lundi 31 mars 2008

Tempus fugit


Ce titre pourrait faire l'objet d'un long message. Mais justement, je n'ai pas le temps, alors je veux juste dire à mon fan club que lorsque nous aurons bouclé la fin du mois et aussi la fin de l'année financière, nous aurons peut-être un peu plus de temps, et alors, je pourrai m'adonner à mon activité favorite : le placoting.

Alors je vous laisse là-dessus, un peu malheureux de ne pas vous en dire plus, mais y'a des jours, et y'a des jours...

jeudi 27 mars 2008

Dolce Vita




J’ai sous-entendu précédemment que la vie était belle et aisée. C’est vrai. Je n’exagère en rien. Cependant, il ne faudrait pas confondre une belle vie avec une vie de farniente absolue où la seule activité revient à tuer le temps, d’une manière ou de l’autre, comme si l’on allait arriver à quelque chose de cette façon. Ici, on ne tue pas le temps, on le prend. Nuance. Le temps est occupé au point où on se demande parfois où les journées vont. Et les nuits sont plus que nécessaires pour recharger les batteries que les journées bien remplies ont drainées. Alors, pour la dolce vita, on repassera…

Le travail d’abord : il n’est pas égal, le travail. Parfois, on se demande ce qu’on va faire, souvent on se demande comment on va faire… Car les tâches varient au fil des jours avec toujours, en constante, l’idée de régler les problèmes qui germent à chaque pas. Ainsi, on pourrait dire que notre principale tâche consiste précisément à résoudre des problèmes. En anglais, on devient des « problem solvers », des gens capables d’affronter les problèmes et de leur trouver une solution. Certaines écoles de management ne parlent pas de problèmes, mais plutôt de défis, juste pour en faire sortir tout le côté stimulant plutôt que leur nature insoluble. Pourtant, la sagesse commande de bien faire la différence entre les problèmes qui peuvent se régler et ceux qui n’ont pas de solution. À cette distinction pleine de gros bon sens, j’ajoute la subdivision des problèmes qui peuvent se résoudre, mais à un prix tellement fort que le jeu n’en vaut pas vraiment la chandelle. L’exemple le plus simple reste sans doute celui de la voiture brisée : on peut toujours réparer, mais à un certain moment, le coût de la réparation et l’énergie déployée rendent le projet non rentable et alors, mieux vaut en faire son deuil. Le truc, c’est de prendre la bonne décision au bon moment. Car une fois engagé dans le processus, il est beaucoup plus difficile de faire marche arrière. Et pourtant, là encore, il est possible que ce soit plus sage d’arrêter les frais. Cut your losses, diraient les Américains.

Je vous dis tout ça précisément parce que, ces jours-ci, nous sommes aux prises avec un cas épineux concernant l’une de nos génératrices. Après avoir mis quelque $3000 US pour la remettre en fonction, voilà qu’elle vient de retomber en panne. Certains me disent de la mettre au rancart et d’en acheter une autre; d’autres maintiennent qu’il est plus simple et plus rentable de continuer de réparer, puisqu’à 10 ans, une génératrice n’est pas si âgée que cela… Où est la sage décision? Où est celle qui, à moyen terme, se révélera mauvaise? Je vous laisse y réfléchir. Quant à moi, mon idée commence à se stabiliser…

Bien sûr, on me dira que penser n’est certainement pas un travail astreignant, et on aura raison… jusqu’à un certain point. Car penser reste un verbe d’action qui implique donc une activité, cérébrale certes, mais bien réelle, qui engendre une fatigue elle aussi bien réelle. Ainsi, il est présentement 17h, je suis fatigué, c’est l’heure de la bière et elle sera la bienvenue.

Peut-être qu’il y a un peu de dolce vita là-dedans, finalement…

mercredi 26 mars 2008

Et la nuit?




La nuit ici est relativement calme et je dors habituellement du sommeil du juste. Mais il est certaines nuits qui échappent à cette règle. Ainsi, l’autre jour, en dépit de mon livre captivant, je me sens tout à coup irrésistiblement attiré vers le sommeil. Je regarde l'heure, il est 8h20. Un peu tôt, je l’avoue, mais vraiment, je m'endors. Alors je ferme mon livre et quatre secondes plus tard — si l’on se fie aux dires de ma douce compagne —, ma respiration trahit le sommeil. Tout se passe bien jusqu'à ce que, tout à coup, je me réveille. Complètement égaré. Je regarde l'heure : minuit moins dix. Pour plusieurs, c'est l'heure de sortir : la nuit commence à peine. Pour moi, ce n'est qu'une invitation à retomber dans les bras de Morphée. Mais Morphée est ailleurs... Sur le cadran numérique, les diodes changent : il est 1h30, déjà, mais je sens enfin que le sommeil me revient, maintenant. Lorsque tout à coup bzzzzz, un moustique me rend une petite visite.

Petite parenthèse au sujet de ces moustiques (marengwen en créole). Ils ne sont pas comme chez nous. Ce sont des anophèles, plus petits que nos maringouins, et dont la piqûre est beaucoup moins agaçante. En plus, ils sont pratiquement silencieux et quasi-inoffensifs (ils peuvent transporter la malaria cependant, mais bon), si bien que s'ils se promènent à distance, on ne les entend guère et leur présence n'est pas vraiment incommodante. Mais ces bêtes nous aiment bien la tête. Et quand ils bourdonnent juste dans l’oreille...

Le réflexe est automatique : paf! une bonne claque le long de mon oreille écrabouille le chétif insecte. Mais une gifle en plein visage n'est habituellement pas considérée comme un incitatif au repos, n’est-ce pas? Si bien que la zone de brume qui prélude au sommeil et qui m’enveloppait une seconde plus tôt se dissipe d'un seul coup et me voilà maintenant à nouveau bien réveillé. Dehors, un coq s’ébroue: sans vérifier l'heure qu'il est (à peine 2h), il se lance dans ses vocalises discordantes. Quand je pense qu'on ose appeler ça le « chant » du coq. Faut vraiment ne pas aimer le chant pour l'accoler à la performance du coq! Le coq est aux oiseaux ce que le heavy metal est à la musique, tiens… Toujours est-il que ce ridicule animal s'en donne à gésier déployé. Évidemment, d’autres lui répondent. Probablement, en langage de gallinacé, de fermer son bec et d'attendre que l'heure soit venue. Ou bien d'aller se faire cuire un oeuf, comment le saurais-je, moi qui ne parle pas la langue des coqs et poules? En tout cas, toute la basse-cour finit par se taire et la nuit reprend son calme habituel. Mais pas pour longtemps : vers les 4h, même s’il fait encore nuit, les activités humaines diurnes reprennent: et je te klaxonne ça joyeusement, et je te change les vitesses tout en douleur, et je te freine ça à la dernière minute... ah! la joie de conduire! Tout ça pour vous dire que, passé cette heure, le sommeil doit être dur pour durer.

Si bien que cette nuit-là, entre autres (car il en est d'autres), les sons du matin sont arrivés avant que le sommeil ne me revienne, et tout à coup, comme toujours sous les tropiques, il a fait jour. Alors que faire?

Dites, n'est-ce pas que la vie est belle?

mardi 25 mars 2008

Jour de congé


Aujourd’hui, c’est Vendredi Saint. Jour de congé, alors mon propos diffère. Aujourd’hui, je n’ai pas besoin de vous dire ceci ou cela, puisque c’est congé. Alors je prends congé aussi. Mais congé ne veut pas dire qu’on doive s’interrompre pour autant n’est-ce pas? Alors je suis là. Mais je publie en retard, puisque nous sommes maintenant mardi et que Pâques est déjà derrière.
Nous ne sommes pas loin. Assez curieusement, à tout juste 10 minutes en voiture — 20 minutes à pied par le raccourci —, il y a la petite maison de Gelée, sise sur le bord de la mer. Tout le confort moderne s’y trouve, spécialement lorsque nous avons du courant. Car l’EDH (l’Électricité Nationale d’Haïti, pour tout vous dire) n’est pas aussi fiable ici qu’elle peut l’être aux Cayes, par exemple, bien que, encore là, nous sommes loin du 100 %. Le courant permanent, ce n’est pas un luxe que le pays est présentement en mesure d’offrir. Produire de l’électricité coûte cher et demande des infrastructures complexes gérées avec compétence. Hydro-Québec fait ici une part plus qu’honorable dans ce secteur, mais je le redis, le courant 24/24 dans tout le pays n’est pas encore visible à l’horizon. Mais le sachant, on fait avec.
Tout cela pour vous dire que la maison de Gelée est confortable : grandes pièces, porte patio avec vue sur la mer, patio propre et spacieux, cour gazonnée parsemée de cocotiers, le tout dans un environnement tranquille où domine le bruit des vagues et, parfois, les rires des enfants ou les conversations lointaines des rares passants. Rien de particulièrement stressant, vous en conviendrez.
On vient, on s’installe avec notre musique et notre lecture, notre bière et notre vin et on relaxe. En prime, on a la télé et une collection de vieux films sur VHS qui meublent d’autant mieux le temps — lorsqu’on a du courant, bien entendu. Car écouter la télé au son de la génératrice, située juste derrière, vous admettrez que ce n’est pas fameux…
N’avons-nous pas peur? Comme toujours la sécurité en Haïti est aléatoire, mais comme toujours, on fait avec. Ainsi, les premières fois, on s’assurait que toutes les portes étaient bien verrouillées, cadenassées, voire, mais maintenant, lorsqu’il fait chaud, on dort la porte patio ouverte, comme quoi on s’habitue à tout. Sommes-nous inconscients à ce point des dangers possibles, des voleurs et des voyous? Non. Mais ça ne nous empêche pas de dormir du sommeil du juste. La musique tonitruante, les chiens qui jappent dans une cacophonie étourdissante, ça c’est tout autre chose et c’est suffisant pour nous tenir éveillés. Mais les bruits maintenant familiers de la nuit entretiennent le sommeil. J’y reviendrai d’ailleurs dans une prochaine chronique.
Pour l’heure et comme le dit la chanson, « il y a le ciel, le soleil et la mer… » dans une proportion à peu près égale, le tout tempéré par une brise régulière qui brasse voluptueusement les palmes des cocotiers.
Dire qu’il y en a qui s’imagine qu’on s’ennuie de la neige et de l’hiver…

jeudi 20 mars 2008

Granmoun




J’ai abordé — brièvement, il est vrai — le thème des enfants. Je pourrais difficilement passer à côté de leur pendant : les vieux.

Dans une culture orale comme celle d’Haïti, les personnes âgées ne peuvent être mises au rancart, car elles connaissent ce qui s’est passé avant. Les vieux sont les gardiens du savoir séculaire, qu’ils transmettent bien volontiers à tous ceux qui veulent bien les écouter. Ce que l’on fait bien volontiers. Une fois, j’écoutais un vieux raconter l’histoire d’un ouragan dont j’ai oublié le nom. Il en mettait sans doute un peu, mais l’essentiel reflétait quand même l’intensité de la catastrophe. Nous étions bien six ou sept à écouter sa narration des événements, et tous étaient captivés. Personne ne doutait de la véracité du récit, car pour la plupart, ce n’était pas la première fois que cette histoire leur était contée et la version s’accordait avec les versions précédentes (me dit-on). Pour moi qui l’entendais pour la première fois, je me disais : quel fabuleux conteur. Son histoire est comme un film qui se déroule sous nos yeux. On voit les maisons entraînées par les coulées de boue; on voit les gens crier, pleurer, s’accrocher à leurs maigres biens; on admet les morts et les disparus. Le drame devient réel et tout le monde reste pendu aux lèvres du granmoun qui raconte avec une émotion bien réelle et bien sentie. Et les jeunes qui composent l’auditoire, loin de se moquer des propos du vieux, les boivent comme du petit lait.

C’est sans doute pour cela que les gens âgés sont respectés : ils portent un savoir qui n’est accessible que par le poids des années. On accepte les vieux, on s’en occupe, on fait des blagues avec eux, on les intègre, bref, ils font partie de la vie. La retraite ici n’existe pas : lorsqu’on devient vieux au point de ralentir, on ralentit, tout simplement, mais on ne s’arrête pas pour autant. Je me souviens une fois d’un directeur qui devait embaucher un responsable. Après plusieurs entrevues, il jeta son dévolu sur un type de 76 ans! Nous étions tous étonnés de la chose, et pourtant, le directeur, le plus sérieusement du monde, maintint qu’il avait vraiment choisi le meilleur candidat. Qu’est-ce que l’âge, dans ce cas? (L’histoire nous prouva par la suite qu’il avait eu tout à fait raison.)

Les granmoun, c’est la sagesse vivante. Pas en raison de leur philosophie élaborée, mais bien par leur vécu, par leur mémoire et leur compréhension des choses de la vie. Un proverbe — un autre — l’exprime fort bien : «Bouch granmoun santi, sa’k ladan se rezon.» (Je n’ai pas besoin de traduire n’est-ce pas?) Au-delà de l’apparente fragilité de la vieillesse, il y a la solidité de l’expérience.

Mais plus important encore, il y a le contentement de vivre une existence simple, sans attente autre que celle d’avoir de quoi se mettre sous la dent et un endroit au sec pour dormir. Que demander de plus?

mercredi 19 mars 2008

« Pitit se richès »




Celui-là, vous ne l’attendiez pas, avouez! Traduction (pour les paresseux des méninges) : les enfants, c’est la richesse. Je vous ai dit dans ma chronique précédente que tout le monde n’était pas si malheureux que ça en Haïti, tout pauvres que soient les gens. Vous voyez maintenant pourquoi : les enfants représentent la richesse!

À prime abord, on peut douter de la validité du proverbe : après tout, financièrement, les enfants représentent un fardeau supplémentaire non négligeable. Ils faut les nourrir, les vêtir, les abriter, puis les envoyer à l’école (très coûteux, ça!), sans compter les inévitables problèmes de santé et les non moins évitables visites à l’hôpital qui s’ensuivent. Or dans ce pays pauvre, rien n’est gratuit, pas même les soins de santé… (J’y reviendrai.) Pourtant et malgré ce qu’il en coûte, tous s’entendent pour affirmer que « pitit se richès ». On comprendra dès lors que le taux de natalité ne soit nullement à la baisse et, conséquence directe, partout où se porte le regard, les enfants abondent. Et on les aime. On les prend, on les caresse, on les embrasse, on les gifle, on leur donne le fouet ou la férule, on leur tord les oreilles, selon les circonstances. Car les enfants sont aimés, pas idolâtrés. Ils sont respectés, mais on ne leur laisse pas faire les quatre cents coups pour autant. Et ici, point de propriété des enfants : les enfants sont des adultes en devenir, et tout adulte a le droit, sinon le devoir, de corriger un enfant qui agit mal, qu’il soit son parent ou non. Les enfants le savent et se le tiennent pour dit… Ce qui n’en fait pas des enfants tranquilles et effacés pour autant!

Mais l’essentiel n’est pas de savoir comment ces enfants vont tourner, s’il vont faire « quelque chose » de leur vie ou non; l’essentiel, c’est de les faire! Après tout, ne sommes-nous pas conçus pour cela? « Croissez et multipliez-vous », dit la bible. Qui a besoin d’encouragements supplémentaires?

C’est d’ailleurs ce qui a failli conduire à la catastrophe sidéenne : les relations sexuelles protégées étant complètement incompatibles tant avec la bible qu’avec le proverbe qui donne le titre de cette chronique — le but de la relation étant, rappelons-le, la procréation — la transmission du virus s’est rapidement accélérée. Mais heureusement, de bonnes campagnes de sensibilisation et d’information, alliées à des programmes de traitement très dynamiques ont renversé la tendance, si bien que les choses sont maintenant sous un contrôle relatif. Cependant, l’idée de « fè bagay » reste encore et toujours une excellente idée, ne serait-ce que pour passer le temps… Et puis, selon toute probabilité, on pourra ainsi avoir deux ou trois petits qui meubleront l’espace et le temps!

« Pitit se richès »; pas une richesse matérielle, on s’entend là-dessus, mais bien une richesse humaine, une richesse qualitative plutôt que quantitative. Qu’importe que les conditions de vie soient dures : les enfants, c’est l’espoir d’un monde meilleur pi devan, comme on dit par ici.

mardi 18 mars 2008

«Tout l’monde est malheureux»


Tout le monde connaît cette chanson de Vigneault, n’est-ce pas? «Tout l’monde est malheureux… tout l’temps ». Tout le monde s’y reconnaît sans peine. De l’argent? On n’en a jamais assez. De l’amour? C’est illusoire. Du succès? Il est trop relatif pour qu’on en parle. Conclusion, tout le monde est malheureux tout le temps. Tout le monde, mais pas les Haïtiens…

Bien sûr, tout le monde ici veut plus d’argent, une belle famille, une maison à soi, une voiture, un emploi stable (et bien payé, bien entendu) et quoi encore! Où est la différence, alors? Je vous dirai que c’est dans la résignation. Les Haïtiens acceptent l’inacceptable. Ils se résignent à leur sort comme Sisyphe, condamné à pousser son rocher jusqu’en haut de la colline pour le voir redescendre à chaque fois; condamné à recommencer pour l’éternité. Sisyphe qui se résigne et qui, dans sa résignation, échappe à la torture que les dieux voulaient lui imposer. Voilà le peuple haïtien. Malheureux? Certes, puisque les conditions de vie sont souvent pénibles : manque de nourriture, vêtements inadéquats, sans abri, trempés par la pluie, cuits par le soleil… la pauvreté ici n’a pas de seuil. On croit qu’on a vu le niveau zéro, et puis on est confronté à pire… Mais toujours, les sourires, la dignité, le respect. Sont-ce des gens inconscients? Que non! Euphoriques? Non plus. Mâchent-ils des feuilles de coca ou fument-ils de ces herbes aux propriétés psychotropes? Certainement pas! Résignés, simplement. Les belles maisons, les voitures, les voyages à l’étranger, ce sont pour d’autres, pour les nantis ou pour les Blancs. Car nous, nous sommes «Blancs» et c’est bien plus qu’une simple question de couleur de peau; nous sommes différents, issus de pays d’abondance et à ce titre, disposons de privilèges : l’accès au savoir, à de bons soins de santé, à une vie culturelle riche, à des biens matériels imposants. Ici, rien de tout cela n’est acquis d’avance.

Mais d’où vient donc leur visible contentement, alors? Puisqu’il n’est pas dans la possession, il faut qu’il soit ailleurs, et parmi tous ces gens qu’il nous a été donné de rencontrer, un élément domine : la valeur humaine. Être heureux, en Haïti, c’est avoir de bons rapports avec d’autres humains. La famille immédiate, d’abord. Puis la famille élargie; puis le reste de la parenté, le voisinage, les amis, les amis des amis… bref, l’ensemble de ce que les Haïtiens appellent «moun pa». Un proverbe dit : «Moun pa-w, se dra» qui signifie «Ton clan, c’est [comme] des draps.» En d’autres termes, bien entouré, on peut dormir tranquille, sans crainte des attaques éventuelles. Le clan protège, sécurise, réconforte. Bien entouré, on est heureux, dans les limites de la misère. Car la misère, quand on ne la vit pas seul, s’accepte d’autant mieux. Dans un pays où plane de façon chronique la menace d’une violence souvent imprévisible — qu’elle vienne de la nature ou des hommes —, l’entourage fait toute la différence, et fait sans doute qu’en dépit de tout, tout le monde n’est pas si malheureux qu’on le pense.

Haïti, pays pauvre, certes. Mais infiniment riche de sa valeur humaine.

lundi 17 mars 2008

« Lakay se lakay »



«Lakay se lakay». Voilà une expression toute haïtienne dont la traduction ne rend pas vraiment le sens. Car dire que la maison, c’est la maison, c’est peu dire; il faut aller plus loin et connaître l’importance de la maison et, par extension, du terroir, de la région, voire de tout le pays pour mesurer l’amour que sous-tend cette simple expression. Je me souviens d’une fois, au cours du vol d’Air Canada vers Port-au-Prince; une agente de bord ayant appris un peu de créole avait lancé l’expression : «Lakay se lakay». Les passagers, pour la plupart Haïtiens, avaient chaudement applaudi et exprimé bruyamment leur joie. Pour certains, certaines, ce n’était peut-être, tout comme pour nous, que le retour de brèves vacances en terre canadienne; mais pour d’autres ce pouvait aussi signifier la fin d’un long exil, d’où la joie bien réelle de rentrer «bò lakay», c’est-à-dire «au pays». Patriotes, les Haïtiens? Mettez-en!

Mais revenons au sens plus restreint de «lakay», (la maison). Lakay, ce n’est pas n’importe quelle maison; il y a dans le terme l’idée d’appartenance, de propriété. Le mot «kay» existe, —en fait, il a probablement été à l’origine du nom de la ville «Les Cayes»—, et signifie, de façon très générale, une bâtisse quelconque, qui peut être une construction très sommaire pour abriter une génératrice, par exemple. On parle alors d’un «ti-kay». Mais «lakay», c’est le foyer, c’est là où l’on habite.

Or, le crédit bancaire étant ce qu’il est en Haïti (c’est-à-dire inexistant), accéder à la propriété devient un véritable tour de force. Car il faut trouver l’argent nécessaire, soit pour acheter une construction existante, soit pour assumer les coûts d’une neuve. Comme le prix des maisons est souvent astronomique, inflation oblige, les gens qui possèdent un terrain choisissent plutôt de construire un «ti-kay», qui, si l’argent ne fait pas défaut, pourra éventuellement devenir habitable. Mais éventuellement ici est un grand mot. Car l’inflation fait monter le prix des matériaux et rend tout projet à budget limité très aléatoire… Si bien qu’on voit bon nombre de maisons sans toit, ou sans fenêtres (que des trous) et bien entendu, sans plancher. Et pourtant, les gens y vivent. Y mangent, y dorment, y souffrent quand la pluie inonde les lieux, bref, y luttent sans répit. (Ce n’est incidemment pas sans raison que les gens répondent souvent, à la question : « Comment ça va? » «N’ap lite» —On lutte!) Constructions sommaires, donc, parce que inachevées, et ce, pendant des années, jusqu’à ce que le vent des finances redevienne favorable. Ou qu’un bon samaritain, souvent issu de la diaspora, appuie financièrement le projet. Mais laissés à eux-mêmes, les gens parviennent rarement à élever plus qu’une modeste masure, bien inadéquate pour la famille nombreuse qui l’habitera. Dix, douze membres y cohabiteront souvent, entassés souvent les uns sur les autres sans l’ombre d’une modeste intimité. Mais alors, diront les curieux-qui-ne-pensent-qu’à-ça, et la «chose charnelle», comment s’effectue-t-elle dans ces conditions? Je vous laisse y réfléchir…

Et pourtant, malgré tout, cette maison qui n’en est pas une, c’est «lakay», c’est là où l’on habite, c’est le refuge, le havre de misère, mais havre tout de même.


vendredi 14 mars 2008

Le travail



J’ai déjà dit que nous étions en Haïti pour travailler. Ce fut la raison de notre première venue au pays et c’est toujours ce qui sert de prétexte à notre séjour haïtien. Prétexte… raison… n’y a-t-il pas là un glissement subtil? Bravo aux perspicaces! Effectivement, notre intention première était vraiment de venir travailler en Haïti, de nous insérer dans une structure solide et d’y faire notre part de boulot, pour ensuite et ensuite seulement et en autant que le temps nous le permette, découvrir un peu Haïti. Mais on ne peut pas marcher cloisonné comme ça dans ce pays : le travail, quel qu’il soit, reste toujours imbriqué dans les vicissitudes quotidiennes. Chaque jour apporte son lot de petits problèmes, certains aisément résolus, d’autres moins, mais toujours intimement liés à la réalité haïtienne. Tantôt, ce sont les routes qui deviennent impraticables en raison de l’excès de pluie; tantôt, ce sont les denrées de base qui brillent par leur absence; tantôt c’est le compteur électrique qui explose bruyamment au beau milieu de la nuit pour cause de surcharge; tantôt, c’est un employé dont le papa décède; tantôt, c’est la maison du voisin qui s’écroule à cause du vent… Et je pourrais continuer comme ça pendant des pages, mais vous avez compris le topo, n’est-ce pas? Le travail, ce n’est pas le travail, c’est la vie. Notre contribution, toute professionnelle qu’on la souhaite, est d’abord et avant tout humaine. Travailler ici, c’est créer; c’est trouver des solutions à des problèmes concrets, vécus par des gens ordinaires souvent dépassés par les événements. Ici, pas question de pelleter le problème dans la cour du voisin : il n’est pas là. Il faut simplement se retrousser les manches et faire ce qu’on peut. La médecine, vue sous cet éclairage, devient faillible, plus humaine et les excellents médecins haïtiens savent faire preuve de modestie, surtout en regard des faibles moyens techniques dont ils disposent. Un proverbe d’ici le dit bien : « Doktè pran swen ou, men se pa Bondye » (Je ne vous traduis pas, juste pour vous titiller les méninges.) Le travail ici représente de beaux défis, nous force à l’ingéniosité et développe notre adaptabilité. Et je ne parle pas de la patience, puisque j’en ai déjà parlé…! Qu’importe dès lors les petits problèmes?

Faut dire que tout est dans le rythme. Or, tout le monde le sait, les Haïtiens, fils de l’Afrique, ont le sens inné du rythme et de la mesure de leurs ancêtres. Ainsi, la journée de travail typique commence par les salutations, les serrages de main et les « Et la nuit? ». Puis, il faut bien passer aux faits divers, aux réflexions politiques, aux derniers commérages… ça, c’est le « ti-palé ». Finalement on se met au boulot; on y va doucement — faut pas risquer un lumbago, quand même! —, sans forcer sa nature et ainsi passe la journée. Néanmoins et malgré ce que les sceptiques croiront, des choses se réalisent, des résultats s’obtiennent, des progrès se font sentir. Rythme haïtien, rythme « cool jazz »… Qui dit mieux?

« Le travail est la plus belle chose au monde; pourquoi ne pas en garder un peu pour demain? », disait un illustre inconnu. C’est, en tout cas, ce que font la plupart des Haïtiens qui nous entourent et c’est ce que nous, petits castors industrieux, avons tant de mal à imiter.

jeudi 13 mars 2008

Comment en sommes-nous venus là?



Après le pourquoi — lequel est resté bien vague, je le concède volontiers — voici le comment. Car reconnaissons-le, il a bien fallu que des choses s’enclenchent pour que nous aboutissions en Haïti. Nous étions peinards, bien au chaud dans notre petite «cabane au Canada», les choses marchaient plutôt bien pour nous et tout à coup, vlan! Haïti nous voilà!

Il aura suffi d’une petite annonce dans Le Soleil, d’un coup de téléphone à Sarasota en Floride et d’une simple conversation pour que le processus se mette en place. Et en quatrième vitesse! Même notre chienne sentait toute l’effervescence des préparatifs; elle qui appréciait tant la chaleur du poêle à bois! Elle ne savait pas ce qui l’attendait, la pauvre… Ni nous non plus d’ailleurs, il faut bien le dire…

En fait, il aura fallu bien plus que les éléments ci-dessus énumérés. La petite annonce? D’accord, mais par quel hasard l’avons-nous lue? (on ne lit jamais les petites annonces!) Le coup de téléphone? Aisé, mais pas suffisant pour que les suites s’enclenchent… La conversation? Déterminante, certes, mais sur une base des plus floues. Non vraiment, pour que les choses s’emboîtent et qu’on aboutisse en Haïti, il aura fallu des convergences de forces, l’effet d’un puissant hasard, un alignement stellaire peu ordinaire ou simplement, comme les Haïtiens s’entendent pour le dire, la volonté divine. Car pour eux, pas de doute : Bondye konnen. À quoi bon s’en faire quand on a le «Grand Architecte» qui suit la construction de près? En tout cas, volonté divine ou hasard, cela a marché, puisque malgré les déceptions du début et le stress de notre nouvelle vie, nous avons y pris goût. Et c’est ainsi qu’un contrat initial de 9 mois s’est allongé d’un an, pour ensuite se transformer en engagement de 5 ans, interrompu pour raisons majeures. J’y reviendrai un de ces quatre…

Alors voilà un peu comment nous en sommes arrivés là. Et de fil en aiguille, d’employeur en employeur, nous avons échoué dans cette charmante ville du sud : Les Cayes, où nous sommes présentement jusqu’à ce que la roue nous entraîne quelque part ailleurs — mais pas trop loin quand même… Car le sud est vraiment pittoresque et ses gens, insouciants. Rares sont les gens ici qui marchent vite, même physiquement parlant! En conséquence, le travail se fait, des choses s’accomplissent, mais pas vite, ce qui nous impose à nous, de prendre un rythme un peu plus lent… La patience ici va bien au-delà de la vertu : c’est un mode de vie intégral et pas si facile à adopter qu’on pourrait le penser à prime abord, surtout pour certains, certaines…

Mais à la longue, «peu z’à peu» comme on dit ici (et ne me demandez surtout pas pourquoi la liaison en z), on développe une tolérance envers ce qui ne marche pas vite, une acceptation que les choses n’ont peut-être pas forcément à fonctionner à plein régime comme elles le font dans nos pays industrialisés. Et si c’était ça qui nous avait finalement séduits? En tout cas, nous avons été eus, comme dirait l’autre… Pour le meilleur et pour le pire, comme dans tout bon mariage!

mercredi 12 mars 2008

Pourquoi Haïti?



D’emblée, je suis tenté de vous dire : «Pourquoi pas Haïti?» Après tout, Haïti, c’est encore l’Amérique du Nord — ou presque — donc facilement et rapidement accessible, à tout le moins depuis Montréal, puisqu’un vol direct nous y mène en tout juste 4 heures. Vous me direz que ce n’est certainement pas une raison valable et vous aurez sans doute raison. Mais disons que c’est tout de même un facteur positif. Car je vous le demande : qui a, de nos jours, le goût de se taper un 12-13 heures d’avion en ligne, sans compter les correspondances, les transits et tout le tralala? Et je ne vous parle pas des mesures de sécurité! Alors pour moi, un petit voyage de quatre heures qui me transporte directement du froid (ou de la grisaille, c’est selon) à la béatitude tropicale, ça me va.

Mais avec ça, je ne vous dis pas la vraie raison de notre adoption de ce pays. Y’en a-t-il seulement une? Venus un peu par hasard en 1998 (quand je vous dis que ça fait dix ans déjà…), nous avons collé, comme de la visite un peu épaisse... Mais c’est que, à la différence de bien des hôtes quelquefois pas trop délicats, Haïti nous a ouverts ses bras chauds et nous a fait sentir qu’on ne dérangeait pas du tout, bien au contraire. Alors on a collé. Et les semaines ont passé, sont devenues des mois qui se sont changés en années, jusqu’à la cassure, nette et presque tragique, en tout cas pour nous.

Quelle cassure? Oh là! pas trop vite!… On va déraper. Pour ceux et celles que ça intéresse et qui ne savent pas encore, je vous raconterai une autre fois. Pour l’heure, j’en suis à tenter de vous expliquer pourquoi nous avons abouti dans ce pays, alors ne digressons pas.

Donc, le pays fascine, le pays saisit, le pays envoûte. Et pas à cause du vaudou, qu’on se le dise! Le vaudou existe bel et bien et sa couleur locale est assez chamarrée, mais comme en bout de ligne, on n’y comprend pas grand-chose, eh bien on ne peut pas dire que les forces occultes exercent une influence sur nous. Non, ce qui envoûte en Haïti, c’est Haïti! En d’autres termes, c’est l’ensemble des parties. Mais le fait est que nous avons trouvé dans ce pays des façons d’être, d’exister qui nous conviennent. Car le cœur d’Haïti, ce n’est pas sa géographie ou son climat tropical, mais c’est son peuple. Et c’est à travers le peuple que nous avons apprivoisé le pays.

Ce ne fut pas toujours facile. Ce ne l’est toujours pas. Mais qui a dit que ce devait l’être? Le fait est que nous nous sentons suffisamment confortables dans le pays pour en être efficaces. Certes, l’efficacité n’est pas tout, mais alliée au plaisir bien réel de vivre sous les tropiques, elle suffit à justifier notre présence. Mais entre nous, a-t-on vraiment besoin de se justifier?

Pourquoi Haïti? Pourquoi pas, si ce que l’on veut c’est vivre ailleurs, se frotter à une autre réalité, côtoyer des gens différents qui parlent une langue pas toujours facile à suivre, se tailler une place au soleil — pardon! je veux dire à l’ombre!...

mardi 11 mars 2008

Faut bien commencer un jour...

Faut bien commencer un jour… Car le projet, en gestation depuis déjà quelque temps, ressemble à une gestation éléphantesque, tiens… Mais là, j’y suis, et bien que je vienne tout juste d’effacer malencontreusement quelques pages d’un texte, ma foi, tout à fait brillant (modestie oblige), je m’introduis.

C’est d’abord pour vous, gens du nord, que j’écris. Je sais qu’il en est parmi vous qui m’ont fait le reproche de ne pas leur donner davantage de ces impressions australes dont je vous ai jadis saturés. Mais la vie au sud ressemble en tous points à celle du nord, température mise à part, bien entendu. Là, je ne veux pas vous faire saliver, mais il fait tout de même 28° C et le ciel est bleu. Les palmiers frissonnent tout doucement sous la brise, mais je ne pense pas que ce soit de froid… Pour le reste, le travail étant la santé, comme tout le monde le sait, eh bien on ne prend pas de chances et on travaille!

N’empêche que vivre au sud présente tout de même certaines caractéristiques différentes du nord. Ainsi, le pelletage, activité hautement prisée de la population du Québec, est ici inexistant, sauf quand on brasse le ciment. Mais ça c’est une autre affaire et je vous en reparlerai une autre fois.

Cela dit, je sais qu’il y en aura, des curieux, des curieuses qui, moins apparentés à ma prose, voudront bien savoir où est ce sud dont je parle comme si c’était une évidence. Eh bien qu’à cela ne tienne : le sud, c’est là où géographiquement, on arrête de pelleter et on commence à respirer! Évidemment, ce peut être partout en bas du 20e parallèle, disons. Alors je serai plus précis. Il s’agit d’Haïti, pays mal connu et mal aimé et pourtant, tellement mieux que bien d'autres sous tous rapports, ne serait-ce qu'à cause de son authenticité.

Oui je sais, je suis biaisé. Mais bon, difficile de faire autrement quand on vit dans un pays depuis 10 ans… Haïti n’est pas pour tout le monde, mais la course en Formule 1 non plus et ça ne l’empêche pas d’exister. Vous cherchez le rapport? Y’en n'a pas! Reste que Haïti, c’est une affaire de cœur. Et, comme le disait Corneille — pas le contemporain, l’autre —, «le cœur a ses raisons que la raison ne comprend pas», alors à quoi bon s’obstiner? Quant à mes propos parfois trop généreux, ceux qui me connaissent savent que je souffre de logorrhée — pas de gonorrhée, ne charrions pas!— et comme ce n’est pas contagieux, eh bien je me laisse aller. Alors faut surtout pas se formaliser, n’est-ce pas? La tolérance est ici de rigueur.

Donc nous sommes, ma tendre compagne et moi, installés en Haïti, quelque part au sud (tant qu’à être au sud, aussi bien y être pour la peine, pas vrai?) et je vous dirai tout plus tard.

Pour l’instant et avant de vous quitter, je vous joins une petite photo de là où nous sommes allés dimanche dernier. Ce ne sont pas les chutes du Niagara, mais bon, ce qu’on perd en taille, on le gagne en tranquillité, croyez-moi!