais nos frères et nos sœurs, nos fils et nos filles. Et oui, ça fait mal. Ça déchire. Et on se durcit, et on s'abstient de pleurer, et on minimise l'événement, mais en fait, on a, nous aussi, l’impression de trahir ces gens qui nous ont si bien supportés, même lorsque nous étions insupportables... Alors oui, c'est triste, il faut bien le dire.

« On vous attend toujours et vous resterez toujours dans nos cœurs », m’écrit Billy. Voilà qui résume assez bien, je pense, le sentiment général de ceux et celles que nous laissons derrière, incertains de l’avenir malgré les promesses que nous leur avons faites. Car oui, nous avons promis de revenir, et nous avons bien l’intention de le faire. Mais au fond, qui sait ce que le destin nous réserve? «Un tien vaut mieux que deux tu l’auras», dit le proverbe. Le présent vaut toujours mieux que l’avenir et tout le monde sait que les meilleurs plans ne dépassent souvent pas ce stade, malgré la meilleure volonté du monde d’en faire des réalités. Souhaitons seulement que le nôtre se concrétisera…

Mais pour l’instant, ce départ vers le nord est teinté d’une grande tristesse. Pas en rapport avec ce qui s’en vient pour nous, bien au contraire, mais directement en lien avec ce que nous laissons derrière, ces gens simples au cœur sincère qui, comme je l’ai mentionné récemment, nous ont accueillis à bras ouverts, sans méfiance et sans arrière-pensée, nous ont soutenus au cours de ces sept dernières années et nous ont fait sentir que nous étions membres à part entière de leur famille élargie, que nous étions leur moun pa yo.

Un honneur pour nous? Certes. Mais surtout, un geste d’amour qui nous porte et fait de nous de meilleures personnes. En nous ouvrant ses bras, Haïti nous a ouverts et nous a grandis, a élargi nos horizons et développé notre conscience du monde; ce que nous y avons apporté me paraît bien maigre en échange…


dimanche 20 avril 2014

Pâques


Pâques. Encore une fois. La septième en ce pays… Et l’on dira que le temps ne passe pas vite… Mais cette année, on ne la sent pas, la fête de Pâques. On reste encabanés, comme s’il faisait mauvais dehors alors que, comme toujours, le soleil brille et le ciel est bleu. Serions-nous saturés de ce climat que l’on qualifie si aisément de paradisiaque? Car entendons-nous : comment penser que le paradis pourrait être situé sous des latitudes nordiques, avec ce cocktail de pluie / neige fondante / brouillard qui vous est si familier, gens du nord?… Vous imaginez le paradis comme ça, vous? Je parie que non. Eh bien tout ça pour vous dire que le beau climat, nous l’apprécions encore et toujours mais avec moins l’urgence d’en profiter abusivement, de s’y vautrer et de s’en soûler. C'est d'ailleurs pour cette raison que souvent, il n’est pas rare pour nous de rentrer au Québec en mai et d’y voir des gens paradoxalement nettement plus bronzés que nous! Le besoin de soleil en cette période est tel, pour les gens du nord, qu’on y voue presque un culte, une adoration. En fait, c’est un peu une forme de résurrection, de renaissance que le printemps au Québec ou dans n’importe quel pays qui connaît l’hiver : la nature se secoue de sa torpeur, fait quelques réchauffements et passe à l’action! Et ça repart en grand, car il faut faire vite : l’hiver s’en revient!

C’est sans doute pour cela que j’ai la nostalgie de mes jeunes Pâques : c’était vraiment la grande fête de la résurrection de la vie, étouffée depuis des mois dans son cercueil de neige. Oui, il y avait les cloches, la messe (après tout, c’était dimanche) et le lapin en chocolat; mais surtout, il y avait l’eau qui ruisselait le long des rues, les oiseaux qui gazouillaient, les mouches qui bourdonnaient, le gazon jaune encore mouillé sur lequel on ne manquait jamais de s’asseoir tellement on voulait que ce soit l'été, sans oublier bien entendu les filles, si jolies dans leur petites robes printanières. Pâques, c’était ça. Rien de plus, mais cela suffisait largement.

Ici, comme je vous l’ai narré il y a deux ans, la tradition est à la fois religieuse et culinaire et ne nous concerne pas vraiment ni d’une façon ni de l’autre. Mais pour le peuple haïtien, il n’en faut pas plus pour semer l’effervescence et célébrer la fête comme il se doit : dans la prière et à manger — du poisson si possible! Et pour ce qui est de la valeur symbolique de la résurrection, eh bien on repassera... Incidemment, si vous avez lu Stéphane Laporte ce matin, vous avez pu apprécier son ironie légère et légèrement irrévérencieuse, mais ô combien amusante, justement sur ce thème de la vie éternelle telle que la religion nous l’a présenté sans nous l’expliquer, car si l’on croit, à quoi servent les explications, je vous le demande? Mais entre nous, avouons que oui, le thème de la résurrection des morts se prête assez bien aux moqueries d’un brillant esprit…

Tout de même et ayant eu la curiosité de répondre à la question du jour de La Presse (Que représente d'abord pour vous la journée de Pâques? (a) une fête religieuse (b) une fête familiale (c) une journée comme les autres), je trouve significatif que pour plus du tiers des répondants, le jour de Pâques est simplement un jour comme un autre. Et j’avoue que pour nous également, même avec la meilleure volonté du monde, il nous est difficile d’en faire un dimanche différent des autres…

Jésus est-il vraiment ressuscité en ce jour spécial? Comme on nous l’apprenait dans le Petit Catéchisme : « Personne ne le sait sur la terre ». Mais rien n’empêche d’y croire… en mangeant son lapin au chocolat…!

Joyeuses Pâques!

dimanche 13 avril 2014

Quand le peuple parle


Je m’étais bien dit que je n’aborderais pas la question du résultat des élections au Québec, lequel n'a absolument aucune incidence sur notre vie au sud. Mais ce que j’en lis m’éclaire autant que me questionne et puisque je suis moi-même Québécois «de souche», je me dis pourquoi ne pas y aller de mon grain de sel? Après tout, je ne suis pas plus bête qu’un autre... Ou le suis-je?

En effet, plusieurs n’ont pas manqué de faire cette analyse du pourquoi de la chose. Car bien que les sondages aient annoncé la défaite du PQ, personne n’avait vu venir le grand balayage. Qu’on a expliqué de diverses façons, toutes plus ou moins valables, toutes plus ou moins rigoureuses. Mais pour moi qui m’avance tout doucement dans la soixantaine, qui ai connu les premiers balbutiements du RIN pour en aboutir à ce Parti québécois destiné à nous affranchir du joug anglo-saxon — ce que je croyais bien naïvement à l’époque —, le revirement populaire (= du peuple) en dit long.

Pourtant, le ras-le-bol collectif n’était pas facilement prévisible. Et pour moi qui écoute tout et tout le monde (je ne suis pas politisé, rappelez-vous), entendre mes amis s’exprimer logiquement sur la nécessité pour le PQ de permettre au peuple d’avoir un pays me semblait — et me semble toujours — plein de bon sens. Or, à quelques exceptions près, tous mes amis sont péquistes. Tous sont articulés et intelligents, des plus jeunes aux plus vieux. Tous brûlent de cette flamme nationaliste jadis si chère aux jeunes. Mais aujourd’hui, ce n’est plus la flamme, c’est la flemme. Car si mes amis s’expriment sans ambiguïté sur l’état du gouvernement, ils ne représentent pas la majorité des Québécois, il faut bien le reconnaître. Et c’est précisément là que la chose devient intéressante pour moi : en dépit de la forte couleur nationaliste qui teinte l’ensemble de mes amis ou connaissances, le parti que personne, semble-t-il, ne voulait est celui qui s’est fait élire et avec une majorité respectable. En d’autres termes, l’ensemble de mes amis n’est pas représentatif de l’ensemble des électeurs et des électrices du Québec. Et pourquoi le serait-il? Je pense avoir lu que près de 6 millions de Québécois étaient éligibles à voter. Or, on sait que 71,5% de cette masse s’est rendue aux urnes, en ce fameux lundi, ce qui veut dire environ 4 millions de personnes! Par rapport à mes 200 quelque amis Facebook, cela fait beaucoup de monde et c’est ce qui fausse les données dès le départ, car ces gens, on ne les entend pas sur Facebook ou dans le courrier des lecteurs de la Presse… Ils sont là, cependant, et ils ont le droit de voter, ce qu’ils font sans se faire prier. Au fond, c’est peut-être vraiment ça, la démocratie. Le peuple décide. Un peuple plus ou moins informé, plus ou moins intéressé, plus ou moins éduqué, un peuple varié, bigarré, hétérogène qui, en faisant un choix individuel pas forcément analysé en profondeur n’en façonne pas moins un choix collectif qui reflète son état de santé social. J’aime assez.

Évidemment, mes amis intellectuels s’étonnent de ces horizons bouchés, de ces esprits obtus qui n’ont pas compris les enjeux profonds de cette élection. Sans doute ont-ils raison. Mais le peuple parle quand même et lorsqu’il le fait de sa timide façon, il faut l’écouter, pas lui lancer au visage son ignorance crasse et sa stupidité déroutante. Comme l’a fort bien dit un lecteur du Courrier des lecteurs (hier samedi), « Les péquistes ont l’air du vendeur qui m’a déjà offert deux fois une garantie prolongée pour mon nouvel ordinateur. Je n’ai pas peur de sa garantie, mais je n’ai pas envie qu’il m’en parle une troisième fois. » Je ne sais pas pour vous, mais je trouve l’image assez éloquente.

Ne reste qu’à la neige de fondre au plus vite…

dimanche 6 avril 2014

Le respect de la différence


C’est en écoutant l’autre soir ce film déjà ancien (1992) de Sidney Lumet — pas son meilleur, je vous le dis tout de suite, mais bon, ce n’est pas de cinéma que je veux parler ici — que m’est venue l’idée de ce texte. Car un peu à l’image de Witness (vraiment meilleur dans le genre), le film se passe dans la communauté juive hassidique de New York et les scènes de vie de ces gens marginaux sont bien rendues et sans doute assez fidèles à leurs us et coutumes. D’où, incidemment, l’intérêt de ce genre de film. Or, tout comme dans Witness, le film de Lumet (A Stranger Among Us, si vous voulez le titre) met en situation un étranger (en fait, une étrangère dans le film) qui, par les impératifs du boulot, se retrouve à l’intérieur de cette communauté serrée, cumulant gaffes et impropriétés culturelles pour en faire sortir la différence d’avec le monde courant — normal, diront certains. Car oui, ces gens sont différents. Pensent différemment, s’habillent différemment, mangent différemment, parlent différemment, bref vivent différemment. Et pourtant, ils sont bien loin de leur milieu d’origine. Que demandent-ils à leur pays d’accueil? De se faire respecter, tout simplement. Ils ne sont pas là pour changer le pays, pour faire la révolution ou la conversion des âmes errantes, mais simplement pour vivre leur vie, selon les règles auxquelles ils et elles adhèrent. Le respect. Un respect que, au Québec, certaine charte que je ne nommerai pas entend baliser (lire : restreindre), par crainte que la piscine ne soit plus accessible à toutes les vieilles dames nanties… Vous m’excuserez, mais je trouve la chose aberrante et honteuse.

Oui, cela me fait honte, car pour nous qui vivons en Haïti depuis quinze ans, c’est nous la «minorité ethnique». Blancs dans un pays noir, difficile de passer pour autre chose! Et pourtant, je vous le dis sans détours : en pas moins de quinze ans, jamais nous n’avons senti de xénophobie, encore moins de racisme à notre égard. Dans un pays à culture esclavagiste où les «maîtres» étaient blancs, on pourrait pourtant s’attendre au minimum à un certain froid de la part des Haïtiens, au pire à une haine farouche, mais c’est tout le contraire : on nous respecte et on respecte nos différences. Et je ne parle pas que de ma compagne et de moi : les blancs sont nombreux en Haïti et je mets ma main au feu que personne ne s’y sent victime de racisme ou de mépris social ou culturel : les gens nous acceptent parce que nous sommes des humains, point. Bien sûr, nous faisons de notre mieux pour nous intégrer au pays, mais nous restons toujours blancs, étrangers, nantis dans ce pays noir, homogène et si pauvre. Bref, un pays qui aurait toutes les raisons de ressentir la présence des blancs avec leurs grands airs, leur indélicatesse, leur condescendance ou leur pitié; mais non. En Haïti, le sourire est contagieux et il faut bien dire que le peuple nous en apprend un brin sur ce que doit être l’accueil d’étrangers, même ceux qui viennent pour leurs propres fins personnelles, ce qui est en fait le cas de tous les expatriés. Car sous des dehors parfois bien hypocrites, ceux et celles qui viennent s’installer dans ce pays le font parce que cela leur convient — pas par grandeur d’âme, ne vous y méprenez pas, et j’inclus ici même ceux et celles qui se disent missionnaires. Certains, comme nous, œuvrent (modestement) dans l’humanitaire; d’autres se font grassement payer à titre de consultants ou similaires; d’autres enfin, ouvrent boutiques et s’y font hôteliers ou restaurateurs... Mais tous sont également acceptés pour ce qu’ils sont : des étrangers.

Or, pendant ce temps au Québec, on alimente la xénophobie en voulant faire un débat de société autour du danger de laisser les autres être les autres et exprimer leur différence… Pas étonnant que dans cette foulée rétrograde ait germé le slogan «s’occuper des vraies affaires»…

À quand le retour au «vivre et laisser vivre»?