dimanche 25 juillet 2010

Wyclef Jean, président?


Je n'avais pas vraiment l'intention de faire un texte sur ce sujet, mais ce que je viens de lire me force la main, si je puis dire. Non pas l'article de base qui sert de coup d'envoi, mais plutôt ces commentaires qui se veulent éclairés, mais qui s'embourbent et qui étalent, une fois de plus, la grande ignorance qui caractérise la situation actuelle dans le pays. Ce qui ne veut pas dire que j'en sais plus que d'autres! Mais au moins, je sais que je ne sais pas. Je sais que, parmi tous ces gens concernés par le sort d'Haïti, il peut fort bien s'en trouver à qui le temps donnera raison. Mais pas à cause de leur capacité d'analyse politique et économique exceptionnelle comme à cause de la chance. Les opinions les plus farfelues circulent présentement et dans le lot de ces opinions, il y en a certainement une ou deux qui s'avéreront, mais ce sera une illustration des probabilités du hasard, tout simplement. D'ailleurs le meilleur commentaire de cette série, je vous le donne en mille ici:
"Moi je suis un jeune homme de 15 ans vivant au Canada et je suis d’accord avec sa canditature parce qu’il a de l’argent ( je dis cela car chaque président d’haiti prennent l’argent du budjet ) et qu’à lui seul il a fait plus de chose qu’aristide et préval réunis comme des spectacles, il a nottament organiser le téleton a cnn We are the world et que grâce à lui il a encore de vos familles qui peuvent se mettent quelque chose à manger aujourd’hui."
Bon, je ne sais pas s'il s'agit vraiment d'un ado de 15 ans, mais il n'a pas tort quand il dit qu'un président qui serait déjà millionnaire permettrait sans doute de mieux utiliser les fonds publics, "l'écrémage" (si l'on me passe le terme : de l'anglais "skimming") étant une pratique courante chez les dirigeants politiques. Mais le point important, c'est que personne ne sait rien de ce type, mis à part qu'il soit une vedette du monde musical. Pourrait-il faire l'affaire? Rien ne l'empêche. Se pourrait-il qu'il soit manipulé par les SS américains? Pourquoi pas? Se pourrait-il que tout ça soit un coup monté pour déstabiliser le pays un peu plus? Rien n'est impossible, je le redis. Il y a des choses qui se passent présentement et ce n'est pas dans l'univers du visible et du transparent. Seuls quelques savants ont peut-être -- et je dis bien "peut-être" -- une petite idée de ce qui se trame par en-dessous. Mais le reste du monde -- votre humble scribe inclus -- n'en sait rien. Le reste du monde est voué à attendre. On attend que quelque chose se passe, mais va-t-il seulement se passer quelque chose? Haïti ne va-t-il pas tout simplement s'ajuster à sa nouvelle infirmité et poursuivre son petit bonhomme de chemin en boitant un peu plus, mais pas moribond pour autant? En tout cas, experts, expertes, prenez une petite pause, allez faire un peu de shopping dans votre centre commercial préféré et laissez le temps couler : Haïti peut faire sans vos bons conseils...

Des fois, je me demande...

jeudi 22 juillet 2010

Faire feu de tout bois


Je me distance un peu, je le reconnais, mais bon, que voulez-vous? Il y a d'autres chats qui méritent d'être fouettés ici et faut bien qu'on s'en occupe, pas vrai? Cependant, je ne vous laisse pas tomber pour autant, surtout que l'actualité nous remet Haïti en plein portrait pour n'importe quel motif.

Ainsi aujourd'hui, c'est cet article paru hier et signé Caroline Touzin qui m'a fait sourire. Bon vous allez me dire que le sujet n'a pas de quoi faire sourire, mais c'est qu'on annonce des choses que tout le monde sait. Et ne me dites pas que vous ne saviez pas. Je l'ai répété à satiété, et bien d'autres sources ont affirmé la même chose, en anglais comme en français : Haïti est un arrêt pipi presque incontournable dans le voyage qui mène la cocaïne sud-américaine (colombienne entre autres, ça aussi tout le monde le sait) vers le lucratif marché nord-américain. Regardez une carte et vous allez comprendre : au sud d'Haïti, il n'y a rien, que la mer jusqu'au prochain rivage qui se trouve à être le Venezuela et la Colombie, justement. Alors même avec une imagination prosaïque et limitée, il est facile de voir pourquoi le transit par Haïti est intéressant... Et par la République Dominicaine aussi, c'est bien évident, mais en Haïti tout est tellement plus facile. Et comme les Haïtiens ne sont pas consommateurs, eh bien tu parles s'ils s'en tapent que la drogue transite par leur pays...

Une chose que l'article dit, c'est que depuis le tremblement de terre, c'est pire. Je pense que c'est une affirmation gratuite et à mon sens, fausse. Car s'il est une chose que le séisme n'a pas changé, c'est bien ce trafic extrêmement lucratif et bien rodé; déjà, en 2003, on en parlait comme d'une mécanique bien huilée donnant d'excellentes performances. On parlait de Cap Haïtien comme de la capitale des gros bonnets du trafic. Puis, en 2004, alors que nous étions à Fond des Blancs, on parlait des arrivages fréquents à Côte-de-Fer et dans les environs. Nous avons même eu à traiter des blessures par balles, une fois entre autres où les gens étaient venus à notre petit hôpital en pleine nuit et avaient causé tout un émoi parce qu'ils étaient, semble-t-il, armés jusqu'aux dents. Rivalités locales imposent... Trafic courant donc, bien connu des usagers incluant la police, mais trop bien rodé pour qu'on puisse l'éliminer. Et puis, est-ce qu'on le veut?

Car au risque de me faire lancer quelques tomates avariées, je vous demanderai : pourquoi faudrait-il éliminer ce trafic? Pourquoi ne pas laisser cette source de revenus couler librement dans le pays? Oui, bon, je sais, c'est illégal. Mais le problème de la drogue n'est pas un problème haïtien, je le redis, et comme les clients américains ou canadiens continuent de s'approvisionner, il faut bien la drogue continue d'entrer au pays de différentes manières, non? Alors si ce n'est pas depuis Haïti, ce sera via un autre endroit et d'autres s'enrichiront de ce commerce marginal mais ô combien payant. Alors pourquoi pas Haïti? D'ailleurs, je me souviens avoir lu jadis que la force économique de la Colombie passait nécessairement par le trafic de la cocaïne. Ce qui est tout à fait logique. Même s'il s'agit d'argent noir qu'il faudra blanchir, c'est tout de même de l'argent, et en quantité non négligeable. Or, comme l'a si bien dit l'empereur Vespasien quand il a décidé de percevoir une taxe sur la collecte d'urine : «L'argent n'a pas d'odeur». Et si vous voulez mon avis, la coke ne sent sûrement pas plus mauvais que l'urine... Sans blague, soyons francs : le trafic de la drogue n'est pas vraiment un malheur pour ce pays, puisque ce n'est pas ici qu'on la consomme. Or, ceux qui sont impliqués dans cette activité -- et ici je parle des haut-gradés -- sont des gens intelligents (forcément), entrepreneurs et organisateurs et souvent, socialement engagés (politique entre autres). Si donc l'argent coule à flots, on peut s'attendre à ce qu'une partie retombe directement dans la communauté sous forme de dépenses publiques bien visibles (statut oblige) ou, indirectement, dans les secteurs de la santé et de l'éducation. Bref, un businessman est un businessman et peu importe si son business est inavouable, s'il est un bon businessman, il fera des profits, qui seront par la suite réinjectés dans la communauté d'une façon ou de l'autre. C'est du moins comme ça que je comprends l'économie. Tout ça pour dire que si quelques trafiquants locaux s'en mettent plein les poches parce que l'Amérique du Nord consomme de la cocaïne, eh bien je ne m'en offusquerai pas du tout.

Et vous?

jeudi 15 juillet 2010

Refaire le pays?


Lisant hier le blogue de Patrick Lagacé qui est revenu de son long séjour en terre haïtienne, j'ai vu ce commentaire d'un lecteur anonyme (SKIDOOMAN) qui m'a plu, et que je vous passe.
«Le problème en Haïti, par contre, c’est:
1- Comment on s’assure qu’il y ait des dirigeants le moindrement éclairés? Le gouvernement en place n’a pas l’air si mal, mais est-ce qu’il a le zèle des réformes qu’il faut?
2- Est-ce qu’une telle évolution peut se produire si un pays est DÉJÀ une démocratie? L’Inde est en train de fournir une réponse que l’on espère positive, parce que les tigres asiatiques, eux, sont tous passés par une phase de despotes éclairés – la démocratie est venue avec la richesse, et non l’inverse.
3- Sommes-nous prêts à ouvrir inconditionnellement nos marchés? En Asie, les Américains l’ont fait devant la “menace” communiste. Mais en Haïti, ce serait par pur humanisme – nous n’avons rien à y gagner. 
4- En Asie, il y avait déjà une culture qui valorisait l’éducation. Malheureusement, et je peux me tromper, cette culture-là, on ne la retrouve pas en Haïti. Alors, comment fait-on pour la développer?»
Je ne sais pas qui se cache derrière Skidooman, (et pour une raison évidente, j'ai peine à croire qu'il s'agit d'un Haïtien), mais il n'est pas si à côté de la coche que ça (notez que je dis «il» parce que ça me fait l'impression d'être un gars). Qu'on me permette d'y aller de mes commentaires :

1-«Le gouvernement en place n'a pas l'air si mal...» Ce n'est pas faux. Avant de dire que le gouvernement actuel ne vaut rien et que Préval est un pantin, faudrait quand même comparer des pommes avec des pommes et des oranges avec des oranges. La valeur de Préval (ou sa non-valeur) est relative à celle des présidents qui l'ont précédé, en l'occurrence Aristide et la série noire des Duvaliers, père et fils. Certains ne jurent encore que par eux, alors qu'ils ont instauré un régime de terreur qui les a bien servis (Duvalier fils, d'après ce que j'en ai lu, aurait fui avec plus de 75 millions de dollars, c'est quand même pas rien) mais qui a laissé le pays dans la grande noirceur (et aussi dans la grande noire sœur). Certes, Préval n'est pas Obama, mais personne ne lui a demandé de l'être et faudrait peut-être mettre les choses un peu en perspective. Le gouvernement actuel est pourri, c'est vrai, mais pas plus que ceux qui ont précédé, alors ce n'est pas complètement faux de dire qu'il a l'air pas si mal.  «...mais est-ce qu'il a le zèle des réformes qu'il faut?» NON. C'est bien clair. Tout bon politicien vous le dira : la seule chose qui importe dans ce pays, c'est l'image. Tout est question d'apparat. Les réformes, celles nécessaires à l'émancipation du pays, se feront à petites doses, tout doucement et sans faire peur aux gens et en ménageant l'image de celui ou de celle qui les propose. Sinon, c'est la catastrophe, la guerre civile ou quoi encore!

2- «Est-ce qu'un telle évolution peut se produire si un pays est DÉJÀ une démocratie?» Question très pertinente. Sans être un expert, faut bien dire que la question fait réfléchir. Habituellement la démocratie correspond à un aboutissement. Après des années de tyrannie plus ou moins déguisée, le peuple se tanne, se révolte et instaure la démocratie. Mais il y a démocratie et démocratie, n'est-ce pas? La démocratie, d'après ses racines grecques, c'est le gouvernement par le peuple. Rien à voir avec la tyrannie déguisée qu'on voit dans de nombreux pays, d'Afrique notamment. Or il est vrai que Haïti a hérité d'une démocratie à la va-vite. Difficile de conscientiser les gens quand ils ne savent ni lire, ni écrire... On peut leur raconter n'importe quelle salade et les grandes gueules, au reste fort convaincantes, ne manquent pas dans ce pays, laissez-moi vous le dire... Donc, la démocratie passe nécessairement par la conscience de ce qui est et de ce qui doit être et le gros bon sens. Or, c'est un fait observable que le peuple haïtien dans son ensemble n'est pas encore là. Donc, il n'est pas du tout évident que ce pays puisse émerger de sa fange, même s'il possède un régime démocratique.

3- «Sommes-nous prêts à ouvrir inconditionnellement nos marchés?» Question politique, s'il en est une. Et dont l'auteur connaît certainement une partie de la réponse, puisqu'il poursuit en disant que «en Haïti, ce serait par pur humanisme», et on sent que l'idée lui paraît plutôt farfelue et fort improbable. Je ne connais rien au marché international, mais le commerce extérieur présuppose un échange dans lequel toutes les parties y trouvent leur compte. C'est le win-win américain : tout le monde gagne, personne ne se plaint. Mais qu'a le Canada à gagner à faire commerce avec Haïti? Pas grand-chose. Stimuler le commerce, c'est sans doute bien joli sur le papier, mais dans la pratique, faut que les profits sonnent...

4- «Une culture qui valorise l'éducation...»  Alors là, mon cher Skidooman, tu l'as dans le baba! S'il est une chose que le pays promeut à qui mieux mieux, c'est bien l'éducation! Et s'il est une chose que le peuple paie le prix fort sans rechigner, c'est l'éducation! En fait, c'est même un paradoxe que j'ai déjà dénoncé : les coûts faramineux d'une éducation à la qualité discutable dans un pays où les gens sont pauvres, pauvres et pauvres, alors que dans le nôtre, l'éducation est gratuite et sa qualité, plus qu'acceptable, quoi qu'on en dise. Donc si l'on veut réformer quoi que ce soit en Haïti, ce doit être le système d'éducation, non pas pour en refondre les programmes, mais plutôt pour le rendre accessible à tous. Et ça les amis, c'est pas demain la veille...

Tout ça pour dire : refaire le pays? Ça paraît bien d'en parler, mais il y a si loin de la coupe aux lèvres...

mardi 13 juillet 2010

Faire place nette


Finalement et quoi que j'aie pu en dire auparavant, j'aime bien commenter ce que les journalistes disent au sujet de ceci ou de cela. Quelquefois, ils sont d'une superficialité aberrante, mais il arrive aussi que certains textes fassent mouche. Évidemment, tout dépend de la sensibilité et de l'intuition du ou de la journaliste. Je me suis moqué de Patrick Lagacé dans mon dernier texte, et je pense que c'était mérité. Cela dit, je n'ai rien de particulier contre ce journaliste, sinon qu'il prend souvent le chemin du sensationnalisme, un chemin facile et sans grand mérite; parfois en revanche, comme c'est incidemment le cas aujourd'hui, ses propos sonnent juste. Mais il y a mieux. Cet article, signé Daphnée Dion-Viens et rédigé sous forme d'entrevue, nous propose une excellente synthèse de la situation actuelle et de la mécanique qui la sous-tend. D'abord, que je vous cite l'extrait qui m'a plu :
«Il n'y a pas de place pour reconstruire. Haïti n'a ni l'argent ni l'équipement pour nettoyer les rues des milliers de tonnes de gravats qui s'y trouvent toujours. Le président haïtien a dit qu'avec 1000 camions qui travaillent huit heures par jour, ça prendrait quatre ans pour déblayer la capitale. Or, aujourd'hui, on constate que non seulement il n'y a pas assez de camions, mais la population est très dense, donc c'est difficile de faire ce travail. La Croix-Rouge a estimé que le volume de débris est 25 fois supérieur au 11 septembre 2001 alors qu'il n'y a pas de machinerie lourde à Port-au-Prince. Il faut lancer un appel aux amis d'Haïti pour aider au déblaiement parce que sinon, ça va prendre énormément de temps. Tous les pays veulent reconstruire Haïti, mais il faut déblayer d'abord.»
Dixit Nancy Roc, journaliste haïtienne qui vit à Montréal mais qui, visiblement, a tout compris comme si elle y était (je parle d'en ce pays, bien entendu). Mais avouez que ça ressemble fort à ce que je vous ai dit, et plus d'une fois, à part ça! Parlons peu, parlons bien : IL FAUT DÉBLAYER PORT-AU-PRINCE! Gens du Québec, imaginez un peu ce qui se passerait à Montréal si, après une grosse tempête de neige, on ne déblayait pas. Pensez à la paralysie qui s'ensuivrait. Pensez à ce qui arriverait. Et pourtant, dans ce cas, rien ne serait détruit! Alors qu'à Port-au-Prince, non seulement les débris encombrent les rues et les terrains vagues, mais les gens vivent toujours sous des tentes, que le premier gros coup de vent va faire virevolter joyeusement, tout le monde le sait! Et on ne parle pas des presque inévitables inondations, bien sûr... Donc, rien ne va s'améliorer dans un avenir proche. Et pourtant, pourtant, comme le souligne notre ami Patrick, plusieurs de ces «camps» sont en passe de devenir des installations permanentes... enfin, jusqu'au premier gros coup de vent! On estime qu'il faudra pas moins de 10 ans pour reconstruire la capitale... Dix ans, pour le peuple, c'est un futur loin. Tout peut arriver entre-temps, y compris deux ou trois ouragans et, tant qu'à être prophète de malheur, un autre séisme majeur, pourquoi pas? Non pas qu'on le souhaite, mais bon, considérant la nature même du pays (je parle de sa géologie et de sa situation géographique), la chose reste tout à fait possible. Cela dit, Patrick Lagacé semble l'avoir compris : les Haïtiens sont des survivants. Quand la fin du monde va nous tomber dessus -- style 2012 ou The Day After Tomorrow -- et que les humains vont se mettre à mourir comme des mouches, vous verrez que les survivants ne seront pas ces Américains armés jusqu'aux dents et qui se prennent pour Rambo, mais bien des gens simples, au moral d'acier et à l'humeur inaltérable, comme les Haïtiens. Ceux-là survivront. Se reproduiront (pour ça, je n'ai aucune crainte). Et repeupleront la planète.

Mais nous n'en sommes pas encore là. D'ailleurs, si vous lisez les propos de Mme Roc, vous allez comprendre qu'elle aussi s'alarme, et sans doute pas pour rien, puisqu'elle a l'air d'en connaître un brin sur la politique haïtienne; plus que moi en tout cas! Donc, je vous suggère de la croire : c'est vrai que depuis un mois, tout est calme, et c'est un fait avéré que le football (soccer si vous préférez) a mis sur la glace les frustrations sociales et économiques au profit du spectacle. Et puis, cadeau des dieux, le temps n'a pas été si mal jusqu'à maintenant et le pays, Port-au-Prince tout particulièrement, a été épargné, et donc, les gens peuvent continuer d'habiter leurs abris de fortune. Mais le Mondial est fini (Bravo Espagne!), la vie reprend son cours normal et les préoccupations d'avant reviennent avec encore plus de vigueur... Témoin cet article... Mais on n'y peut pas grand-chose, alors on attend, on écoute et on observe. Qui vivra verra, comme on dit...

Mais je vous en prie, lisez l'entrevue de Nancy Roc. C'est édifiant.

dimanche 11 juillet 2010

L'aide qui piétine


Je ne sais pas ce qui se passe ces temps-ci, mais Haïti est revenu à la page. Du côté américain d'abord (ici, ici et ici, entre autres), puis dans la presse canadienne, ici, ici et ici (ce dernier est plutôt drôle). Y'a même notre ami Patrick qui nous a livré ce reportage très fouillé (!) sous forme d'une vidéo. Quel journaliste, ce Patrick, tout de même! Quelle profondeur dans le propos! Une chance que je ne suis pas journaliste...

Oui, je me moque, vous avez bien compris. Car enfin, n'est-on pas à répéter ce que tout le monde sait déjà? Y'en a-t-il vraiment qui croient que depuis le tremblement de terre, tout est rentré dans l'ordre et que Port-au-Prince a été reconstruite dans l'ordre et la mesure? Je peux mal l'imaginer. En tout cas, certainement pas parmi vous, lectrices et lecteurs attentifs qui savez pertinemment qu'en Haïti, c'est toujours le chaos et le chaos seul qui domine.

On peut se demander comment le chaos (le contraire du cosmos en grec), peut s'installer comme ça à demeure. Je pourrais vous dire qu'il s'agit sans doute d'un bel exemple d'entropie, vous savez cette fascinante théorie du désordre. Quoi? Vous ne savez pas? Eh bien lisez, mes chers, lisez! Intéressante, cette notion d'entropie, parce qu'elle semble s'appliquer à la situation actuelle; en d'autres termes, tant que le désordre peut se poursuivre, il se poursuit. Et c'est précisément ce qui se passe en Haïti présentement. Certains -- et journalistes à part ça -- s'étonnent que l'argent promis ne soit toujours pas remis. Mais remis à qui? Disons que vous avez un million de beaux dollars dont vous n'avez pas besoin et, voyant ce qui se passe dans le pays, vous décidez d'en faire cadeau au peuple haïtien. Quelle belle intention! Quel beau geste! Mais à qui allez-vous faire votre chèque? Comment allez-vous faire pour être sûr que cet argent sera utilisé à bon escient et non pour enrichir celui qui l'est déjà? N'oubliez pas que l'argent appelle l'argent et que c'est habituellement ceux qui en ont qui en reçoivent le plus. Ne dit-on pas que c'est de faire le premier million qui est le plus dur? Donc, vous voilà avec une idée généreuse, mais qui semble irréalisable. Paradoxal, dites-vous? Bienvenue dans le monde haïtien! Tout ça pour vous dire que malgré l'indignation de Bill Clinton et de bien d'autres, il est bien compréhensible que l'argent n'arrive pas vite : il faut d'abord savoir où il ira!

Je vous ai dit, quant à moi, par où il fallait commencer : retirer les décombres! Comment peut-on penser à reconstruire quand on est encore pris avec des tonnes de gravats et de pierres? Port-au-Prince qui est déjà une ville coincée est maintenant devenue complètement engorgée, irrespirable et invivable. Et pourtant, pourtant, des millions de gens y vivent. Comment? Je vous laisse l'imaginer (ça vaudra certainement mieux que de visionner le reportage de Patrick Lagacé...). Mais on ne peut pas penser que cette situation va s'éterniser. La pression est là, n'en doutez pas, et même l'endurance incroyable de ce peuple ne pourra la résorber : faudra que ça lâche à quelque part. «Tant va la cruche à l'eau qu'à la fin elle se brise». Proverbe. Sagesse populaire. Profonde et historique. Prouvée mille fois. Difficile de ne pas y croire, hein?

Je vous laisse méditer là-dessus. Sur un autre sujet, je désire apporter une précision concernant mon dernier texte (les 3 M). Ma tendre moitié -- mais impitoyable critique -- m'a fait remarquer que je donnais l'impression d'un je-m'en-foutisme absolu, en autant que mon écuelle soit pleine. Ce n'est certes pas ce que je voulais dire. Je pense que j'ai mentionné assez souvent qu'on devait se sentir concerné par le sort des autres pour que le lecteur, la lectrice perspicace sache que cela correspond à une valeur solide chez nous. J'y reviendrai sans doute. Mais l'important est que, sans être missionnaires, nous n'en sommes pas moins touchés par le sort de ce peuple qu'on appelle haïtien. Et non, nous ne sommes pas crackpots non plus.

Et dire que pendant ce temps, les flamboyants (photo) flamboient, en se foutant pas mal du reste...

mardi 6 juillet 2010

Les trois M


Pas d'article de référence aujourd'hui, mais plutôt une petite réflexion que je partage avec vous, en rapport avec un petit message reçu de mon petit frère (ce qui fait bien des petits). C'est qu'il nous a traités de missionnaires... En blague, bien sûr, car il nous connaît trop pour être confus sur la question. Mais cependant, je dois dire que mes propos récents peuvent engendrer quelque confusion dans vos esprits quant à la raison d'être de notre séjour dans ce pays pas toujours facile.

Ce qui m'amène au sujet de ce texte : les trois M. J'ai déjà abordé le point, mais je ne me souviens plus en quelles circonstances -- pas dans le corps de ce blogue, cependant.

Lorsque nous sommes arrivés en Haïti pour la première fois -- c'était en octobre 1998, pour ceux et celles qui veulent tout savoir --, quelqu'un d'avisé dont j'oublie l'identité (Leita, je pense) nous a présenté cette classification qui, sans être tout à fait sérieuse, n'en est pas pour autant dénuée de vérité. Les trois M réfèrent aux trois types d'étrangers qui viennent dans ce pays, ou ailleurs incidemment. Que retrouve-t-on? MISSIONNARIES, MERCENARIES, MISFITS, qu'on peut traduire allégrement par «missionnaires, mercenaires et mésadaptés». En d'autres termes, la théorie veut que les expatriés entrent dans l'une ou l'autre de ces catégories, et je vous laisse deviner à laquelle nous estimons appartenir.

Les MISSIONNAIRES sont facilement identifiables : ce sont ceux et celles qu'une mission anime, le plus souvent de couleur religieuse, mais quelquefois à saveur humanitaire. Ces gens sont très courageux, très résistants face à l'adversité, car la mission les dope, booste leur adrénaline et leur dopamine et les rend capables de bien des tâches, souvent hautement décourageantes ou simplement dégueulasses. Ces personnes acceptent également des conditions de vie souvent minimales, parce que le confort de la vie matérielle n'est pas vraiment important ici : seule compte la mission, qui justifie la raison d'être dans le pays. Style Mère Teresa, quoi. Vous comprenez de qui l'on parle ici, n'est-ce pas? Cependant, si ces missionnaires sont souvent de véritables porteurs d'énergie, ils sont aussi les véhicules d'une propagande dont personne n'a besoin. Les chargés de mission sont souvent fanatiques. On les retrouve aussi bien d'un côté que de l'autre de l'immense barricade religieuse et ce qui n'est pas correct d'un côté ne peut le devenir de l'autre, n'est-ce pas? C'est incidemment ce qui s'est passé avec ces gens qui s'étaient octroyé le droit de sortir les enfants du pays «pour leur plus grand bien», il va sans dire...

Les MERCENAIRES sont d'un tout autre acabit. En Haïti, on les associe souvent -- et avec raison -- à la MINUSTAH, la force de l'ordre onusienne qui ne fait pas grand-chose mais dont les salaires sont la marque de fabrique. Ces gens viennent ici pour l'argent et pour l'argent seul. Le pays, les gens, leurs problèmes, ils s'en contrefichent, en autant que la bière coule à flots et aussi des filles, bien entendu. Ces gens viennent, font un temps habituellement pas long et s'en retournent d'où ils sont venus sans même savoir où ils sont venus. J'ai entendu parler d'un consultant payé $1,000 US par jour! À ce salaire-là, moi je suis partant! Qui ne le serait pas? Pour les pas forts en calcul, ça fait tout de même plus d'un quart de million par année et je ne sais pas pour vous, mais pour nous, c'est un salaire plutôt respectable!... Mais encore là, ce n'est pas nous...

Restent les MÉSADAPTÉS. Les mal-adaptés. Parmi la cohorte volumineuse de gens qui se retrouvent ici pour diverses raisons, les mésadaptés occupent une part importante et pas très bien définie. Car il y a des mésadaptés chez les missionnaires et chez les mercenaires. Essentiellement, une ou un mésadapté, c'est une personne qui, dans son pays d'origine, ne se trouve pas vraiment à sa place. D'où le nom anglais de "misfit" : quelqu'un qui ne «fitte» pas. Cette personne se retrouve donc aisément ailleurs, où elle tentera de se sentir plus à l'aise. Évidemment, dans cette classe un peu «poubelle», on trouve de tout : des jeunes en mal d'aventures, des vieux qui ont horreur de l'hiver, des femmes qui aiment et des hommes qui sèment, des Africains, des Asiatiques et des Européens, des gens d'église et des gens de glaise, sans oublier toute la panoplie de gens à problèmes qui s'imaginent (à tort, faut-il le dire) que le changement d'air va tout régler! Toute une faune, je vous dis! Et cependant, parmi cette faune bigarrée, il s'en trouve qui tirent leur épingle du jeu et qui, après un certain temps, s'ajustent. J'avoue que c'est un peu notre cas. Bon! Vous le savez maintenant! Notre motivation initiale n'était certes pas de répandre la Bonne Nouvelle ni de remplir notre bourse (à 500$ par mois, c'eût été difficile), mais simplement de découvrir Haïti, pas dans le sens de la découverte, mais plutôt dans celui de lui enlever son couvercle pour voir ce qu'il y avait dedans.

L'expérience fut concluante. Haïti nous convenait et nous convient toujours. Nous y puisons notre carburant et lui donnons notre énergie en retour. Nous savons ce que nous y faisons (enfin, presque...) et, sans être porteurs d'une «mission», nous poursuivons la tâche avec l'idée d'aller de l'avant. Enfin, nous profitons au maximum de ce que le pays offre, notamment sous forme de plages superbes, d'une mer limpide et chaude, de gens sympathiques et chaleureux et d'un climat tropical qui, d'octobre à mai, est tout à fait séduisant.

Tout ça pour vous dire qu'il y a toutes sortes de gens en Haïti, comme partout ailleurs, incidemment, et que, comme le disait si bien mon ami Gilles, «Ça prend toute sorte de monde pour faire un monde.»

Et une petite banane, avec ça?

vendredi 2 juillet 2010

Failles


Oui, bon, je sais ce que vous allez me dire, que les prisons, c'est rarement la joie et que ceux, celles qui s'y trouvent n'avaient qu'à pas faire ce qu'ils ou elles ont fait pour s'y retrouver. Et vlan. Mais si vous lisez cet article et lui ajoutez foi, vous allez comprendre qu'on peut tout à fait se retrouver en prison pour n'importe quelle raison pas nécessairement en rapport avec les mauvais coups ou les pratiques illégales. Et ça, les amis, c'est un peu dérangeant. Évidemment, en Haïti, les choses étant ce qu'elles sont, on se dit que les prisons ne font certainement pas partie des priorités gouvernementales ou humanitaires, alors pourquoi s'en soucier? Eh bien justement parce que les prisons et surtout, les gens qui s'y retrouvent emprisonnés, ne sont pas une priorité et mériteraient sans doute un peu de compassion et un peu plus de compréhension. Je ne dis pas qu'il n'y a pas de malfaiteurs dans le pays, et je ne dis pas que ces malfaiteurs ne sont pas à leur place en prison. Mais je pense qu'il n'y a pas QUE des malfaiteurs dans ces prisons sordides, comme en témoigne l'article incidemment. Vous vous demandez si tout ça est vrai? Je ne peux l'affirmer avec certitude, mais pour moi, la probabilité que cette réalité soit fondée est très forte. Mais qu'y pouvons-nous y faire? Rien, bien malheureusement; et ne croyez pas que le fait de le dire rende la chose plus facile à accepter.

Faisant suite à cet article, voilà que je tombe sur cet autre article dont le sujet a, manifestement, outré Agnès Gruda. Scandalisée, la journaliste. Quelle infamie! Ces citoyennes canadiennes, ces jeunes filles sans défense ont été emprisonnées comme de vulgaires bandits de grands chemins. Quelle ignominie! Quelle honte! Et tout ça, tenez-vous bien, pendant 60 heures! Je sais que vous allez croire que je deviens cynique, mais non, ce n'est pas cela. Je suis choqué moi aussi qu'on ait pris des mesures aussi radicales pour des gens qui, somme toute, ne voulaient qu'exprimer leur désaccord, ce qui me semble tout à fait acceptable dans une société qu'on dit démocratique. Ces jeunes filles n'avaient rien fait de mal, et pourtant, elles ont écopé. C'est vraiment choquant. Mais comparez avec l'article de Clarens Renois et dites-moi ce que vous en pensez. Cent fois pire? Mille fois pire? Sans doute. Soixante heures, c'est deux jours et demi; ce que ces femmes vivent dans l'enfer de la prison haïtienne se mesure en années. En ANNÉES! Et la salubrité, me dites-vous? Ben je vous laisse l'imaginer, la salubrité...

Certes les deux pays se distinguent par leur degré de développement, j'en conviens aisément. Mais une personne humaine reste toujours une personne humaine, non? On ne peut pas parquer des humains dans une cage et les laisser croupir dans leur merde et dans celle de leurs compagnons/compagnes sous prétexte qu'ils ont commis un méfait quelconque! Il me semble qu'il y a une limite à l'inhumanité; pas besoin d'être un chaud militant des droits de la personne pour ça. L'idée ici n'est pas de vous faire monter aux barricades pour que soient respectés les droits humains, mais simplement de partager avec vous une réalité qui fait mal. Désolé pour ça. Et disant cela, je comprends que nous n'y pouvons pas grand-chose. Mais il me semble qu'il vaut mieux avoir les yeux ouverts et voir la laideur du monde quand on y est confronté plutôt que de s'obstiner à garder des lunettes teintées (rose, bien entendu). Le monde n'est pas que laid (cf la photo ci-dessus, gracieuseté de Sébastien), mais il n'est paquebot (souriez au moins!)...

Et puis, mine de rien, Juillet s'amorce et le temps poursuit son cours implacable...