samedi 21 juin 2008

Se faire soigner en Haïti


Je pose la question en tant que blanc, étranger, sorti tout droit d’un pays industrialisé, développé, dont la qualité du système de santé n’est plus à démontrer. Nous gérons un hôpital, soit; la qualité des soins que nous prodiguons est indéniable, soit; mais se compare-t-elle à celle que l’on peut avoir au Canada en général, au Québec en particulier?

Ce n’est pourtant pas pour tester la chose que ma digne compagne a pris la décision d’aller se faire charcuter à Port-au-Prince. Le système de santé de notre pays d’origine est excellent, point de doute sur la chose, mais il a aussi ses failles, dont les interminables délais avant d’obtenir le service requis. Surtout si le service en question n’est pas considéré urgent… Or, comme nous ne passons au Québec que de brefs instants que l’on veut de vacances, il faut bien admettre que l’entreprise visant à subir une chirurgie non urgente devient pour le moins hypothétique. Dès lors, la question se pose : peut-on obtenir une qualité de soins adéquate dans ce pays difficile qu’est Haïti, où les moyens sont limités?

L’opération chirurgicale, puisqu’il s’agit bien de cela, est routinière, même si elle est n’est pas mineure : hystérectomie totale. Le fibrome qui rend l’opération plus que souhaitable, mesure plus de 15 cm de diamètre à la sonographie et mérite donc qu’on s’y attarde. Sans doute moins impressionnant que la photo ci-dessus, mais quand même… (En passant, la photo représente vraiment un fibrome retiré du ventre d'une jeune haïtienne enceinte alors que nous étions à Fond des Blancs...)

Sur les conseils de notre médecin anesthésiste, l’opération se déroulera à l’hôpital Canapé-Vert, bien connu et bien réputé. Chambre privée climatisée et immaculée, soins attentifs, personnel compétent et dévoué, rien ne manque à l’appel. Serait-on ailleurs qu’en Haïti? Non. Car pour peu que les moyens le permettent, Haïti peut offrir la qualité, comme n’importe où ailleurs, je pense.

L’opération se passera bien. Plus longue que prévu, car le fibrome est plus massif et plus teigneux qu’on le croyait, mais la patience et l’habileté du chirurgien en viendront finalement à bout. Reste maintenant à vivre l’après. La convalescence... Or, comme cette opération conduit à une forme de ménopause rapide et radicale, «l’après» risque de nous donner quelques sueurs, tantôt chaudes, tantôt froides, comme toute ménopause qui se respecte. Mais cela, je pense que l’on apprendra à vivre avec. Surtout que les sueurs froides, dans ce pays, seront certainement les bienvenues…

L’essentiel est que le problème (en était-ce seulement un?) soit réglé. Certes la souffrance physique et financière qui l’accompagne ne rend certainement pas le remède attrayant, mais vu l’ampleur du mal, il faut un remède de cheval…

Somme toute, une expérience concluante. Haïti s’est révélée à la hauteur. La convalescence va se faire au rythme de toute convalescence et la vie au sud va reprendre son cours habituel… Fin du chapitre. Mais le livre de la vie au sud en comporte encore plusieurs non écrits, alors restez à l’écoute ou plutôt, en contact cyberspatial!

mardi 10 juin 2008

Le Vaudou



Qu’on se rassure : je ne vais pas faire ici un docte exposé sur la chose; d’abord, j’en serais incapable, ensuite, les doctes exposés, tout informatifs qu’ils puissent être, n’en sont pas moins rasants, il faut le dire; or mon intention n’est certainement de vous ennuyer, mais bien au contraire, de vous distraire un peu et de vous dépeindre, de façon impressionniste, le tableau complexe et ramagé de la vie haïtienne. Or, le vaudou, en tant que culture religieuse, en fait intégralement partie.

Là où le vaudou haïtien se distingue de sa souche africaine, c’est dans son intégration des rituels chrétiens, incluant toute la panoplie des saints et saintes. Les cérémonies n’en deviennent que plus compliqués et difficilement—pour ne pas dire impossiblement—compréhensibles aux Blancs que nous sommes. Mais assez curieusement, elles nous restent accessibles, même si on n’y comprend rien. Une pièce—dans laquelle il faut entrer en marchant à reculons (!) chargée à tout rompre de bimbeloterie kitch où domine l’odeur d’eau de Cologne. Le rituel, pour tous les nouveaux arrivants, est de s’asperger de cette eau, ce qui rend vite l’air irrespirable pour les muqueuses délicates. Dans la pièce, une espèce d’estrade, séparée du reste de la chambre par une balustrade : c’est là que se tient le bokor (le prêtre officiant) et ses invités de marque, dont les Blancs que nous sommes. On bat le tambour, on fume des cigarettes (rien de magique ni d’illicite ici) et on boit du rhum. De temps à autre, une femme se lève, danse en tournoyant au centre de la pièce et retourne s’asseoir. Après une heure de ce manège, on se demande comment on pourra tirer sa révérence sans avoir l’air grossier; après une seconde heure, on s’en fout : de toute façon, on est étranger, de toute façon on n’y comprend rien, de toute façon, ce n’est pas pour nous.

« Mais alors, et les sortilèges? Et les poupées faméliques? », me demanderez-vous. De la frime! En tout cas, rien de ce qu’on a pu voir qui y ressemble de près ou de loin! Les Haïtiens baignent littéralement dans le vaudou, c’est une extension de la pratique religieuse et on s’en sert à toutes les fins, depuis une grossesse désirée jusqu’à une jambe cassée, en passant par l’espoir d’une bonne récolte, d’un bon mari ou d’un travail payant. La visite chez le bokor ressemble en tous points à la visite chez la cartomancienne : on cherche l’assurance que le futur ne sera pas trop dur. Je l’ai dit : les Haïtiens sont, par nature et par éducation, très croyants et là où la religion chrétienne ne suffit pas, le vaudou s’immisce et comble les attentes des plus difficiles. Avec un taux de succès variable, il faut bien le dire, et qui dépend beaucoup du don du bokor. Car ne devient pas bokor qui le veut : c’est un don inné, qui peut certes se développer par la pratique mais qui ne s’acquiert pas par la pratique. Quant aux zombies, bien sûr qu’ils existent! Tous les Haïtiens vous le diront et si vous n’y croyez pas, malheur à vous! Encore récemment, un homme a été lapidé à mort sur la base qu’il n’était qu’un zombie déguisé, et comme ce n’est évidemment pas un crime que de tuer quelqu’un qui est déjà mort, eh bien personne n’est coupable!...

Et alors, êtes-vous mieux situés à présent???...

samedi 7 juin 2008

Les chiens aboient, la caravane passe




De tous les bruits qui ponctuent la nuit, les aboiements cacophoniques sont sûrement les plus pénibles. Car les chiens, souvent calmes, expriment leur peur, leur mécontentement, leur désapprobation, leur insomnie ou que sais-je encore, de façon bien audible, surtout lorsque les sons sont amplifiés entre des murs de béton, comme c’est le cas dans la rue derrière notre noble établissement.

Les chiens ne sont pas comme les coqs : ce n’est pas le dérèglement de leur horloge interne qui les fait aboyer à qui mieux mieux; cependant, l’effet d’entraînement reste le même : il suffit que l’un commence pour que les autres, sous l’effet de la contagion sonore, lui emboîtent joyeusement le pas de façon asynchrone créant ainsi une œuvre acoustique grandiose en amplitude, mais dont la valeur harmonique laisse grandement à désirer. En d’autres termes, le concert est proprement infernal. Et dure. Car lorsque l’un, à bout de souffle, faiblit, l’autre reprend le flambeau sonore, et c’est reparti! En outre, je soupçonne que les chiens reconnaissent les aboiements de leurs consanguins; et comme tout le monde, dans l’univers des chiens, est fatalement parent avec le voisin, aussi bien dire que tout le monde se reconnaît mutuellement et aboie qui de plaisir, qui de rage à cette reconnaissance. Et tout ça pendant la nuit…

Au début—je parle du début de l’intégration au sud—ces aboiements réveillent, tiennent éveillés, font rager tant que même lorsqu’ils finissent par cesser, le sommeil revient difficilement vu le haut niveau de stress engendré. Mais peu à peu, on s’habitue. Les aboiements marquent la nuit comme le sifflet d’un train ou le klaxon d’un bus : ils font partie de ces bruits qu’on en vient à considérer comme «normaux»—bien que la norme n’ait pas grand-chose à voir là-dedans—et dont l’absence inquiète vaguement. Ainsi, pendant la récente période houleuse que nous avons vécue en avril dernier, les chiens s’étaient tus. Ils savaient sans doute qu’il était préférable de ne pas attirer inutilement l’attention d’un maniaque de la gâchette pour qui un chien ne représente guère plus qu’un caillou, et cela, le chien le sait.

Aboiements désagréables, donc, mais rassurants en un sens : les affaires intercanines peuvent parfois connaître des soubresauts qui ne nous concernent nullement, fort heureusement d’ailleurs, et ne serait-ce de la cacophonie, on pourrait aisément vivre avec. D’où mon titre d’ailleurs : quand les chiens aboient, c’est que le danger n’est pas là et la caravane peut passer sans problème. Vieux proverbe arabe dont la sagesse perdure…

Finalement et parlant toujours de chien, y’en a un jeune qui se tient autour et qui nous a pris d’affection—une affection bien motivée, il faut le dire, puisqu’on a commencé à le nourrir… Les Haïtiens aiment bien les chiens, mais de loin, car ici, on ne fait pas ami avec les bêtes. L’idée même d’un animal de compagnie est totalement incongrue dans ce pays, et seuls les Blancs peuvent montrer des marques d’affection pour une bête qui n’est même pas bonne à manger, alors quel intérêt?

Manger, être mangé, n’est-ce pas là l’essence même de notre monde?

mardi 3 juin 2008

Le cube de glace à minuit

Les familiers de ma prose vont dire que je leur sers du réchauffé. Cependant, il en est qui n’ont pas connaissance de cette anecdote qui s'est produite l'année dernière et dont l’authenticité garantie ajoute en saveur et en texture juteuse.

C'était au début de l'été, le temps était chaud et nous avions, à cette époque et rapport à la chaleur, l'habitude de servir notre boisson gazeuse (Sprite, Teem ou Seven-Up) dans un grand verre avec de la glace - des glaçons comme disent les Français. Comme le format courant en Haïti est de 500 ml, il n'est pas rare que le verre ne soit pas fini lorsque le sommeil s'empare de nous.

La nuit, comme toujours, est calme et tropicale : on ne peut donc pas s'étonner si l'on se réveille parfois en sueur, avec le goût de boire. C'est ce qui m'arrive ce soir-là, aux environs de minuit. Bien sûr, un bon verre d'eau froide serait l'idéal, mais il faudrait que je me lève; cependant, je me souviens qu'il reste toujours de l'eau faiblement carbonatée dans le verre, et je me dis que cela fera tout aussi bien l'affaire. Comme je porte le verre à mes lèvres et commence à avaler le sirupeux breuvage, je sens un petit cube de glace sous ma dent, que je croque hardiment, sans me poser plus de questions. Mais est-ce la texture? Est-ce un éclair de logique qui germe dans les brumes de mon premier sommeil? Toujours est-il que je me rendors avec un vague sentiment de doute quant à la nature du cube de glace. Mais en quelques secondes, le doute se dissout et le sommeil me reprend là où je l'avais laissé. Fin du premier chapitre.

Le jour se lève et nous aussi et, au fur et à mesure que se dissipent les vapeurs du sommeil, la lucidité me fait voir les choses dans leur nudité : comment le verre contenant de la glace déjà presque toute fondue une heure après son immersion (21h) peut-il conserver, trois heures plus tard, un cube de glace d'environ un centimètre cube? La chose est-elle simplement possible? Mon esprit cartésien s'y oppose... Qu'à cela ne tienne, il faut refaire l'expérience. Ce qui sera fait le lendemain dans des circonstances très similaires, tant en ce qui concerne l'heure que la température de la pièce ou le nombre de cubes de glace dans le verre ainsi que leur densité. L'expérience n'est certes pas absolument scientifique dans sa rigueur, mais elle suffit amplement à me convaincre que ce que j'ai croqué à minuit ne peut, en aucune façon, être un restant de cube de glace...

Qu'est-ce que cela pourrait bien être?...

J'ai pensé à bien des choses, mais peu rencontraient les critères de fermeté et de croquant. Le bois est trop dur, le ciment ne flotte pas et ainsi de suite... Même la glace n’a pas la même texture!... Quand on épuise toutes les hypothèses, il ne reste que la vérité, si difficile qu'elle soit à avaler (et pourtant, je l'ai fait!). Se pourrait-il, dès lors, que j'aie joyeusement croqué une chose d'un autre règne, nantie de six pattes et d'un exosquelette, volant très maladroitement de droite à gauche, attirée par la lumière de ma lampe de chevet? Cela se pourrait-il? Je vous laisse y penser et conclure. Quant à moi, je préfère rester avec mes doutes, si ténus soient-ils...

Toujours est-il que depuis ce temps, si je me réveille avec une petite soif, je me lève et vais boire de l'eau fraîche, directement du frigo…