mercredi 27 août 2008

L'après GUSTAV


C’en est presque ridicule. Ça le serait si l’enjeu n’était pas catastrophique. Car qui pourrait dire qu’il ou elle est triste que l’ouragan prévu, planifié, «prévisionné» soit passé sans tambour ni trompette, ou presque? Et pourtant, je l’avoue, ma frustration est là.

Non pas d’avoir échappé aux affres de cette catastrophe naturelle—pour ça, on est toujours reconnaissants—comme d’avoir été berné. Par qui, par quoi, l’histoire ne le dit pas. Et ne le dira pas. Mais après avoir compulsé toute la journée durant rapports sur rapports et analyses sur analyses, j’étais persuadé à 95% que nous allions écoper, dans le vrai sens du terme, car on nous annonçait des trombes d’eau—jusqu’à 20 cm dans les montagnes. Centimètres! Je ne fais pas d’erreur : en termes clairs, c’est 8 pouces de flotte, ça mes amis. Or, on n’a rien eu! Rien! Tout au plus une petite averse qui aura seulement servi à calmer les ardeurs des manifestants (car c’était reparti lundi et ils ont remis ça encore hier, mais bon, il me semblait que le cyclone était plus important, n’est-ce pas? Alors je ne vous en ai pas parlé. Ce sera pour une autre fois…). Quant au vent et comme disent les Chinois : «Que dalle!» Pas même un petit souffle qui eût pourtant contribué à abaisser la température corporelle de ma ménopausée! Rien que le calme plat. Et GUSTAV dans tout ça? Un fantôme.

Ça me rappelle quand j’étais petit garçon (car aujourd’hui, à défaut d’être un grand homme ou même un homme grand, je puis au moins dire que je suis devenu un grand garçon), j’écoutais religieusement «Bobino» à la télé. Avec Guy Sanche. Vous vous souvenez? Or il y avait un fantôme qui s’appelait Gustave. Vous me suivez? Je ne vais pas trop vite? Alors j’associe ce Gustave de mon enfance au GUSTAV dont la NOAA, entre autres, nous a fait tout un plat qui n’était rien d’autre qu’un soufflé!

Non mais, comprenez ma frustration : toute la journée, je me suis efforcé de penser à ce qui devait être renforcé, placardé, rangé, mis à l’abri du déluge annoncé et du vent «destroyer». Car un déplacement d’air de 150 km, pensez-y un peu quand vous roulez à cette vitesse dans votre voiture, c’est quand même assez puissant! Mais nenni : pas même un petit souffle! Frustré vous dis-je, et pas sans raison.

Mais qui est à blâmer, qui est à plaindre? Nous n’avons pas souffert, l’hôpital n’a pas souffert, les patients n’ont pas souffert, personne n’a été pris les culottes baissées, en tout cas pas par ici (pas mal tout de même du côté de Jacmel et de Miragôane). Alors de quoi nous plaindrions-nous, je vous le demande? Sauf que, admettons-le ensemble, les Haïtiens avaient raison avec leur Bondye konnen, car les prévisionnistes, une fois de plus, se le sont fourré dans l’œil (je parle du doigt, bien sûr) : l’ouragan a passé, certes, mais n’a pas fait tout le ramdam qu’on croyait. Il a passé tout en douceur, pour repartir de plus belle vers Cuba, puis vers les USA où il va mourir de sa belle mort, non sans en avoir fait baver plus d’un, plus d’une. Morale de l’histoire, peu importe les savantes prévisions de la NOAA, peu importe les images satellites haute définition, peu importe les mises en garde de l’ambassade du Canada, l’issue reste toujours incertaine, aléatoire : Bondye konnen, comme ils disent si bien. Et maintenant, c’est moi qui, avec ma belle intelligence cartésienne, ai l’air un peu niaiseux face à toutes ces bonnes gens qui n’y connaissent rien, mais qui croient que c’est encore le Bon Dieu qui a le gros bout du bâton.

Leçon d’humilité, dites-vous? C’est la seconde, je vous le rappelle, car DEAN m’a fait le même coup l’année dernière à peu près à la même date… À moins que ce soit ça, le problème : la date…
En tout cas, la prochaine fois, faudra au moins un force-4 pour me décider à fermer la porte de bois…

mardi 26 août 2008

GUSTAV


Comme chaque jour, ce matin, le soleil brille de tous ses feux et le ciel est bleu, avec quelques nuages épars. Rien ne laisse présager que les éléments vont se déchaîner bientôt et nous rendre la vie misérable. Et pourtant, si l’on se fie aux prédictions tout à fait sérieuses de la très sérieuse National Oceanographic and Atmospheric Administration (NOAA), l’ouragan GUSTAV frappera nos côtes au cours des prochaines heures. On me dira que ce n’est qu’un petit cyclone—force 1 sur l’échelle Saffir-Simpson qui en compte 5—mais avec des vents soutenus de 150 km et des pointes à 200 km, sans oublier les pluies torrentielles qui l’accompagnent, un petit cyclone reste tout de même potentiellement dommageable, on l’admettra. Surtout dans ce pays…

Mais, reconnaissons-le lucidement, on n’y peut pas grand-chose: comme le répètent les Haïtiens, Bondye konnen. On s’en remet donc à la grâce de Dieu, puisque c’est tout ce qu’on peut faire, à part fermer les fenêtres et ranger ce qui peut partir au vent. Faut dire aussi que pour les gens ordinaires, un avertissement, fût-il sérieux et fondé, ne reste qu’un avertissement. L’année dernière, presque à la même époque, nous avions eu une belle peur avec l’ouragan DEAN, dont la course s’était ultimement incurvée vers le sud, épargnant notre côte et tout le pays. Tout au plus avions-nous senti le vent, mais à part quelques bouts de tôle arrachés, les dommages furent minimes et tout le monde a dit : «Bondye bon». Et tout le monde a cru que les médias avaient été inutilement alarmistes, bien entendu. Alors cette fois, on se dit : «bof!...» De toute façon, je le redis, qu’est-ce que ces gens peuvent faire? On ne peut pas fuir, on ne peut pas se barricader, on ne peut pas placarder ses fenêtres avec de belles feuilles de contreplaqué comme ils font aux USA, alors je vous demande, que faire, à part prier? Et prier quand le ciel est bleu, que le soleil brille et qu’il n’y a pas un souffle de vent, ça semble un peu déplacé ou, en tout cas, prématuré, avouons-le… Alors on attend.

Quant à moi, étant d’un naturel plutôt réaliste, je me dis que si la tempête frappe comme prévu, nous allons y goûter sérieusement, cette fois. Je pense que nous aurons des dommages substantiels et que le pays va se retrouver sens dessus dessous. Peut-être allons-nous perdre notre connexion Internet? L’antenne parabolique, sur le toit de l’édifice, me paraît une cible facile, vous ne croyez pas? En tout cas, n’ap swiv, comme on dit…

Je ne vous en dis pas plus long : puisque nous n’en sommes qu’aux suppositions et aux hypothèses, il faut attendre. Et je vous le répète, à cette heure (9h15), le ciel est toujours bleu, strié ici et là de petits stratus qui ne présentent rien de bien inquiétant.

Et si tout cela n’était qu'un canular?

Dernière heure (16h15)! Eh bien il semble que non, ce n'est pas un canular. On y est presque! La photo est toute récente (mais c'est pas moi qui l'ai prise!)...

jeudi 21 août 2008

La rue qui vit


Ici, tout vit. Je vous l’ai sûrement déjà dit. Peut-être pas en ces mots, mais je pense néanmoins que l’idée a dû passer. Tout vit ou plutôt, plus justement, tout fourmille de vie. Ça va des fourmis (spécialement les foumi-fou, une espèce particulièrement active) aux humains, en passant par les plantes, les chiens et les chats, les chèvres et les poules (et les coqs, bien entendu). Et bien que cette vie puisse s’observer de n’importe quel côté, c’est souvent dans la rue qu’on en goûte une belle tranche. Ici, les rues ne servent pas qu’aux déplacements d’un point de la ville à un autre : les rues grouillent. Les voitures, les brouettes, les motos, les charrettes, les vélos, avec dessus, dedans, derrière ou devant, des gens. Des jeunes, des vieux, des pas beaux, des pas gros, des squelettiques, des énormes, des top-modèles (la plupart des Haïtiennes le sont, mais l’ignorent, ce qui ajoute encore à leur style), des intellectuels et, bien sûr, des mendiants de tout acabit. Tout ce beau monde joue du coude, parle à tout le monde, évite de justesse une moto ou une bécane lancée à vive allure, téléphone, achète un «manger-cuit», hèle une moto-taxi qui fait demi-tour sans regarder ni s’inquiéter du reste, sourit, rit à belles dents éclatantes, pognasse des mains sans discontinuer et n’en finit plus de jaser.

La rue tonitrue : les moteurs des voitures, des camions de tout gabarit, des bus surchargés s’entremêlent en un joyeux concert, ponctué de coups de klaxon aussi variés que les couleurs criardes des véhicules. Car ici, je vous l’ai dit, on ne klaxonne pas seulement dans les cas extrêmes, mais pour mille et une raisons, les plus courantes étant les salutations : un coup sec, doublé ou triplé, qui signifie simplement «Hé salut!». Puis il y a aussi les marques de politesse, par exemple, pour dire à quelqu’un qu’il peut passer quand on est arrêté au beau milieu de la chaussée en grande conversation avec un passant. Aussi la politesse quand on veut doubler commande de donner un petit coup de klaxon, auquel le chauffeur de la voiture doublée répondra en doublé. Puis, lorsqu’on passe à sa hauteur, un autre petit coup pour dire «je suis juste à côté, là», auquel l’autre chauffeur répond «bip! bip!», c’est-à-dire «je sais, je te vois», puis un dernier coup, une fois passé, celui-là long et amical et qui signifie «Merci bien!» dont la voiture doublée accuse réception par un tonitruant «Pas de quoi!». Enfin, il y a le coup de klaxon avertisseur, dont le sens est clair pour à peu près tout le monde. À peu près. Du bruit, dites-vous?

Et la musique? Vous l’oubliez, la musique? Elle est pourtant là, à tue-tête, sortant d’énormes baffles installées sur le bord de la rue, pour attirer l’attention des passants qui risquent la surdité s’ils s’arrêtent, mais bon, tout le monde s’en fout…

Enfin, la rue pue. Pas autant qu’à Naples ces temps-ci (d’après ce qu’on en dit), mais assez pour que la chose se remarque. Les égouts et les tas d’immondices s’y côtoient naturellement, surtout aux abords du marché, et malgré les efforts municipaux faits pour ramasser les détritus, leur accumulation reste inévitable : c’est la loi du nombre. Non pas que Les Cayes soit une grande ville, et sous ce chapitre, il faut avouer que nous ne sommes pas à plaindre si l’on se compare à Port-au-Prince. Mais tout de même, là où il y a de la vie, il y a forcément de la pourriture, n’est-ce pas? Mais cette vie vibre, irradie, secoue, colorie l’espace et s’y enracine. Sans cette vie, Haïti ne serait pas Haïti. Évidemment, la vie croît… jusqu’où? Bondye konnen, comme on dit dans le coin…

lundi 18 août 2008

VACANCES!


Le thème mérite-t-il un texte? A priori non, car elles ne se passeront pas sous cette latitude et donc n’auront que peu d’incidence sur cette vie au sud que nous menons. Et pourtant, l’on peut présumer que ces vacances, les premières depuis un an, seront probablement les bienvenues. Et l’on présumera juste.

À quoi servent les vacances, sinon à faire une pause structurelle, un arrêt pipi sur la longue route de la vie? Faire un «ti-posé» comme disent nos Haïtiens du coin, pour qui les vacances ne signifient souvent pas grand-chose. Certes, elles peuvent être tout aussi significatives que pour nous pour certaines gens de ce pays, mais pour ceux (surtout pour ceux) pour qui le travail n’est rien d’autre que la vie qui se déroule, la notion même de vacances perd tout son sens : on ne prend pas de «vacances» de la vie…

Les vacances sont donc directement associées au travail. À preuve, parlez-en aux retraités : les vacances n’existent plus chez cette classe sociale et bien qu’on pourrait en conclure que les gens qui ont atteint la retraite ont ainsi atteint l’état des vacances chroniques, rien n’est plus faux. La retraite est un autre style de vie, tout simplement. Quant aux vacances, elles sont définitivement pour les travailleurs. Cependant, pour nous qui travaillons sous les tropiques, là où les palmiers ondulent paresseusement sous la brise maritime, ne sont-ce pas les vacances perpétuelles? Eh bien non! Que non! Le travail ici n’est guère différent du travail fait ailleurs et hormis le contexte historico-socio-politico-économico-climato-géographique, c’est la même chose. Chaque jour apporte sa dose de petits problèmes et de petites frustrations, on sue, on s’échine, on tempête, on stresse, tout ça pour que les choses marchent rondement. C’est toute l’histoire de la mouche et du coche, pour ceux et celles qui connaissent La Fontaine. Alors forcément, on en vient la langue longue, ce qu’il ne faut pas confondre avec une grande langue, bien entendu.

Un an a passé depuis ces dernières vacances. Un an, c’est vite passé, tout le monde le sait, mais la vitesse à laquelle le temps passe n’escamote pas la fatigue pour autant. Alors que les sceptiques s’excusent : nous sommes bel et bien fatigués et aspirons à un changement de rythme qui, si court soit-il, sera néanmoins apprécié. Car il ne s’agit pas de repos proprement dit. La fatigue ne se compense pas toujours par le repos, mais bien par un changement d’activités. Ainsi, moi qui passe le plus clair de mon temps assis derrière mon bureau, je me promets bien de passer plus de temps assis derrière le volant d’une voiture! Ça c’est changer d’activité!

Mais je blague. Comment je puis encore le faire alors qu’on est au bout du rouleau m’épate moi-même. Pas vous? C’est que vous n’avez rien compris. En tout cas et pour dire sérieusement, les quelques semaines qui restent avant le jour de notre départ seront chargées, on le sait, et nul doute que nous serons crevés lorsque nous nous envolerons vers d’autres cieux. Mais on devrait survivre, et alors, le «ti-posé» sera suffisant pour nous requinquer, pour recharger nos batteries et nous permettre de fonctionner pendant un autre bout de temps.

En attendant on se dit que le steak va être rôdeusement bon…

mercredi 13 août 2008

L'ophtalmologie


Parler d’ophtalmologie, c’est raconter l’histoire de l’Institut Brenda Strafford. Je le ferai peut-être un jour, mais pas aujourd’hui. D’abord, c’est une histoire riche dont certains détails m’échappent encore. Ensuite, comme toutes les histoires, les détails peuvent lasser. Il faut être bon conteur pour raconter une histoire détaillée sans endormir son auditoire. Je ne suis pas certain d’être de cette trempe… Cependant, l’ophtalmologie tient une telle place dans le développement de notre cher hôpital qu’il me serait difficile de l’escamoter. Car si l’Institut Brenda Strafford pourrait avoir vu le jour sans l’oto-rhino-laryngologie, il n’existerait pas sans l’ophtalmologie.

Tout a commencé quand Sœur Évelyne, alors infirmière à Côtes-de-Fer, s’est vue confrontée à des problèmes oculaires qui dépassaient sa compétence, ce qui lui donna l’idée de créer ce qui allait devenir l’Institut d’Ophtalmologie Brenda Strafford. C’était en 1982. Aujourd’hui, un quart de siècle plus tard, l’Institut s’est agrandi et a élargi sa mission première, mais reste toujours une figure de proue dans le traitement des maladies de l’œil, spécialement les cataractes, cause première de la cécité évitable dans les pays en développement. « Les problèmes de vision ne sont pas les mêmes selon que l'on vive dans un pays très développé ou plus pauvre. Dans les pays plus pauvres, les cataractes représentent 50% des problèmes de cécité », écrit Louise Leduc dans cyberpresse.

Les hautes instances du pays sont bien au fait de cette situation et la lutte pour la cécité est aussi acharnée en Haïti que celle pour le cancer au Canada. En ce sens et vu la nature de notre hôpital, même en étant bien modeste, il faut avouer que l’on fait une part honorable, destinée à s’accroître au fil des ans.

Présentement, nous avons trois ophtalmologues qui pratiquent un nombre croissant d’interventions visant à rectifier l’opacification du cristallin : la cataracte. L’opération est simple, pas trop coûteuse et drôlement efficace : des personnes quasi-aveugles retrouvent ainsi une vision claire et détaillée. Certes, nos ophtalmologues ne font pas qu’opérer des cataractes — il y a des tas d’autres problèmes qui se règlent ici : ptérygion, chalazion, réparation de plaie de cornée, sans oublier le fameux glaucome, pour ne nommer que ceux-là — mais il faut reconnaître que cette opération, relativement simple (mais que je ne saurais faire pour autant), sauve la vue de bien des gens, surtout, bien entendu, les personnes âgées.

La vue n’est certes pas une question de vie ou de mort, mais elle est certainement une question de qualité de vie, car il est difficile d’imaginer une vie qu’on ne peut voir. Les sens, nos capteurs d’information, sont tous importants, mais la vue nous en met toujours plein la vue!

Pas convaincus? Que les sceptiques viennent s’en rendre compte de visu!