samedi 29 septembre 2012

Des prix forts (suite)


La semaine a fini par finir. La semaine de travail, s’entend. La première depuis ce retour dont je vous ai entretenus récemment. Et l’on voit que le travail règne toujours en monarque absolu, que dis-je, en dictateur implacable. En un mot comme en mille, nous revoici «dedans».

J’ai bien peu folâtré cette semaine, occupé que j’étais à me remettre à jour et à commencer la planification de l’organisation de l’Événement. Avec la majuscule, vous savez que je parle des 30 ans de l’Institut Brenda Strafford, événement qu’il convient de souligner de belle façon. Je vous en reparlerai, je vous l’ai dit, alors faites-moi confiance… Cela dit, c'est une planification qui n'est pas sans me causer un stress généralisé...

Une semaine ardue, donc, chargée sur tous les plans, mais grâce au Ciel, calme sur le plan politique. Bien sûr, on entend des rumeurs, mais le gouvernement semble faire un effort pour faire taire la grogne publique contre les récentes augmentations du prix des denrées de base. Juste pour vous donner quelques exemples et pour faire suite à mon dernier texte, la marmite de riz (base de l’alimentation haïtienne) est passée de 175 à 300 gourdes, soit une augmentation de 72%; la marmite de pois, source de protéines par excellence, n’est guère mieux, passant de 175 à 250 gourdes (43%); la farine — qui n’a pas besoin de farine? — a, quant à elle, grimpé de 44%, alors c’est vous dire que les augmentations n’ont rien de fictif ou d’illusoire. Imaginez une augmentation de 72% de votre bière préférée… De quoi monter aux barricades, là!

Si bien que malgré les efforts gouvernementaux, les récentes hausses restent, à toutes fins utiles, impossibles à absorber. Et j’ai bien peur que, si rien n’est fait, le peuple se mette à taper sur autre chose que des casseroles…

Mais bon. Rien n’est facile en ce pays, je l’ai répété à satiété, sinon ad nauseam et si vous ne le savez pas maintenant, vous ne le saurez jamais. Mais c’est une vérité qui mérite d’être dite et redite, ne serait-ce que pour apprécier la facilité de la vie sous nos latitudes nordiques. L’apprécier sans s’en plaindre. Enfin, pas trop. Car se plaindre le ventre plein quand d’autres l’ont vide que les parois abdominales s’en collent, ça me semble trop injuste. Et si l’on veut absolument se plaindre, que ce soit du climat pourri et imprévisible, car là, je vous le concède, gens du nord, vous ne pouvez rivaliser avec celui d’Haïti. Mais pour le reste…

Si bien que tandis que les prix montent en même temps que la frustration nationale, la vie continue sans trop de heurts. Reste à souhaiter qu’elle se maintienne dans cette voie, à cette vitesse pépère qui nous met un peu plus à l’abri des dérapages, car les dérapages, vous le savez bien vous qui conduisez sur des routes glacées, finissent souvent en catastrophes…

Et avec ça, septembre s’évapore doucement dans la brume du temps…

mercredi 26 septembre 2012

Problèmes de la rentrée


Certains ont vu dans mon dernier texte une pointe d’amertume qui n’est pas coutumière en ces lieux d’écriture. Je ne le nie pas. Le retour, cette fois, n’a pas été facile, pour des tas de raisons dont celles que j’ai mentionnées à cette occasion (les plus importantes). Depuis, le travail quotidien a repris toute la place qu’il occupe naturellement et on ne s’en plaint nullement. Sauf que…

Sauf qu’il faut maintenant préparer la Fête. Notez bien la majuscule, car il ne s’agit pas de n’importe quelle fête, mais bien celle de notre vénérable institution qui, cette année, souffle ses 30 bougies. Ce qui n’est quand même pas rien, nous serons d'accord. Alors on fera une petite célébration pour souligner la chose et c’est précisément la préparation de cette célébration qui demande une tête bien rangée… Or, vous connaissez la mienne ou, à tout le moins, vous en subodorez les méandres labyrinthiques. En termes clairs, ça me stresse! Mais comme on dit par ici, n’ap degaje… Et ne vous en faites pas, je vous reviendrai là-dessus lorsque les temps en seront mûrs, ce qui ne saurait tarder…

Pour l’instant, nous nous activons à régler les petits problèmes qui, comme vous le savez maintenant depuis un bon moment, surgissent et se multiplient ici comme tout ce qui pousse sous les tropiques : vite. Et comme si ce n’était pas assez, il faut encore composer avec le drame de l’augmentation du coût de la vie, lequel a connu une réelle explosion vers le haut depuis notre absence. La nourriture, les denrées de première importance, le carburant, l'électricité, les matériaux, tout a monté, au point que plusieurs de nos employés qui arrivaient tant bien que mal à boucler le mois n’y arrivent plus. Surtout qu’en cette fin de mois, il faut maintenant payer l’école (qui débute ce prochain lundi), ce qui, pour plusieurs, représente une dépense simplement insurmontable. Hier encore, l’une de nos auxiliaires me disait que les frais d’écolage pour sa plus grande fille se montent à près de $500 US et cette somme n’inclut ni les livres, ni les fournitures scolaires, ni l’uniforme et les chaussures réglementaires. Or, nos auxiliaires touchent $250 le mois… Je vous laisse faire le calcul… et n’oubliez pas qu’il ne s’agit pas que d’un seul enfant, mais souvent trois ou quatre — dans le cas de la dame citée ici, on parle de cinq enfants d’âge scolaire! Quand je pose la question : «Mais comment allez-vous faire?» Certains me répondent, le plus sérieusement du monde, qu’ils vont se priver de manger pendant quelques jours et puis voilà… Et le pire les amis, le pire, c’est que c’est sans doute vrai.

Dès lors, on ne se surprendra pas d’apprendre que le peuple jette le blâme de cette flambée des prix sur le gouvernement, le président en tête… La lune de miel de Martelly est clairement terminée et les mêmes qui ne juraient que par lui sont maintenant prêts à tirer sur lui à boulets rouges. Car à quoi sert un gouvernement sinon à jouer les boucs émissaires? Alors un peu partout au pays, des manifestations éclatent pour protester contre la cherté de la vie, comme si le gouvernement pouvait, d’un coup de baguette magique, retirer du pied populaire la douloureuse épine qui le fait claudiquer et rendre ainsi tout le monde content. Ce serait trop beau, n’est-ce pas… Eh bien certains y croient toujours, à ce miracle…

Mais tout cela fait partie de ce quotidien haïtien où rien n’est jamais facile, rien n’est jamais acquis d’avance, mais un quotidien où l’on continue tout de même de sourire et de vivre dans une bonne humeur incompréhensible, en tout cas pour moi.

samedi 22 septembre 2012

Un autre retour


Je serai franc avec vous : je n’ai pas vraiment le goût de vous parler de notre retour. Oui, nous étions contents de retrouver nos pénates haïtiens; oui nous étions heureux de revoir tous ces gens qui étaient manifestement heureux de nous revoir eux aussi; oui, nous étions ravis de voir les chiens, notre bourricot et les arbres et les plantes qui ont profité de notre absence pour pousser tropicalement (= excessivement), mais la fatigue, la situation politique du pays, les petits problèmes au travail ont tempéré notre joie. Et puis, aussi bien vous le dire : nous avions les bleus de quitter notre havre nordique en cette saison si merveilleusement belle, surtout si le soleil est de la partie. Or, il y fut. De la partie, je veux dire. Sans relâche, chose exceptionnelle sous nos latitudes nordiques, le ciel fut d’un bleu impeccable et la température, douce comme jamais pour la saison. Est-ce un effet du réchauffement climatique dont tout le monde parle? Dur de ne pas y croire, qu’importe ce que les statistiques climatiques diront. Quoi qu’il en soit, sous le soleil de septembre, les couleurs automnales étaient magnifiques, croyez-moi. En fait, je pense que tous s’entendront pour dire que les mois d’août et de septembre ont été, jusqu’à présent, exceptionnellement doux. Au point que Stéphane Laporte en a même fait une chronique, ma foi digne d’éloges et que je vous invite à lire sans retenue. Voilà un monsieur qui sait écrire, personne ne me dira le contraire… Et Stéphane nous apprend, entre autre choses, que l’automne débute officiellement aujourd’hui et quelle belle clôture de cet été qu’on qualifie déjà de mémorable.

Alors, gens du Québec, vous me comprenez. L’appel tropical, cette fois, n’offrait rien de séduisant, au contraire, puisque la chaleur et l’humidité excessives n’ont rien pour séduire, nous serons d’accord. Mais nous sommes là tout de même, tout simplement parce que c’est ici qu’est notre place, notre home, notre chez-nous. Et après quelques jours, l’histoire reprend là où on l’avait laissée et on se sent à nouveau réellement chez nous. Comme quoi tout est relatif. Relativement relatif si j'osais...

Et puis je ne vous ai pas parlé de la journée du retour proprement dite, celle où l’on prend l’avion après quelques heures à poireauter, où l’on attend désespérément après nos bagages qui n’arrivent pas (près de deux heures, ce n'est quand même pas rien), où on se tape quatre bonnes heures de route en pleine noirceur dans des conditions pas vraiment idéales. Cette étape-là n’est jamais agréable, sauf peut-être pour ceux ou celles qui ne l’ont jamais vécue. Mais pour nous, c’est juste : va-t-on finir par arriver? Oui, vers les 22h30…

Mais tout ça est déjà derrière. Le travail, notre raison d’être en ce pays, nous attendait en se frottant les mains d’anticipation et il a tôt fait de nous tomber dessus à bras raccourcis. Si bien que nous revoilà dedans et ma foi, c’est moins difficile qu’on le croyait. La nostalgie automnale se dissipe comme la brume matinale que la semaine dernière encore, nous pouvions contempler sur notre lac et nous nous sentons d’attaque. Et les fronts ne manquent pas…

Il s’agira maintenant de bien choisir nos batailles pour éviter d’épuiser trop vite les ressources énergétiques que nous venons de refaire. Et ce n’est pas facile quand tout est prioritaire…

Mais un jour à la fois, n’est-ce pas? On ne s’excitera pas, c’est promis… En passant, que pensez-vous de ma photo de la belle rudbeckia, cette marguerite de fin d'été?

mercredi 12 septembre 2012

Une affaire de nom


On lit parfois des choses drôles. Je ne veux pas dire dans le sens qui font rire, mais plutôt bizarres, surprenantes ou insolites. Incidemment, c’est sous la rubrique « Insolite » qu’on retrouve, chez cyberpresse, ces articles qui me font toujours sourire.

Mais celui que je vous commente aujourd’hui ne provient pas de la rubrique Insolite de La Presse, mais plutôt du Nouvelliste; d’ailleurs, son titre dit déjà tout : «Fond-cochon veut changer de nom». Vous pouvez lire l’article si le cœur vous en dit, mais vous n’y apprendrez rien de plus que ce que le titre annonce de façon non équivoque. Les responsables locaux trouvent que le nom ne fait pas très sérieux et qu’il est, de surcroît, «désagréable à l’oreille»(!) Pardonnez-moi, mais je ne suis pas d’accord.

Les noms des localités émergent souvent des réalités géographiques ou sociales qui les caractérisent et je trouve tout à fait croustillant ces noms qui racontent une histoire. Or, les Haïtiens sont très créatifs en matière de noms — je l’ai déjà mentionné au sujet des personnes dans un autre texte — et les localités portent souvent des noms qui mettent en lumière ce qui les caractérise le mieux ou, en tout cas, ce qui le faisait dans le passé. Je pense, entre autres à Fond-des-Blancs, ainsi nommé parce que des Blancs, laissés derrière par l’armée napoléonienne, s’y étaient installés à demeure. On devine la raison de son pendant, Fond-des-Nègres… Dès lors, on peut aussi deviner la raison d’un nom comme « Pas Toilette », « Bistouri », « Dos d’âne », « Poux » ou « Débauché »… Même s’il y a maintenant des toilettes à Pas Toilette — en tout cas, je le présume —, la réalité historique nous rappelle que l’endroit en était sans doute dépourvu à une certaine époque et sans doute existe-t-il une histoire bien colorée pour expliquer le baptême de ce village. Alors pourquoi en changerait-on le nom? Et qui osera me dire que cette imagerie toponymique vaut moins que celle qui, au Québec, nomme tous les villages du nom d’une sainte ou d’un saint, souvent obscur et toujours sans rapport avec la réalité géographique du lieu, le saint n’y ayant jamais mis les pieds? Évidemment, c’est une autre affaire lorsqu’on veut désigner les habitants du hameau au nom insolite : Pas toilette donne quoi? *Patoilettiers? À moins que ce soit des *Chiant-culottes? Et Poux? Les *Pouilleux?

Bon, j’en ris un peu, mais ce n’est pas méchant. Au contraire, pour ma part, j’aime assez l’originalité haïtienne en matière de toponymie et je ne vois pas pourquoi Fond-cochon serait moins politiquement correct que Fond-des-Nègres, par exemple.

Mais je ne vous ai pas dit le meilleur : pour rebaptiser Fond-cochon, on propose Laval. Oui, oui, Laval, comme la municipalité au nord de Montréal, dont on dit s’inspirer d’ailleurs. C’est quoi le rapport dites-vous? Eh bien c’est ça l’affaire : y’en n’a pas!

Dites, c’est-y pas beau ça?

jeudi 6 septembre 2012

Les élections du Québec


Vous ne m’en voudrez pas de vous parler un peu des élections. Certes, tout le monde y est allé de son grain de sel, les experts comme les amateurs, et tout le monde s’est retrouvé, qui dans le camp des perdants, qui dans celui des gagnants, mais pour quelle différence, je vous le demande. Vous gagnez vos élections? Bon, je veux bien, mais vous gagnez quoi au juste? Soyons honnête : pas grand-chose. À moins d’être étudiant, et encore…

Car il faut bien le dire : cette élection confirme le pouvoir des étudiants, ces petits nés de la dernière pluie qu’on croyait inaptes à avoir une opinion autre que de choisir entre un Big Mac ou un Teenburger. Or, il a bien fallu se rendre à l’évidence : les jeunes ont planté tout le monde et son père! Car ce sont eux qui sont à l’origine de la pression qui a finalement eu raison du bétonnage de Jean Charest. Eux qui ont fait croire au peuple — principalement montréalais, mais ne chipotons pas — que le Québec pouvait devenir une société différente, meilleure, axée sur le partage et la justice sociale, où les riches se dépouillent pour habiller les pauvres. Un rêve, bien sûr, mais un rêve que les jeunes ont porté haut et fort et qui a donné le ton à toute la campagne électorale, bien que pas mentionné en termes si simples. Quoi qu’il en soit et peu importe de quel côté on se situe, les jeunes ont provoqué le peuple et son gouvernement et la réaction s’en est suivie : élections déclenchées prématurément. Maintenant, le nouveau gouvernement est là, pour le meilleur ou pour le pire. Remarquez que je dis « ou ». Pas « et ». Car ce sera l’un ou l’autre. L’avenir le dira. Mais le changement, si timide qu’il soit, fait du bien, donne une odeur particulière à l’air ambiant, modifie la perspective et sème de nouvelles graines. Quant à savoir si ces graines germeront, seul l’avenir nous le dira. Mais quand souffle le vent du changement, il convient de le respirer à pleins poumons, ne serait-ce que pour s'oxygéner un peu...

Pour nous, terrés dans notre coin sur le bord de notre lac, là où « la vie au lac » se déroule à son rythme bien pépère, proche de la nature et des ses habitants, ces élections ne signifient pas grand-chose. Et pas parce que nous vivons hors de notre patrie! C'est tout simplement que le vent du changement ne vient pas jusqu’ici. Il ne pourra même pas faire frémir les feuilles de tremble (peuplier faux-tremble si vous êtes du type pointilleux); ici, c’est la pérennité des choses même si le milieu subit la pression sociale que subissent les plans d’eau... La forêt domine toujours le décor et peu importe comment la politique s’orientera, je reste confiant que le milieu physique restera sensiblement le même. Et qui s’en plaindrait? C’est un biotope complexe, varié, typé (faune et flore boréale) et fascinant. Juste pour vous dire, déjà, les couleurs de la forêt changent…

Il n’empêche, ces élections nous ont fait réaliser à quel point nous étions déconnectés de la réalité québécoise. L’allégeance à un parti politique? Pourquoi? Le parti libéral et son chef, sur lequel tout le monde a vomi récemment, a tout de même gardé le pouvoir pendant neuf ans! Franchement, s’il était si mauvais, comment expliquer cette longévité? Endurance du peuple? Ou simplement inertie?

En tout cas, je puis vous assurer d’une chose : on dira ce qu'on voudra des Haïtiens, mais dans ce pays, jamais le peuple n’aurait patienté neuf ans…