samedi 29 octobre 2011

Nesly va à l'école


Nesly va à l’école. Le titre fait manuel d’apprentissage à la lecture, vous ne trouvez pas? Ou en anglais, les premiers pas dans cette langue : Nesly goes to school et après, on voit les situations rencontrées et le vocabulaire prévisible qui s’y rattache. Mais rien de tout cela ici. Nesly a simplement décidé, à 27 ans, de retourner sur les bancs d’école et d’y faire un bout de chemin, notamment en complétant d'abord sa 7e année...

Pourquoi cette décision tardive? Je pourrais vous répondre : pourquoi pas? Mais la vérité est plus complexe. C’est qu’en Haïti, à la différence des pays plus développés, l’école est chère et donc, pas toujours accessible faute de moyens financiers adéquats. Si bien que l’on y commence jeune, oui (3 ans est courant), mais le parcours est souvent interrompu à un moment ou à un autre, quelquefois pour une courte période mais parfois aussi pour un bon ti-temps… Mais on n'oublie jamais l’école, vous savez cela, vous qui y êtes allés à satiété, et ici comme ailleurs, l’on y retourne à n’importe quel âge, sans souci de l’homogénéité de la classe. Ici, pas de classes de raccrocheurs, pas de cheminement particulier, juste les bancs d’école ordinaires. Mais personne ne s’étonne ni ne s’amuse de ceux ou celles qui reviennent s’y asseoir, car tout le monde est là pour apprendre. Et l’on apprend. Par cœur. On récite, on répète, on scande, on y met du cœur et la leçon s’exprime, à défaut de s’imprimer dans les connexions synaptiques. En d’autres termes et comme dans toutes les écoles de la planète, les notions abordées ne sont pas toujours utiles ni même intégrables mais elles ont le mérite de faire travailler le cerveau et d’accroître les connaissances. Or, connaître, c’est régner. Ça, c’est moi qui le dis, mais ce n’en est pas moins vrai que si ça venait de Descartes ou de Kierkegaard. Connaître, c’est régner, et le contraire est observable historiquement et quotidiennement : les ignorants se sont toujours fait et se font toujours avoir. Dans le sens dominer, écraser, soumettre, exploiter… je vous laisse choisir. La connaissance, c’est la liberté. L’école n’en est qu’une source parmi tant d’autres, c’est vrai — on peut acquérir des connaissances partout et de maintes façons — mais c’est une source traditionnellement acceptable et universellement acceptée. En tout cas, Nesly s’en trouve fort heureux…

Mais je reviens à la raison de la décision de ce cher homme de retourner sur les bancs d’école : tout simplement, il en a les moyens financiers, maintenant! Il travaille, n’est pas marié, n’a pas d’enfants à entretenir, ne fait pas de dépenses extravagantes, et se trouve logé à très petit prix à même nos ressources immobilières. Bref, malgré son petit salaire, il se tire fort bien d’affaire. Alors quand il est venu m’exposer son désir et me demander ce que j’en pensais, je n’ai pu que trouver l’idée bonne et je l’ai encouragé, tout en ajustant son horaire de travail en conséquence. Hier encore, je lui demande comment ça se passe. Très bien, me dit-il. Un peu rouillé, mais bon, ça se dissipe peu à peu. Et non, il n'est nullement mal à l'aise de se retrouver entouré d'une majorité de plus jeunes que lui dans sa classe ou d'avoir un enseignant plus jeune que lui.

En y pensant bien, pourquoi le serait-il?

jeudi 27 octobre 2011

Beaucoup de monde



La nouvelle, parue hier sur le site de Radio-Canada, n’a pas fait un gros tapage. Même Foglia s’en moque aujourd'hui. Et pourtant, vous le savez, il s’agit pour moi d’un sujet préoccupant. Car la progression n’est pas simplement arithmétique, elle est géométrique, exponentielle, si l’on veut. Tout ça pour dire que la population de la planète grimpe vite et vous avez compris que c’est ce qui me fascine. On parle souvent d’«explosion» démographique et je pense que le terme rend assez bien cette croissance démesurée, absolument hors contrôle. Car dites-moi donc, vous qui savez tout : qui contrôle le développement démographique de la planète? Et par ailleurs, qui pourrait s’arroger le droit de le faire? Est-ce que ça ne ressemblerait pas à de l’eugénisme? Et pourtant, au rythme où vont les choses, j’ai bien peur qu’on en vienne là. Et pas pour des raisons de ressources alimentaires, mais plutôt, à mon sens, pour de l’espace. Tantôt, on va se battre pour avoir un petit espace où planter sa tente. Mark my words, comme disent mes copains anglos. Pas au Sahara ou en Antarctique, d’accord; mais dans les villes, dans des pays comme Haïti? Regardez bien ça venir…On s’en reparle dans 50 ans… Déjà, on parle de développer Montréal par la verticale, car il n’y a plus d’espace à l’horizon…

Oui, bon, vous allez me dire que dans 50 ans, les probabilités sont très fortes pour que je sois très confortablement installé à manger les pissenlits par la racine, selon l’expression consacrée, et que je ne sois pas vraiment en mesure de vérifier mes intuitions. Et puis, me direz-vous, t’en auras rien à cirer de la population de la planète! Eh bien vous aurez tort. Nous sommes tous et toutes partie d’un ensemble et je crois sincèrement qu’il faut se préoccuper un tant soit peu de la santé de l’ensemble si l’on veut assurer sa pérennité. Hans Jonas, un brillant philosophe allemand, parlait de "l’heuristique de la peur". Belle formulation, un peu aride vue comme ça, mais en termes simples, il s’agit justement de cette préoccupation pour un avenir qui n’est pas le nôtre en propre, mais dont nous sommes les tenants actuels. Jonas parle d’une responsabilité envers les générations futures et je pense qu’on ne peut pas faire l’autruche. On ne peut pas, à mon sens, surcharger la planète sans se soucier de sa suspension (métaphore osée, mais bon). Or, c’est exactement ce qui se passe. La croissance démographique? Des chiffres, simplement. Pourquoi s’en soucierait-on? L’eau douce? On trouvera sûrement le moyen de dessaler l’eau de mer et alors, la pérennité de la ressource est assurée. Le manger? On trouvera sûrement le moyen de produire des OGM qui nous procureront toutes les protéines, minéraux, vitamines et fibres dont nous avons besoin pour nous tenir debout. Mais l’espace, les amis, pensez-y, vous qui n’aimez pas vos voisins… L’espace, on fera quoi? Un excès d’humains ne peut que conduire à cette «apocalypse rampante» dont parle Jonas (entre autres choses).

Non, je n’ai pas de solution à vous proposer. Et Foglia a raison quand il dit que l’annonce du franchissement du cap des 7 milliards d’êtres humains ne lui fait pas un pli. Ni à vous, d'ailleurs. Pourquoi cela ferait-il une différence? Simplement parce que nous sommes parties de ce tout et que si tout le monde s’en lave les mains, ben il n’y aura plus personne pour toucher le sujet...

À propos et si vous êtes curieux, je vous recommande ce site qui, à partir d’un petit algorithme, nous donne une image assez effarante de l’état du monde présent et à venir. Les chiffres parlent. Mais personne n’est obligé de les écouter, n’est-ce pas? Et pourtant, il me semble qu’il y a là quelque chose d’un peu inquiétant. Et je vous avoue que tous les scénarios optimistes me laissent un peu sur ma faim, justement parce qu’ils sont optimistes, et de ce fait, déresponsabilisants, si vous me passez le terme. Quand tout va bien, qu’a-t-on à s’en faire? Mais la réalité, celle que l’on connaît tous, c’est que le futur n’est que la suite du présent, alors…

lundi 24 octobre 2011

Une belle fête



Bon, eh bien ils sont venus une fois de plus et n’ont rien trouvé à redire sur le fonctionnement de notre petit hôpital. Ce qui, en soi, vaut le meilleur compliment, vous serez d’accord… Vous avez compris que je vous parle de nos chers patrons dont la visite trisannuelle est aussi réglée qu’une horloge suisse. Une visite sans histoire donc et c’est comme ça qu’on les aime.

Mais ce n’est pas de la visite des patrons dont je veux vous entretenir aujourd’hui, mais bien de la fête que nous avons eue pour les employés de l’hôpital. Quelques employées pharmacienne, secrétaire et infirmières chefs ont décidé qu’il serait bien de faire une fête pour les employés. Elles sont venues me voir avec cette idée fraîchement pondue, pour obtenir mon approbation et surtout, le financement qui devait aller de pair avec. Faut-il que je le précise : elles n’ont pas eu besoin de me supplier pour que je les encourage dans ce projet. Qu’elles ont réussi à organiser de main de maître, malgré l’inexpérience et le temps court qui leur était imparti. Si bien que, ce dernier samedi, juste après la visite des patrons, près de la moitié des employés se sont retrouvés à la plage à s’amuser, dans une ambiance très bon enfant, très insouciante, très rieuse. Les filles entre autres, ont eu un plaisir fou rien qu’à danser en rond en se tapant dans les mains; tandis que d’autres jouaient au ballon, aux dominos ou simplement, buvaient une petite bière en jasant avec le voisin. Boire une petite bière pour des gens qui n’ont pas les moyens de s’en procurer n’est pas banal, je le précise… Et pourtant, personne n’a abusé de l’alcool… Puis la nourriture, comme toujours très abondante et copieuse, et leur mets préféré, la chèvre gras et os inclus et l’incontournable riz collé. Vous dire qu’ils ont aimé serait peu dire : tout le monde s’est dit enchanté et désireux de remettre ça l’an prochain!

Le commentaire que je veux faire sur cette belle fête, c’est la joie de voir la joie des autres. Un phénomène contagieux, tous les humoristes vous le diront : le rire entraîne le rire, tout comme la tristesse déteint sur nous plus qu’on ne le voudrait, parfois. Mais ce n’était pas le cas en ce samedi ordinaire : ces gens-là étaient tellement contents, c’en était vraiment contagieux! Et tout ça dans une ambiance de belle camaraderie, sans souci de la position professionnelle ou sociale. Tout le monde en maillots de bain (certaines plus seyantes que d’autres, est-il besoin de le dire?), sans tambours ni complexes, tous égaux, tous libres, il y a de quoi revoir la nécessité de la Charte des droits et libertés, tiens… Et ce plaisir que rien ne crée autre que la compagnie de gens qui jouent ensemble sans soucis, sans compétition, sans arrogance, sans vanité, ce plaisir, les amis, vous émeut dans l’âme. On se prend d’optimisme, tout à coup. On se dit que les problèmes habituels n’en sont pas de vrais : seulement quelques petites poussières qu’une perception pessimiste transforme en montagnes infranchissables… La joie fait cela aussi, faut croire… En tout cas, une belle illustration, une fois de plus, que des adultes peuvent s’amuser comme des enfants avec rien et en tirer ce même contentement naïf dont les enfants ont la spécialité. Mais pas l’exclusivité. Car je vous l’ai dit : les Haïtiens sont très forts là-dedans…

Somme toute une expérience concluante pour tout le monde, y compris pour les absents qui s’en mordent un peu les pouces et qui se promettent bien de ne pas passer à côté la prochaine fois!

lundi 17 octobre 2011

Une sortie à la plage


C'est vraiment trop drôle! Si vous avez lu mon texte de samedi dernier, vous avez noté que j'ai mentionné que l'on écrivait pour être lu. Or, si j'ai toujours cru que certains, certaines parmi vous me lisaient de temps à autre, je n'avais jamais pensé que la chose put se comptabiliser. C'était bien naïf de ma part, puisque sur Internet, tout est comptabilisé, n'est-ce pas? Les ordinateurs laissent une signature chaque fois qu'ils accèdent à un site et ce blogue n'y fait pas exception. Or, voilà qu'hier matin, bercé par la farniente d'un dimanche tranquille, j'ai eu la curiosité d'accéder à la nouvelle version de blogspot. Quelle ne fut pas ma surprise d'y trouver les statistiques des visites reçues! Et de voir que, ma foi, vous êtes relativement nombreux, nombreuses à me visiter, au point que j'en suis un peu gêné, dites! C'est que je suis si modeste!!!... Mais voyez par vous-mêmes : au total, pas moins de 12,592 personnes m'ont rendu visite, ce qui est nettement au-dessus de mes estimations les plus optimistes! Si bien que je me sens un peu sous pression, là...

Mais ce n'est pas de statistiques que je veux vous entretenir aujourd'hui, fête de la mort de Dessalines et donc, congé férié pour tout le monde. Pas du tout. En fait, nous en avons profité pour aller à la plage de St-Georges, pas très loin de chez nous. La plage de St-Georges, c'est le cliché de la plage tropicale paradisiaque : imaginez une plage en croissant, bordée de cocotiers et baignée d'une eau turquoise transparente. Le ciel est bleu, de petits cumulus en rompent la monotonie monochromatique et le soleil brille de tous ses feux. Les vagues, paresseuses en ce jour de congé, se brisent mollement sur la grève. On entre dans l'eau en tout confort : sans l'avoir mesurée, je juge sa température aisément au-dessus de 30 degrés. On nage un peu, on fait la planche – oui,oui, je suis capable maintenant que je suis rendu gros – et on se laisse dériver sans penser... On sort de l'eau, on se fait sécher sous le soleil en lisant un bon livre et on remet ça. Une bonne petite bière bien fraîche avec ça? Pourquoi pas?... Alors dites-moi : que demander de plus? Remarquez, je ne vous dis pas que c'est le paradis, car si c'était le cas, ce serait drôlement plat le paradis, au point que c'en deviendrait vite infernal (incidemment et bien que je l'aie déjà mentionné, je vous suggère fortement de lire ou de relire Huis clos de Jean-Paul Sartre, cette pièce délicieuse où la situation qui semble être pas trop mal initialement se révèle finalement une version subtile mais ô combien efficace de l'enfer)... Alors oui, on se laisse bercer par cet environnement idyllique, mais après un certain temps, gorgés de soleil et salés comme une viande ou un poisson prêt à la conservation, on se dit qu'il est temps de rentrer...

Mais à moins d'un cataclysme majeur, on sait qu'on pourra toujours y retourner. La mer sera toujours là et elle aura beau s'agiter et battre le sable de ses élans, rien n'y fera, la plage demeurera. Pérennité des choses, dites-vous? Je suis d'accord. Le mot est joli et exprime bien l'intemporalité et l'immuabilité de ce décor qui en a vu d'autres et qui en verra encore bien d'autres avant de s'altérer, même modestement. De quoi apprécier la géologie, convenons-en...

La plage, la mer, le soleil. Trois éléments permanents en Haïti. Trois parties d'un tout que tout le monde associe à la joie de vivre, à la détente, au plaisir. En d'autres pays, ces éléments sont repérés de bien loin et exploités pour ce qu'ils valent : leur pesant d'or. N'importe quel promoteur qui verrait la plage de St-Georges en baverait de concupiscence... Mais la beauté industriellement transformée vaut-elle mieux que celle que la géologie a façonnée au cours de quelques millions d'années? Je ne sais pas pour vous, mais pour moi, c'est non. Et bien que la tendance à un certain développement soit inévitable et irréversible, on se prend à souhaiter que ce coin de pays reste ce qu'il est : un havre de paix, d'harmonie et de contentement.

Avec la visite des patrons prévue pour cette semaine, avouons que c'est doublement appréciable...

samedi 15 octobre 2011

La vie normale


Me revoici. Sans thème précis, je le reconnais, mais pour le plaisir de vous glisser un petit mot. Car je veux écrire pour vous, mes fidèles du week-end. Ceux et celles qui, le samedi ou le dimanche matin, savent prendre le temps de savourer le temps qui passe en lisant des choses pas trop lourdes, pas trop exigeantes pour la cocologie. Alors, amis lecteurs et tendres lectrices, je veux aujourd'hui participer à votre insouciance "saturnale" ou dominicale.

Car il me faut bien le dire : on écrit parce qu'on se sait lu. Regardez tous ces chroniqueurs, tous ces écrivailleurs, ces blogueurs, ces gens de plume... Tous écrivent pour une seule raison : être lu. C'est assez puéril, je l'admets. Mais ce n'en est pas moins une réalité. Même un cabotin comme Foglia écrit pour cette raison. En passant, n'y voyez pas une critique de ce charmant homme : Foglia a réussi là où la plupart échouent lamentablement et maintenant, il a carte blanche pour nous balancer ce qu'il veut – et se faire payer pour! Je confesse donc une admiration sans borne pour ce géant qui, à 70 ans bien sonnés, nous fait pirouettes après pirouettes sans même reprendre son souffle. Et on le lit. Et on en redemande... Moi, je n'en suis pas là, mais je dispose néanmoins de la même liberté de presse, si je puis dire... Alors considérant qu'il y a bien trois ou quatre personnes qui me lisent assidûment, je plonge hardiment, bute sur les mots, perd l'équilibre dans des tournures osées, m'essouffle dans des phrases sans fin, me reprend, me redresse, ponctue à qui mieux mieux et vous offre mon produit en implorant votre clémence. Écrire, c'est ça. Et en y regardant bien, ce n'est en rien différent de ce que n'importe quel artiste peut offrir : le fruit d'un effort, un effort qui part de soi pour aboutir aux autres. Vous autres. Suis-je un artiste pour cela? Sans doute un peu, je vous laisse en décider...

Mais qu'ai-je donc à vous offrir en ce jour d'hui? Pas grand-chose, je le redis. Les pluies torrentielles que nous avons essuyées, ben justement, on les a essuyées : tout a séché et le soleil a repris sa place habituelle... avant que la pluie ne remette ça encore tout à l'heure! C’est toujours comme ça. On reçoit une pluie de fin du monde et le jour suivant, tout est revenu à la normale. Et puis ça recommence...

Le pays? Eh bien il va assez bien le pays, malgré ce que certains peuvent en dire. «Pas de nouvelles, bonnes nouvelles», dit le proverbe et dans ce cas, rien n’est plus vrai. Ça va lentement, mais il serait difficile d’aller plus vite, n’en déplaise aux impatients. Le nouveau premier ministre a finalement été approuvé, le gouvernement est formé et les choses s’enclenchent. Certes, il y a des orientations qu’on peut trouver discutables, mais d’une manière générale, on peut dire que le pays va plutôt bien, compte tenu des énormes défis auxquels il faut faire face.

Pour nous, tout continue de marcher sur des roulettes, sans trop de cahots. Notre affluence ne varie à peu près pas, sauf s’il pleut, bien entendu, car la pluie ici, je l’ai déjà dit, ressemble fort à ce qu’une tempête de neige entraîne en pays nordique en termes de ralentissement des activités. Mais une fois le soleil revenu, la vie reprend comme avant et c’est précisément là où nous en sommes : activités normales, taux de fréquentation normal, gens normaux qui vaquent à des occupations normales… bref, la vie, quoi!

Mais avouons que la vie normale, vue comme ça, c’est un peu monotone. Et le piment, il est où, là, le piment? Mais peut-être vaut-il mieux ne pas le demander trop fort...

mardi 11 octobre 2011

Du côté de l'étang aux grenouilles


Vous lisez mon titre et vous vous imaginez peut-être que nous avons déménagé? Eh bien non! Nous n’avons pas besoin d’aller à l’étang pour entendre les grenouilles : c’est l’étang qui vient à nous! Je vous ai dit qu’il pleuvait hein? Et quand il pleut sur cette ville, ben c’est comme vache qui pisse, je vous ai dit ça aussi, vous vous souvenez? Or présentement, il pleut et c’est le troisième jour, alors oui, l’étang s’est formé et les grenouilles, invisibles en temps normal, s’en donnent à gorge déployée. L’effet est tout à fait comme si nous avions changé de voisinage...

Mais il n’y a pas que dans la cour qu’un étang s’est formé : dans une grande partie de la ville aussi! C’est que Les Cayes est une ville pratiquement au niveau de la mer, une ville plate donc, et l’eau qui tombe y ruisselle sans s’écouler, inonde les rues et les maisons, gâte la nourriture et favorise la misère… Or, je vous le dis les amis : Aznavour a raison quand il chante que «la misère serait moins pénible au soleil» (Emmenez-moi). Parce que sous tant d’eau, la misère éclate, s’affiche sous forme de gens trempés jusqu’aux os qui cheminent dans 60-80 cm d’eau sale où flottent les détritus éparpillés et parfois, tue. Et le pire, c’est ce qu’on ne voit pas : les maisons inondées et leur contenu saturé de cette eau sale, la nourriture gaspillée qu’on n’a pas les moyens de racheter; les vêtements trempés qu’on ne sait plus où faire sécher et les maigres possessions réduites à néant. Et si certains se plaignent, la majorité affiche ce sourire un peu forcé et hausse les épaules, l’air de dire : «On n’y peut rien, faut se résigner.» Et cette résignation est belle à voir. Mais en même temps, elle fait mal. On se prend à se demander si on aurait la même résignation, sachant que tous nos biens sont détruits, irrémédiablement et que rien ni personne n’offrira de compensation monétaire ou un quelconque dédommagement. Franchement, faut être fait fort pour ne pas se décourager, pour ne pas crier sa haine contre un Ciel qui s’acharne contre ce peuple. Les Haïtiens? Des survivants, vous dis-je…

Nous? Ça va. Ça baigne. Ça flotte. On surnage. La maison est épargnée, nous sommes au sec et nous avons tout ce qu’il nous faut pour tenir un siège de plusieurs jours. La compagnie d’électricité ne donne pas beaucoup de courant — allez donc savoir pourquoi — mais nous avons la génératrice qui nous fournit tout ce dont nous avons besoin sous ce chapitre. La connexion Internet n’est pas fameuse dans ce ciel bouché, mais quand il n’y a que ça qui ne marche pas, on ne peut pas vraiment se plaindre, n’est-ce pas?

Il n’empêche que dans un pays de soleil, la pluie excessive n’est jamais la bienvenue. La pluie, oui. Excessive, non. Et comprenons-nous bien : n’est pas excessive une pluie torrentielle, mais bien celle qui dure. Genre déluge. La bible, qui aime les nombres sacrés, nous parle d’une pluie qui dura 40 jours et 40 nuits. Eh bien je puis vous dire qu’après trois jours, pourtant entrecoupés de nombreuses accalmies, nous sommes dans Waterworld et il s’en faudrait de bien moins de quarante jours pour que Les Cayes soit rayée de la carte… Et d’après ce que j’ai entendu, c’est encore pire ailleurs, dans d'autres villes de la côte…

Petit malheur donc, mais qui rend tout le monde solidaire. Les plus chanceux sourient encore, non pas de joie, mais de cette conscience qu’il y a pire qu’eux. Les autres affichent cette dignité dans la souffrance et non, ne se plaignent pas. Simplement, ils attendent, ne sachant que faire d’autre. Et que faire d’autre, de toute façon? Au moment où j’écris ces lignes, la pluie est toujours forte, le niveau d’eau continue de monter et pour faire bonne mesure, la foudre s’en mêle. Mais pour une raison évidente, elle me dérange moins, celle-là. La nuit, c’est autre chose, mais comme ça, en plein jour, avec toute cette pluie qui tombe, disons que le tonnerre et les éclairs qui le suivent sont relégués au second plan.

Reste que demain devrait être meilleur. Encore de la pluie, mais espacée. Moins d'excès. Un répit. Puis le soleil va reprendre sa place, tout va sécher et tout va être oublié jusqu'à la prochaine fois...

Et les grenouilles dans tout ça? Ben tu parles si elles sont contentes, les grenouilles...

lundi 10 octobre 2011

L'Action de grâce


Le jour de l’Action de grâce. Je n’ai pas besoin de vous dire ce qu’il représente, n’est-ce pas? Ni ce qu’il signifie en termes de congé stratégique… Stratégique en ce sens qu’il représente le dernier congé avant les Fêtes, un dernier clin d’œil à l’été qui n’est déjà plus. Mais pas pour nous. Car ce congé n’existe pas en ce pays. Et d'ailleurs, pourquoi existerait-il, je vous le demande? J’ai tout de même tenté d’en expliquer la raison d’être à mes gars, ce matin, me disant que l’idée de rendre grâce à Dieu pour de bonnes récoltes allait sûrement leur plaire et leur montrer que, tout consommateurs matérialistes que nous soyons au Canada, nous savons quand même dire merci. Mais voyant leurs visages polis, j’ai vite compris que quelque chose clochait dans mon exposé… Rendre grâce, oui, ça va, ça se comprend bien; mais rendre grâce pourquoi? Ici, l’on récolte toute l’année durant! Pourquoi devrait-on le faire à un moment plutôt qu’à un autre? Ici, il suffit de planter pour récolter. Pas besoin d’en faire tout un plat! Quand j’ai compris que c’était là mon problème, j’ai tenté de me lancer, une fois de plus, sur la rigueur de nos hivers qui mettent la nature en dormance pour un bon ti-temps, quand même, empêchant toute possibilité de cultiver la terre et d’en tirer une quelconque pitance. D'où l'importance de remercier quand les récoltes sont finies! Mais ce fut en vain. Comme toujours, j’ai l’impression de passer à côté. Ça semble inimaginable. Comment un pays qu’on sait riche peut-il être paralysé à ce point pendant une si longue période? On parle de novembre à avril, là. Minimum! Comment font les gens pour manger? Pour se déplacer? Pour vivre? Et il me semble que plus je tente d’expliquer, plus je m’enfonce dans des explications qui ne tiennent pas la route. D’où les visages polis, vous l’avez deviné… En tout cas, voyant que rien n’y ferait, j’ai préféré parler de l’importance du congé, le dernier avant Noël et là, tout le monde a compris, non sans s’étonner que la Toussaint ne soit pas un congé férié en ce pays nordique qui est le nôtre… Car ici, si l’on passe outre à l’Action de Grâce, on n’y perd pas au change : le 17 octobre marque l’anniversaire de la mort de Dessalines, un héros de la révolution. Un congé important, donc, férié et chômé. Puis il y a la Toussaint et la Fête des Morts, les 1er et 2 novembre, si vous vous souvenez… Et pour finir, le 18 novembre, on célèbre l’anniversaire de la Bataille de Vertières, événement déterminant dans l’histoire de ce pays. Donc, vous le voyez, nous ne sommes pas en reste et nous aurions tort de nous plaindre de ne pouvoir profiter du congé de l’Action de grâce… Mais la dinde traditionnelle est une tout autre affaire.

Personnellement, j’aime bien les traditions culinaires. Et il faut voir ici le menu traditionnel de l’Action de grâce, version américaine pour se mettre immédiatement à saliver, un peu comme le chien de Pavlov quand son maître lui brûlait la patte… Car si la dinde y trône en reine, elle est drôlement bien accompagnée : soupe de potiron, œufs mimosa (que je connais davantage sous le nom d’«œufs farcis» et qui sont tout à fait délectables), pommes de terre en purée (non mais dites-moi : y’a-t-il rien de meilleur que des bonnes patates pilées?), sans compter les desserts que je vous passe. Bref, un festin, et pour les festins, eh bien là, nous sommes d’accord!

En tout cas, le congé, votre congé, mérite qu’on le célèbre. Qu’on en profite. Qu’on le passe au dehors tandis que cuit cette dinde aux effluves presque indécents… Puis qu’on partage, autour d’un verre de vin, la douceur de cette journée d’automne, l’une des dernières avant que l’hiver frappe à vos portes…

Lisez-vous de l’envie? Eh bien je ne le cache pas, je passerais bien cette fête en agréable compagnie dans l’air vivifiant de ce début d’automne… Mais hélas! À l’impossible, nul n’est tenu, n’est-ce pas? Alors je fais avec la pluie qui nous tombe dessus et qui assombrit la journée et l’humeur… Un peu comme Verlaine lorsqu’il disait : « il pleure dans mon cœur comme il pleut sur la ville »…

Mais pour nous, les jours ensoleillés seront vite de retour, tandis que pour vous, ben faudra prendre patience…

mardi 4 octobre 2011

Le retour


Près d’une semaine a passé déjà depuis notre retour. Ce qui fait que j’ai un peu l’impression de vous offrir du réchauffé, mais en vérité, nous sommes encore dans l’esprit du retour et du réajustement qu’il implique. Car il faut se réajuster, hein! D’abord à la température. Car si nous avons eu, au nord, des températures exceptionnellement douces pour la saison, elles n’ont toutefois rien à voir avec celles courantes ici en ce début d’octobre. Donc, oui, vous avez compris : il fait encore chaud. Mais pas chaud insupportable. Pas chaud irrespirable. On fait une différence, tout de même, et les nuits sont maintenant suffisamment fraîches pour qu’on puisse dormir sans ventilateur. Puis, se réajuster aux gens ensuite et aux «ti-pwoblem» qui sont leur lot quotidien. On fait ce qu’on peut. Au travail enfin, qui, s’il s’est accompli à peu près normalement pendant notre absence, s’est tout de même accumulé ici et là. Alors il faut bien s’y mettre…

Mais c’est facile. Les vacances ont ceci de bon qu’elles vous requinquent. Rechargent vos batteries. Rafraîchissent votre vision des choses. Surtout quand vous entrez à la maison et que tout est propre à n’en plus pouvoir, que de jolis bouquets de fleurs égaient les pièces, que tout est à sa place — mieux que lorsque nous y sommes — et qu’un repas chaud vous attend... Rentrer chez soi dans ces conditions, c’est du gâteau, admettons-le!

Mais l’effervescence du retour s’estompe vite et très tôt, le quotidien bien ordinaire reprend ses droits. Le travail d’abord, je l’ai dit, mais aussi ces activités quotidiennes qui composent notre vie et qui nous sont si familières : la bière de 17h, le café du matin, les séries télévisées, l’heure de la soupe… et tous ces visages qui font maintenant partie de notre univers haïtien et que nous aimons tant. Un retour qui n’a rien à voir avec celui de l’enfant prodigue, donc, mais qui nous fait retrouver un environnement connu et apprécié. Quelqu’un — que la discrétion m’empêche de nommer ici — nous a souhaité que «le retour là-bas soit comme le confort des bonnes chaussettes.» Eh bien c’est un peu ce que nous avons retrouvé (bien que les chaussettes, sous ce climat, ne soient pas toujours associées au confort…!) et nous l’avons vraiment apprécié.

Et ce qui est d’autant plus appréciable, c’est que notre absence est presque passée inaperçue. Presque. Bien sûr, nous avions, comme toujours, préparé le terrain, mais on voit une progression nette dans le degré d’autonomie et de responsabilité de notre personnel. Tout le monde connaît sa tâche et tout le monde l’accomplit de la même façon, que l’on soit présent ou non. Et personnellement, je vous dis que c’est là une source de satisfaction majeure, comme si nous avions bien fait notre travail. Je vois d’ici les félicitations qui pleuvent et vous en remercie d’avance mais ce n’est pas là l’idée. L’idée est que cette noble institution puisse continuer de fonctionner normalement même si la tête prend une pause. Et je le dis sans prétention : ce n’était pas le cas avant. Mais présentement, ô joie! Tout baigne.

Le pays, par ailleurs, va. Je ne vous parlerai pas ce matin des méandres dans laquelle la politique s’embourbe — vous savez que je n’aime pas la politique — mais malgré tout, le pays va et l’on se prend à espérer que les choses vont s’améliorer en 2012. À moins que la fin du monde s’en mêle, mais ça, on verra… Et parlant de fin du monde, encore une fois cette année, les cyclones nous ont laissés tranquilles (je sais, je sais, l’année cyclonique n’est pas finie, mais bon) et c’est une vraie bénédiction. Somme toute, le retour nous comble d’aise.

Quel dommage qu’il faille laisser derrière ce qui nous est cher!