mercredi 24 avril 2013

La clé des camps


Vous le savez maintenant : lorsque la presse internationale parle d’Haïti, cela m’incite fortement à y mettre mon grain de sel. Or, l’article ici mérite certainement qu’on s’y arrête un peu, ne serait-ce que par son ton.

D’abord, je le précise : il n’y a rien de faux dans l’article; ou si peu. C’est vrai que les expulsions ont lieu, chaque jour la presse locale en parle et, disons-le sans tourner autour du pot, ça ne fait pas l’affaire de ceux et de celles qui en font les frais. Mais l’histoire ne dit pas tout.

Il faut en effet comprendre que la destruction engendrée par le séisme de 2010 n’a que précipité un problème qui était déjà gigantesque. Incidemment, l’article le reconnaît : «Avant même le tremblement de terre, le pays souffrait déjà d'une pénurie de logements. Amnistie internationale estime qu'il manquait 700 000 logements, et les deux tiers de la population en ville vivaient dans des quartiers improvisés.»
 
Arrive le tremblement de terre, toutes ces bonnes gens, dont la «maison» n’était souvent guère plus qu’un quadrilatère de tôle recouvert d’une bâche, se sont retrouvés dans les camps temporaires, bien mieux servis qu’ils ne l’étaient avant! Résultat : plusieurs s’en sont trouvés fort bien, au point où certains n’ont pas hésité à louer leur propriété pour pouvoir profiter des largesses de l’aide internationale dans les camps... Voyez le second paragraphe de mon texte antérieur. Relisez la citation que j’avais choisie pour vous et vous allez vous rendre compte que deux ans plus tard, rien n’a changé, quoi qu’en dise Amnistie internationale.

Remarquez que je ne critique ni ne condamne le travail de cette noble organisation dont le rôle de chien de garde a toute sa raison d’être : les abus de pouvoir sont nombreux dans le monde et il est bon que, quelque part, quelqu’un crie : «Attention là! Vous dépassez les bornes!» Mais il faut se poser la question : quelles sont ces bornes? Qui les fixe? Les normes haïtiennes en matière de logement ne sont certainement pas celles du reste de l’Amérique du Nord, et pas pour des questions économiques comme en raison des habitudes de vie des Haïtiens. Ici, la maison ne sert souvent que d’endroit pour dormir car toutes les activités quotidiennes se font au dehors : la cuisine, le bain, la lessive, les loisirs, tout se fait dehors. Dès lors, déloger les gens devient un problème car pourquoi s’en iraient-ils? De là pour les autorités à y aller manu militari, c’est peut-être un peu fort, mais il faut comprendre que les gens sont très entêtés, un effet secondaire sans doute de cette résilience que l’on loue tant chez les Haïtiens…

"«Personne ne souhaite vivre dans un camp, mais la solution, ce n'est pas de les démanteler et de dire aux gens 'débrouillez-vous, souligne Anne Sainte-Marie, du bureau montréalais d'Amnistie." Permettez-moi d’être plutôt en désaccord : d’abord, je le redis, il y a des gens qui ne demandent pas mieux que de vivre dans un camp, pour la raison que j’ai mentionnée plus haut, à savoir : même si les installations y sont précaires, c’est souvent mieux qu’ailleurs. Ensuite, je crois personnellement que dans plusieurs cas, la seule façon de vider un camp de ses usagers, c’est de le démanteler. Bien sûr, les Haïtiens devront se débrouiller, mais ça, ils savent très bien le faire…

Et puis, malgré les constats d’Amnistie, le travail de relogement se fait tout de même et, ma foi, mérite d’être souligné voire louangé car ce n’est vraiment pas facile. Voyez ce qu’en dit Clément Bélizaire, directeur de l’UCLBP (Unité de construction de logements et de bâtiments publics) :
« Nous avons pu reloger à date 300,000 des 650,000 personnes qui vivaient dans les camps quand nous avons commencé nos activités. Cette année nous allons encore reloger environ 125,000 et ceci tout en respectant les prescrits des droits de l’homme ». 
Je trouve que c'est tout de même pas si mal... Et vous?

mardi 16 avril 2013

« Pornographie humanitaire »


Je veux commenter un peu le sujet car il est vraiment atroce de vérité. Je ne sais si l’émission peut être captée d'une façon ou de l'autre ce mardi soir à 20h50 sur ARTE, mais si vous avez une façon de la voir, je pense que c’en vaudra certainement la peine (passez-moi le tuyau le cas échéant). Car d’emblée, je vous dirais que c’est à peu près le temps que quelqu’un, quelque part, dénonce cette politique d’infantilisation du peuple haïtien pour se donner bonne figure sur la scène internationale.

Le tremblement de terre de janvier 2010 a créé une espèce de vacuum qui a littéralement aspiré un paquet d’organisations dites humanitaires nanties des meilleures intentions mais bon, vous savez ce qu'on dit des meilleures intentions... On a gentiment tassé les dirigeants haïtiens dans un coin en leur demandant de laisser faire les pros... Faut le faire! Pensez un peu à ce qui se passerait si le Canada subissait une catastrophe de ce genre et que tout à coup, les gens chargés d’organiser les secours ne soient que des étrangers qui ne parleraient qu'entre eux, l’arabe ou le chinois disons… Aberrant! Impossible! C’est vrai. Mais c’est pourtant à peu de choses près ce qui s’est passé au lendemain du séisme : les Américains ont pris le contrôle du pays, se sont réunis entre eux, ont défini des plans d'attaque entre eux et se sont comportés comme de purs conquérants. Juste pour vous dire : l’aéroport de Port-au-Prince, le seul du pays, était complètement contrôlé par les Américains et eux seuls décidaient qui pouvait s'y poser... C’est ainsi que les Brésiliens, venus de leur lointain pays pour nous aider — et Dieu sait qu’ils l’ont fait avec une redoutable efficacité et une empathie exemplaire — devaient atterrir en République Dominicaine, puis se taper 10 bonnes heures de route et le pénible passage de la frontière dominicano-haïtienne avant d’arriver chez nous… Tout simplement parce que les Américains ne les laissaient pas entrer par voie aérienne! Et je sais que la même chose est arrivée à des Italiens, des Belges et même, je pense, à des Canadiens. Bon vous allez me dire que le pays était dans un état tel qu’il fallait bien que quelqu’un en assume le contrôle et vous aurez raison. Mais ce contrôle aurait dû se faire en collaboration avec les dirigeants du pays, vous ne pensez pas? Encore une fois, imaginez un peu le tollé d’indignation qui se serait levé si une telle situation s’était passée dans notre pays ou dans le vôtre…!

Du film dont il est question ici, Pierre Salignon, directeur de Médecins du Monde, dira : «C'est aussi un appel salutaire à refonder le système de l'aide pour le rendre respectueux des attentes de ceux qui en bénéficient. Une dénonciation du contournement de l'Etat haïtien par l'aide au développement et à la reconstruction, qui fait des Haïtiens des assistés sans pouvoir de décision, ni véritable pouvoir d'influence.» Admettons-le : le constat est dur. Mais pas moins vrai, hélas…!

Et maintenant, que dit-on? Que l’argent a fui comme un robinet fuit : goutte à goutte sans interruption; que l’argent promis n’a jamais abouti là où il devait aboutir; que les projets ont été mal gérés, que les résultats sont, à toutes fins utiles, médiocres en regard des sommes injectées. Tout cela est vrai. Tout comme il est honteusement vrai que les Haïtiens ordinaires, comme toujours, ont fait la seule chose qu’ils savent faire : se retrousser les manches et se mettre au boulot : «Les Haïtiens n'attendent plus après l'aide internationale. Ils reconstruisent les bidonvilles et se débrouillent comme ils l'ont toujours fait, en pratiquant le système D.»

Et dire qu’il s’en trouve encore pour admirer Job sur son tas de fumier… Alors que les Haïtiens, eux, font ça depuis toujours sans passer à l’histoire…

dimanche 14 avril 2013

Petit dimanche


Aimez-vous les dimanches? J’espère que oui. Je sais que pour certains, certaines, c’est un jour fade, sans éclat, sans intérêt, mais pour moi, c’est un bon jour et pas tant à cause du repos dominical auquel on l’associe comme parce que c’est dimanche, tout simplement.

Les dimanches se suivent et, pour tout vous dire, se ressemblent, à quelques variations près. Ainsi et selon ce qui est maintenant notre tradition, nous nous levons plus tard le dimanche : quelquefois passé 7h30, ce qui est vraiment tard pour nous...! Puis, le petit déjeuner est, exceptionnellement en ce jour, tout sauf petit : œufs, bacon, pommes de terre rissolées, tomates et toasts au beurre, tous les ingrédients sont réunis pour faire grimper le taux de cholestérol à des sommets himalayens, mais bon, c'est dimanche…

Pour digérer, quoi de mieux que le Sudoku de La Presse du jour? Le dimanche, c’en est un classé «très difficile», mais entre nous, cette classification ne veut pas dire grand-chose puisqu’il s’en trouve parfois des «moyens» qui sont plus casse-tête que les «très difficiles»… Tout de même, il faut prendre le temps de résoudre ce problème et l'activité gastrique s’en accommode tout à fait bien. Pour suivre, un peu de lecture. Que j’aime facile et sans prétention, je l'avoue sans gêne. Présentement, je lis — relis plutôt — "Total Control", de David Baldacci, auteur américain assez populaire. "Part Crichton, part Ludlum", dit la critique. Rien pour se péter les bretelles, rien pour se comparer à Grisham ou à Connelly, mais suffisamment intéressant pour qu’on en poursuive la lecture; personnellement, je n’en demande pas plus. Dehors, s’entend un office religieux. Pas les adventistes : il s’agit d’un autre groupe — catholiques peut-être ou n’importe quoi d'autre; leurs chants sont différents et de meilleure qualité sonore. Dur dur de chanter plus faux que les adventistes... Faut dire aussi que ces bons chrétiens ne nous dérangent pas trop car ils sont plus loin et donc, le volume de leurs litanies n'en devient que plus acceptable...

Dans quelques minutes, nous partons pour la plage. C’est une activité simple, routinière même puisqu’elle revient à presque toutes les semaines, mais dans un pays tropical, la plage est toujours agréable, je pense que vous serez d'accord sur le point. Tout comme l'est le maintenant traditionnel "rum sour", que je prendrai aujourd’hui à la santé de mon ami Antonio qui se les gèle présentement dans la sloche montréalaise…

Après la virée à la plage, ce sera le retour à la maison, lecture, un peu de vagabondage sur le Net, la bière de fin de journée et, en soirée, la télé et ses films...

Qui osera nous plaindre?

jeudi 11 avril 2013

Accident!


Je ne veux pas faire mon oiseau de malheur et donner l’impression de taper sur le même clou sans cesse, mais l’accident dont vous voyez la photo ci-dessus ne fait que confirmer ce que je vous disais dans l’un de mes textes précédents, à savoir que les transports publics en Haïti sont à déconseiller fortement, pour toutes sortes de raisons allant de l’état mécanique des bus publics aux hasards de la route. Et pourtant, dans le cas de l’accident de la photo, ce n’est pas une raison mécanique ni un hasard de la route qui a provoqué le drame, mais simplement l’incompétence flagrante du chauffeur, lequel à ce qu’on nous a dit, était assez éméché : il revenait d’une veille funéraire et ces veilles sont toujours l’occasion de boire bien copieusement à la santé du mort — surtout qu’il s’agit là d’une des rares circonstances où l’alcool coule à flots et gratuitement en plus. Or, il semble que le chauffeur, voulant montrer sa solidarité à la famille du défunt sans doute, se soit proprement imbibé; reprendre le volant dans cet état n’était évidemment pas une bonne idée… Faut encore que je vous dise que toute cette route (la nationale des Cayes à Valère) est à peu près parfaitement rectiligne, sauf à cet endroit où une courbe aussi inattendue que prononcée vous oblige à ralentir substantiellement. On peut donc assumer que le chauffeur, embrumé dans les vapeurs éthyliques, n’a pas vu la courbe arriver et n’a pas pu la négocier, tout simplement. Un accident bête, comme il en arrive partout dans le monde. Sauf qu’ici, nous avons appris que sept passagers avaient péri, sans compter la quinzaine de blessés qui s’en sont tirés tant bien que mal. Ce n’est pas un bilan effroyable, mais c'est tout de même assez macabre et ce n’est certainement rien pour pavaner.

Le pire, c’est que certains passagers, voyant l’état d’enivrement évident du chauffeur, ont exigé de descendre du bus avant la courbe fatidique. Grand bien leur en prit! On dit aussi que la famille du chauffeur, dont tous les membres étaient assis devant, s’en sont tous tirés indemnes, tout comme le chauffeur d’ailleurs, au grand dam des autres passagers — pas ceux qui sont morts, je veux dire…

Je vous relate ce fait divers pour la simple raison qu’il illustre bien ce que je vous dis depuis toujours, il me semble, à savoir que les accidents arrivent et que, par définition, ils sont inévitables. Car un accident évité n’est pas un accident, mais un presque-accident, n’est-ce pas? Ainsi, si le chauffeur du bus avait réussi à prendre la courbe, même en dérapant légèrement, tout le monde en eût été quitte pour une belle frousse, personne n’aurait parlé d’accident et tout aurait été dit. Tandis que là, l’accident s’est réellement produit et le drame s’en est suivi. Dès lors, vous serez mieux en mesure de comprendre mon principe de ne jamais prendre la route une fois la nuit tombée, et ce, même si je suis parfaitement à jeun (vous avez compris que je précise la chose pour que, d’avance, les mauvaises langues puissent ravaler leurs sarcasmes et non parce que je commets régulièrement des abus d’alcool…). En effet, non seulement les obstacles habituels sont-ils toujours là, mais ils se fondent au décor et n’en deviennent que plus dangereux, nonobstant la puissance des phares de la voiture. Donc, s’abstenir — ou à tout le moins limiter les déplacements — reste encore la meilleure police d’assurance…

Pourtant, il faut parfois le faire et là, eh bien on fait ce que tous les Haïtiens font : on prie…

dimanche 7 avril 2013

Et la vie poursuit son cours


Me revoici un peu mieux disposé. Je vous remercie de votre support et de votre compréhension. La mort est un sujet grave et triste qu’il n’est jamais plaisant d’évoquer. Mais, comme dirait Galilée : «Et pourtant, elle tourne...» («E pur si muove!»). Qu’on soit en déni absolu n’enlève rien au fait : la mort existe, elle rôde et nous attend toujours…

Ce qui ne doit pas nous empêcher de vivre, bien au contraire. Et je puis vous assurer que, sous ce chapitre, le foisonnement de vie aux alentours ne laisse aucun doute sur la force de cette énergie et franchement, je trouve ça rassurant même si, dans un pays comme Haïti, ce foisonnement est un peu excessif et continue de créer des problèmes pour lesquels le pays n’a pas de solution immédiate — aussi bien dire qu’il n’a pas de solution du tout. Car les Haïtiens veulent des solutions miracles, immédiates et absolues, sans quoi c’est le gouvernement qui est à blâmer et il faut s’en défaire au plus vite. C’est là, en partie, la pérennité du drame haïtien : l’impatience des citoyens envers leurs élus.

Ainsi en est-il du système routier de la capitale. J’en ai parlé récemment, mais en lisant cet article, je m’aperçois que je ne suis pas le seul à décrier la situation actuelle comme invivable. Le fait qu’il y ait des plans pour que des voies rapides soient mises en place dans la capitale est rassurant, mais les difficultés pour en arriver là seront titanesques, n’en doutez pas. Car Port-au-Prince ne se laisse pas conquérir aisément, fût-ce par des constructeurs bien intentionnés.

Mais pour l’heure, regardez-moi cette photo (ci-dessus) et dites-moi que ce n’est pas génial… De belles autoroutes, avec échangeurs standards, rien pour réinventer la roue, mais certainement de quoi réduire les problèmes de circulation automobile, vous ne pensez pas? «Bien évidemment», me direz-vous. Et vous aurez raison, à tout le moins sur le papier… Car pour moi, la photo n’est pas la réalité, beaucoup s’en faut et encore une fois, il y a une distance astronomique entre la coupe et les lèvres capables d’apprécier ce que la coupe promet… Pour moi, quand je vois la photo, j’imagine les camions en panne en pleine bretelle de sortie, les marchandes installées tout au long de la route, les motos qui se faufilent à vive allure entre les rangées de voitures, bref, j’imagine le chaos. En d’autres termes, les problèmes de Port-au-Prince ne tiennent pas qu’à l’inadéquation des infrastructures routières, mais aussi, beaucoup, au problème humain et pas seulement en vertu du nombre de gens qui peuplent la capitale mais bien à cause de leur anarchisme naturel. Obéir aux consignes en ce pays reste optionnel dans le meilleur des cas, ne l'oublions pas…

Et puis à quoi serviront les meilleures autoroutes du monde si, à peine sortis de la capitale, l’on continue de se heurter à un barrage routier impromptu et infranchissable, où des gens, mauvais, protestent, à tort ou à raison, emmerdant ce faisant le pauvre automobiliste qui ne veut que circuler sur ce qui tient lieu de route nationale?
«La route nationale numéro 2, à hauteur de Chalon, a été bloquée pour une énième fois tôt vendredi par des individus qui réclament le départ du commissaire du gouvernement [...]. Selon ce dernier, les principaux protestataires, qui sont désormais recherchés par la justice, constituent un réseau mafieux composé de notaires, d'avocats, entre autres, qui s'adonnent à l'expropriation des paysans de leurs terres.» (Le Nouvelliste)
« Y'a des fois, je mettrais le feu dans tout ça, comme je l’ai fait à Sodome; ou je ferais le coup de la marée comme je l'ai fait à Noé… » (J. P. Ferland, God is an American)

jeudi 4 avril 2013

La mort n'est pas une fin


Le sujet n’est pas léger. Mais on doit l’aborder quand même, n’est-ce pas? La mort d’un ami n’est jamais bien drôle, surtout si l’événement n’était pas prévu. La perte de notre ami Keith Flanagan hier m’a profondément touché, et pas parce que nous étions proches et que nous nous visitions souvent, même s’il habitait Port-au-Prince. Mais comme avec la plupart des expatriés rencontrés à l’Hôpital Albert Schweitzer (mieux connu sous son acronyme HAS), les relations établies sont sincères et durables. Et oui, je pense qu’on peut parler d’amitié. Une forme d'amitié qui ne s'apparente pas vraiment au copinage, mais qui n'en reste pas moins authentique. Par ailleurs tout le monde était ami avec Keith; on ne pouvait pas ne pas être son ami. Cœur généreux, c'était un homme d’une trempe exceptionnelle, le genre de gars qu’on se demande d’où il sort avec son accent du sud (Oklahoma) si prononcé qu’on croit qu’il en met trop…

On ne sait pas de quoi il est mort. Mais pas de vieillesse en tout cas, car l’homme avait tout juste quelques années de plus que votre scribe... 65 ans peut-être, ce qui n’est pas vraiment la vieillesse, tout le monde sera d’accord là-dessus, et certainement pas une vieillesse capable d’entraîner la mort. D’un autre côté, a-t-on besoin d’être vieux pour mourir? On dit qu’une chandelle qui donne deux fois plus de lumière brûle deux fois plus vite et ce cher Keith dégageait une telle luminosité que l’on peut se demander si ce quasar n'était pas dû pour s'éteindre avant terme…Mais cela reste difficile à accepter, je ne vous le cache pas. Et je le redis : lui et nous n'étions même pas proches… Mais il est des hommes dont l’énergie nous ragaillardit, nous fait sentir plus forts, plus vivants et Keith était de ceux-là. Alors oui, sa mort m'affecte.

Et maintenant, la vie, à bout de souffle, a quitté ce cher homme… Je sais ce que vous allez me dire : que ça arrive dans les meilleures familles et qu’il faut bien se résigner. Et vous aurez raison. Mais il n’empêche que, tout comme on s’attriste davantage de voir le chêne séculaire déraciné qu'un simple bosquet d’aulnes, certaines personnes laissent à leur départ des trous plus grands, plus impressionnants qui nous obligent à l’arrêt, à la réflexion sur la valeur de notre propre vie.

On dit souvent que la santé reste notre bien le plus précieux. On le dit, mais on n’y croit pas vraiment. On préfère les biens quantifiables qu’on expose bien en vue pour que les autres puissent constater notre niveau de réussite sociale. De temps à autre, il est rafraîchissant de voir le vide à l’intérieur de ces évidences, de voir qu’en fait et comme le disait Saint-Exupéry : l’essentiel est invisible pour les yeux.

On dit que la mort n’est pas une fin. C’est, en fait, la traduction discutable d’un roman d’Agatha Christie dont le titre anglais est Death comes as the End. Un peu comme si la mort se présentait comme une fin alors qu’en fait, elle n’en est pas une puisqu’il n’y a aucune finalité associée à la mort. Du moins pas que je connaisse. Car vous en voyez un sens à la mort vous? Moi pas. Elle est toujours la fin de la vie, rien d’autre. Elle n’est pas une fin, certes, mais elle est la fin.

Voilà. Je voulais partager ce noir avec vous. Merci de votre tolérance.